Compte-rendu synthétique par Élisabeth Rodot — Café Citoyen de Argentan (09/03/2004)
Animateur du débat : Élisabeth Rodot
» Politique et Société
Abstention, vote blanc... est-ce nul ?
L’abstention est le signe d’un malaise de notre démocratie. Comment l’interpréter ? Est-elle le résultat d’une indifférence grandissante du peuple à l’égard des politiques ? Si oui, pourquoi ? Est-elle l’expression d’un message précis pour nos élus ? Si oui, lequel ? Comptabiliser les votes blancs changerait-il quelque chose ?
Rendre le vote obligatoire ne résoudrait rien : voter est un droit, pas un devoir. Quel serait le sens d’un choix fait sous la pression de la crainte d’une amende ?
Si une partie des abstentionnistes préfèrent consacrer leur journée à des loisirs personnels (pêche à la ligne…), la plupart d’entre eux manifestent ainsi un désaveu criant de notre classe politique. La France n’a pas le monopole de l’abstentionnisme : c’est un comportement qui touche l’Europe entière. Elle est donc bien le symptôme d’un dysfonctionnement profond de nos démocraties occidentales. Ce qui est en crise, c’est la légitimité de notre classe dirigeante. Le fossé se creuse entre le « peuple d’en bas » et les hommes politiques, issus d’une classe dominante indifférente aux préoccupations des petites gens, et tous formés à la même façon de penser, qui proposent donc grosso modo les mêmes politiques. Notre démocratie glisse vers une ploutocratie, le gouvernement par les plus riches. Le politique se décrédibilisant, peu de citoyens s’engagent dans les partis, et donc ne participent pas aux débats internes présidant au choix des candidats… C’est un cercle vicieux !
Le politique se décrédibilise aussi du fait de sa relative impuissance à s’imposer face aux multinationales. Le débat politique, à l’intérieur de chaque État-nation, est en complet déphasage par rapport à l’économie mondiale. C’est en tout cas ce qu’on veut nous faire croire, alors qu’un autre développement serait possibles, fondé sur un keynésianisme social (investissant sur la qualité des services publics : écoles, hôpitaux…). Le problème de forme de notre démocratie (crise de la représentativité), ne doit pas nous masquer le problème de fond : l’absence de projet politique des partis. Si un autre modèle de société est possible (autre que la mondialisation capitaliste), c’est aux partis et aux citoyens d’affirmer des choix alternatifs, et de débattre des véritables enjeux.
La reconnaissance des votes blancs comme voix exprimées permettrait sans doute d’évaluer plus justement la représentativité de nos élus, mais ne résoudrait rien quant au problème de fond : qui enverrait-on siéger à l’Assemblée en cas de majorité de votes blancs aux élections législatives ? Un fantôme ?
Pour revivifier notre démocratie, les citoyens présents imaginent diverses solutions. Il faudrait :
- limiter le temps d’exercice des hommes politiques. Ils ont tendance à se professionnaliser, à devenir des experts coupés de la réalité. Réduire le nombre de mandats permettrait aussi le renouvellement de la classe politique,
- faire émerger de nouvelles propositions, une nouvelle façon de penser qui draine des adhésions,
- encourager la participation citoyenne à toute forme de vie associative : dès lors que l’on fait des choix dans la sphère publique (même à un niveau très local), le politique est à l’œuvre,
- réinventer des lieux de parole où pourraient être prises des décisions facilement applicables,
- développer le sentiment d’appartenance à une communauté, afin de lutter contre la montée de l’individualisme.
Il est temps de redonner ses lettres de noblesse à la politique : malgré les enjeux de pouvoir dont elle est l’objet (inévitables dès lors que certains décident d’organiser pour les autres), elle est aussi un moyen, pour l’homme, d’agir sur le monde et de construire le vivre-ensemble. Essentiellement humaniste, elle permet à l’homme d’utiliser son libre-arbitre pour bâtir le meilleur comme le pire. Peut-être l’abstentionnisme est-il le signe que nous sommes en gestation, comme au XVIIIe siècle, et que nous allons assister prochainement à l’avènement d’un monde nouveau ? Nous l’espérons.
Thèmes proposés pour les prochains débats :
- Comment retenir les cerveaux ?
- La santé publique est-elle malade ? thème retenu pour le 23 mars
- La guerre à l’intelligence : fantasmes ou réalité ? thème retenu pour le 13 avril
- Qu’attendons-nous de la recherche ?
- Que proposer pour le quatrième âge ?
- Quelle attention accorder à la jeunesse ?
- Faut-il être absolument moderne ?
Interventions
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