Compte-rendu analytique par Marc Houssaye — Café Citoyen de Caen (23/01/1999)
Animateur du débat : Marc Houssaye
» Éducation
La violence juvénile et ses conséquences
1 - Il me semble que depuis un certain nombre d'années les enfants sont de plus en plus agressifs, et ce de plus en plus jeunes - On n'arrête pas de se poser des questions sur cette agressivité et on ne résout aucun problème ; on cherche des causes dans le mal-être des parents, le chômage, une société de plus en plus violente, etc - Mais cela ne résout rien du tout et les enfants sont de plus en plus violents, verbalement et physiquement.
2 - Violence assez globale !
3 - On pourrait élargir le débat : de la classe à la rue, il y a un fonds commun - Les jeunes sont en colère, et ils cassent à des endroits où ils peuvent être vus et entendus - Cela voudrait dire que les jeunes ne peuvent être entendus qu'au moyen de la colère - C'est un peu ce pourquoi il faudrait élargir le débat à la violence juvénile tout court - La violence en classe a le même aspect et, je pense, les même causes.
4 - Il y a peut-être un problème qui se pose pour les jeunes et qui ne se posait pas avant, c'est qu'il n'y a pas de perspective, et on ne peut pas dire que l'école soit aussi un moyen d'accéder à un travail, à une accession sociale - L'école ne représente plus ce qu'elle représentait pour les autres générations - Où sont les repères pour les jeunes ? On peut parler des familles dont les enfants sont à la rue ou des familles qui n'ont pas de travail ou de partage du travail - Il y a des enfants qui n'ont jamais vu leurs parents avoir des horaires fixes, se lever pour aller travailler, et avoir un rythme de vie journalier - Et peut-être que cette absence de perspective ou de repère fait que les jeunes, pour manifester leur colère, en viennent à la violence - Et puis il faut dire que la violence est érigée par les médias, que ce soit au niveau des informations ou au niveau de films.
5 - Il y a quelque chose qu'il serait intéressant d'analyser dans les causalités, c'est le réflexe de la colère à ce moment-là : les jeunes qui cassent dans les écoles ou autre part, c'est toujours spontané, et sans réfléchir - On ne va pas faire une manifestation structurée, c'est une colère, cela part d'un seul coup - Et il serait intéressant de savoir ce qui leur passe par la tête à ce moment-là - Parce qu'il se passe des choses.
6 - Je suis en opposition totale avec l'idée à peu près générale que l'école n'est plus un débouché aujourd'hui.
7 - Elle ne l'a jamais été autant.
8 - Il y a trente ans, sans diplôme, on pouvait trouver un boulot, maintenant on ne peut pas le trouver - Donc l'école est beaucoup plus nécessaire et indispensable aujourd'hui vers les écoles supérieures et un travail, que c'était le cas il y a trente ans - Un jeune en grande difficulté qui sort de l'école à seize ans, sans être rentré dans le secondaire, il à 47% de chance si j'ose dire d'être au chômage - Alors que quelqu'un qui a le bac a son taux de chômage qui a chuté à 17% - Ce sont des chiffres qui sont élevés mais cela montre qu'en poursuivant des études on peut dépasser le chômage.
9 - Cela remonte ensuite si je peux me permettre.
10 - Non, non quelqu'un qui a la maîtrise voit son taux à 7% - On montre à la télévision des gens qui ont une thèse en science et qui sont vendeurs de pizzas, et des jeunes qui sont ingénieurs diplômés et qui sont au chômage, mais ce sont des exceptions, ils ne sont absolument pas représentatifs - Quelqu'un qui est au collège, qu'on lui dise : « avec une thèse tu seras au chômage », et pourquoi se donnerait-il du mal ? C'est fou, car s'il tient le coup, au collège, au lycée, à l'université, son taux de chômage va tomber - Il va baisser de 5 points par année d'étude supplémentaire - Autrefois lorsqu'on sortait avec le bac on était sûr de trouver un bel emploi - Aujourd'hui, non - C'est difficile, il y a 17% de chômeurs, mais 17% de chômeurs veut dire également 83% de personnes qui trouvent un emploi - Je suis enseignant à l'université, et tous mes étudiants en DEUG sont persuadés qu'il seront au chômage.
11 - Tout ça c'est une image.
12 - Alors que tous ceux qui tiendront jusqu'en maîtrise, 93% d'entre eux trouveront un boulot - Il faut pas leur mentir, le taux de chômage a explosé après la maîtrise, car il était à 0% maintenant il est à 7% - Effectivement c'est une duplication par un chiffre énorme - Mais n'empêche - Il y des filières dans lesquelles le taux de chômage est plus élevé que dans d'autres.
13 - Statistiquement vous avez raison, mais il y a des filières qui ne mènent nulle part - A la fac on forme des étudiants à des niveaux très élevés notamment en biologie et il n'y a pas de travail au bout.
14 - Mais cela il ne faut pas le dire, il y a peut-être 20% de chômeurs, c'est un chiffre énorme, mais il y a 80% qui ont du travail - La biologie est un mauvais exemple.
15 - Mais quand même, au niveau de l'enseignement, il faudrait revoir les filières.
16 - Il faut faire attention à ses phrases pour ne pas dire qu'à la fin il y a beaucoup de chômage.
17 - De façon primaire on voit l'image : de toute façon on est là pour s'user les fesses en classe, on verra bien quand on sera au chômage, image ancrée, et on a l'impression que la réflexion ne se fait pas, c'est ce qui met les gens en colère - Ce point d'image n'arrive pas à percer parce qu'il y a des mauvais exemples.
18 - Est-ce que le monde des diplômés empêche la violence ?
19 - Les gens ont une logique : si les jeunes sont violents, c'est qu'ils ont une raison de l'être - Et une des raisons, c'est qu'après tout ils s'imaginent qu'après tout leur vie ne sera pas plus heureuse en étant violent ou en ne l'étant pas - Souvent la violence peut être très ludique, si la société n'offre pas quelque chose de plus attirant que cette violence - Effectivement, que l'école ait cessé d'être un espoir pour les jeunes en est une preuve.
20 - Ce qui est intéressant ici c'est l'aspect violent envers le système social actuel.
21 - Dans la violence il y a aussi les chahuts, et les chahuts marchent d'autant mieux que la personne qui est maître d'école ou professeur ne paraît pas sérieuse, dans la mesure où le comique de situation l'anime - Le chahut, cela fait rire, et à ce moment-là il y a une relation de force qui s'établit entre le maître et les élèves - Et je me demande si actuellement, les choses ne sont pas telles que ces niveaux de forces ne se sont pas un petit peu égalisés, le maître est moins sur un piédestal qu'il l'était avant - Actuellement on les considère comme des fonctionnaires - Le maître est plus fonctionnaire que maître, actuellement - C'est pas pour essayer de pleurer sur le passé mais je crois qu'il y a un peu de ça - Et le guignol qui est en train de vous apprendre des choses est un fonctionnaire - Le deuxième point, c'est qu'il n'y a plus d'efforts à apprendre - Enfin troisième point, la télévision nous montre des aspects de cette violence et on focalise dessus : pistolets, etc - La violence monte car il y a des images qui sont alimentées.
22 - Quand vous dites que le maître n'est plus un modèle, c'est peut-être vrai, mais les élèves, qui finalement étaient assez dociles étaient choisis, triés - Ils n'étaient pas très violents et pouvaient faire le chahut - Maintenant beaucoup ne savent pas pourquoi ils sont là, parce qu'à tort ils s'imaginent que parce qu'ils vont à l'école ils décrocheront quelque chose, alors que les statistiques prouvent le contraire - Maintenant le problème c'est que l'on met tout le monde à l'école, et qu'il y a une grande partie des élèves qui ne sont pas du tous motivés - Il faut bien voir que les élèves qui vont poser problème, qui vont être éventuellement violents physiquement, ce n'est pas du tout parce que le maître ne va pas être sérieux, cela ne repose plus du tout en ces termes là - Mais ils sont contre le système et tout ce qui peut le représenter : chauffeurs de bus, etc - Ce n'est pas une question de personne.
23 - Ce que vous dites, c'est qu'à partir du moment où il y a un accrochage en classe, le maître doit jouer de son autorité -
24 - Oui, je voudrais reprendre ce que vous avez dit, qui m'a un peu choqué - Vous parlez de statistiques, effectivement 7% c'est très faible, et on peut faire dire ce que l'on veut aux statistiques - Par exemple, que lorsque vous avez une maîtrise vous pouvez avoir un emploi, ce qui nécessitait le bac avant - Ça, ça signifie que la conclusion qu'on en tire c'est que finalement du bac à la maîtrise cela n'a servi à rien.
25 - Non, on peut avoir avec la maîtrise ce que l'on avait avec le bac il y a trente ans -
26 - Effectivement les statistiques on peut les citer, et elles sont peut-être vraies, mais elles sont tournées par celui qui les commande, et on peut leur faire dire ce que l'on veut - Comme effectivement l'opinion selon laquelle la fac ne sert à rien, car on finit chômeur - C'est que chacun autour de soi en a des exemples patents, et que les statistiques sont peut-être là mais cela fait sans doute un peu mal - Deuxièmement, on parle de la violence des jeunes effectivement, mais on oublie aussi que la société en elle-même est fondée sur quelque chose de violent - La finalité d'accumulation de biens - Le système en lui-même est un système qui est parfaitement illégal, il y a des gens parfaitement violents - Cette finalité d'accumulation de biens est due à la société de consommation - Les plus riches sont ceux qui possèdent le plus, et qui ont le plus de pouvoir, etc - Avant cela pouvait se passer bien dans le sens où on avait des filières pour cela, et qu'on pouvait monter faire de grosses études, arriver à un poste élevé - Actuellement les filières sont multiples pour arriver à cette place - Par rapport à cette finalité, il est bien clair qu'il y a des jeunes qui vont acquérir ces biens par le trafic de drogues, etc - Pour y arriver il y a deux solutions : l'école quand, comme pour le grand frère qui peut rouler en belle BMW, la première filière marchait bien, on restait dans la légalité, et finalement la majorité des gens pouvait monter dans cette filière - Et tout marchait bien quand la filière proposait des failles - Mais lorsque le chômage est là partout présent, les filières illégales qui peuvent provoquer la violence sont des filières qui deviennent plus valables au yeux de certains.
27 - Vous parlez de filières, avant on va à l'école maintenant on va dans une filière, c'est un peu cela, non.
28 - Ce que je veux dire c'est que l'école et l'accession à l'étude permettaient à coût sûr de vivre correctement : plus on avait un gros diplôme et plus à la fin on avait un haut poste, et plus on avait de l'argent - Actuellement, je suis désolé de le dire mais ce n'est plus du tout ça - Pour arriver à cette même finalité que l'on cherche tous à avoir plus et à posséder un peu plus, comment faut faire ? Elle est là la question, comment fait-on ? Et donc c'est là que l'on peut arriver à des accès de violence et à des choses qui disent : « Si je vais braquer une banque je vais avoir plus que si je fais quinze ans de cours », et voilà - Simplement, si je puis me permettre, c'est là que l ‘école montre sa faiblesse - Elle ne sait pas garder les gens et donc les insérer correctement ensuite.
29 - Le thème du débat c'est la violence chez les jeunes, et celle qui se développe après quand ils deviennent un peu plus vieux - Il se trouve qu'actuellement cette violence peut avoir plusieurs causes et j'en vois une qui me semble intéressante : à l'école ou dans les organismes de formations, il y a un transfert du savoir des professeurs vers les élèves - Ce que l'on voit maintenant dans la formation continue, c'est un transfert de savoir et de compétence, de comportement et de savoir - Le comportement violent est issu soit de l'école en elle-même, ce que transfère le professeur vers ses élèves, ou au niveau des familles vers les enfants - Or il se trouve que j'ai une expérience dans la formation continue dans un organisme de formation auprès du public en grande difficulté, et il se trouvait justement que les formateurs qui se trouvaient en charge de la remédiation cognitive ou de la réinsertion de ces jeunes en grande difficulté, ces formateurs étaient pour eux-mêmes totalement inaptes déjà à se projeter dans l'avenir, ce qui est grave pour un professeur ou un formateur puisque c'est ce qu'il va enseigner aux jeunes en difficulté - De plus, ils avaient une angoisse extrêmement développée par rapport à leur avenir propre, par rapport à ce qu'ils peuvent entendre à la télévision ou voir parmi leurs amis, cette angoisse qu'ils avaient eu, ils la défoulaient en se tirant dans les pattes entre les formateurs, ce que les élèves même avec un faible niveau, ont très bien perçu émotionnellement et sensoriellement parlant ; et c'est ce qui après eux se reproduit entre eux ou vis-à-vis de l'extérieur, donc la violence à laquelle on peut assister actuellement a également cette cause-là - C'est-à-dire celle des adultes, qui n'ont plus un espoir suffisamment grand dans leur avenir propre, ce qui fait monter leur taux d'angoisse – je caricature, mais c'est un peu ça –, et après lorsqu'on se sent angoissé on ne se sent pas bien et là on va réagir : on prend des calmants - Et là je crois que la France est dans ce domaine-là et un très bon exemple en Europe, ou dans le monde - Soit au lieu de prendre des calmants on essaie de faire sortir cette angoisse et un des moyens de faire sortir cette angoisse c'est la violence - Quand on se sent pas bien, on est un peu comme une bête fauve : on court dans tous les sens et on va taper dans le voisin - Il y a ce problème qui vient des classes d'âge supérieures aux jeunes qui ont actuellement développé et produit tout un système d'angoisse que les jeunes nous montrent en pleine figure - En fait, ils ne sont actuellement que le reflet de la lutte.
30 - Oui, sur des choses qui ont été dites auparavant, effectivement on a un peu tendance à dire que la montée de la violence chez les jeunes, c'est un phénomène rationnel, non, c'est irrationnel - Les gens ont leur logique, vous parliez de différentes filières scolaires ou de filières de la violence, effectivement si l'enfant considère que le scolaire est bouché vers des choses intéressantes, il est tout à fait logique et raisonnable de choisir la filière de la violence - Mais en revenant à cette filière scolaire, car c'est quelque chose qui est vraiment important, qui joue un rôle vraiment important, dire que cette filière n'existe plus comme elle a existé auparavant, je crois qu'il ne faut pas non plus se tromper - Il n'y a pas eu un Age d'Or du système scolaire, à savoir former beaucoup plus de gens qui allaient vers des postes plus importants à la fin de leurs études - Bien qu'à mon époque on était 24% à passer le BAC, maintenant les taux sont environ à 60%.
31 - Un peu plus, non ?
32 - Donc les petits-enfants au début de leurs études avaient très peu de chances d'arriver tout là-haut - Aujourd'hui, en pourcentage, ils en ont beaucoup plus - Donc effectivement la maîtrise n'ouvre pas des emplois aussi prestigieux et aussi bien rémunérés qu\'auparavant - Mais ça, est-ce que c'est l'école qui est responsable ? C'est facile de dire que c'est l'école qui forme des chômeurs, et donc l'école qui est responsable du chômage - Nombre de ces emplois de haut niveau ont augmenté moins rapidement que le nombre d'élèves accédant à ce niveau.
33 - Je reviens sur le fait comme quoi tout ce sentiment ce serait une projection du monde des adultes – de la société, on va dire – sur des enfants - Ce qui m'étonne c'est que des enfants assez jeunes – 11-12 ans – aient justement en perspective le chômage, je ne sais pas comment vous avez vécu cet âge-là mais moi je ne pensais pas à ce problème, je ne pensais pas à un métier, alors que maintenant dès la sixième cela se voit très bien, réunions d'orientation : « Attention les petits il faut que vous pensiez tout de suite à votre boulot, car après cela va être le chômage » - Alors en fait on a l'impression que c'est le monde des adultes qui projette sur les petits - Résultat : forcément, cela paie à un moment donné.
34 - Quels sont les multiples cas de violences : braquages, etc - On a vu des choses intéressantes : la gendarmerie venant faire des cours de morale à la classe, etc - Là je m'interroge, mais là enfin c'est pas ça qu'il faudrait faire, il vaudrait mieux que les parents et les enfants parlent entre eux avant - Aspect de vouloir refaire les choses que l'on n'a pas faites, on va faire des cours d'éducation civique, et tout va bien se passer - C'est de la pommade.
35 - Le but c'était de montrer qu'un gendarme ce n'est pas un monsieur infect mais quelqu'un comme eux.
36 - Oui, mais on a l'impression qu'il n'y a que ça - Les gens sont de bonne volonté mais ce que je veux dire c'est qu'il y a vraiment autre chose pour réfléchir sur cette affaire-là.
37 - Quand on dit qu'il y a des abus, je suis tout à fait d'accord, mais en ce qui concerne la projection des parents qui ne sont pas bien, et aussi l'habitacle familial, il faut aussi se pencher sur ce problème-là - Il y a beaucoup de choses qui y contribuent - Ainsi, lorsque l'on est en train de faire ses devoirs sur la table de la cuisine et que le petit frère pleure, c'est vrai que ce n'est pas forcément facile - Où vivre à dix dans des trois pièces ?
38 - Cela existait avant cette affaire-là.
39 - Simplement pour répondre à votre dernier point, il y a un an j'ai passé un mois au Burkina Faso, il y a des gens qui vivent à dix dans une pièce, et il n'y avait pas de violence - Pourquoi il n'y a pas de violence ? C'est que la finalité n'est pas la même : il y a des gens qui se moquent de vivre à dix dans une pièce car pour eux l'habitat n'est pas important - Par contre, vivre à dix dans une pièce alors que la finalité c'est d'avoir une belle maison ou un beau jardin, d'avoir une piscine et une belle voiture, là cela rend violent - Et ce n'est pas du tout la même chose - C'est ça que je cherche à faire comprendre, c'est que, finalement, le rapport, j'ai bien l'impression que, dit très négativement, c'est dû à la faillite de la société, qui dit que l'on a été à l'école jusqu'à présent pour apprendre un métier – alors déjà première hérésie pour moi, l'Université c'était fait pour apprendre l'univers - Et pas pour apprendre un métier, çà c'est autre chose - Donc on a détourné la finalité de l'école pour avoir une finalité productive, très bien, çà a très bien marché jusqu'à peu, et puis maintenant il n'y a plus de travail, donc la faute à l'école ou pas à l'école ? De toute façon, il n'y a plus de travail - On produit trop de biens et il n'y a plus besoin de personne, on a du mal - Est-ce que c'est l'école qui n'a pas su s'adapter et qui reste dans des carcans ? Il y a véritablement un problème, mais de toute façon, j'ai quand même bien peur qu'il y ait une faillite de ce siècle-là où clairement cette finalité de possession, j'ai peur qu'on se rende compte que l'on s'est planté, c'est peut- être un peu dur mais finalement c'est çà qui doit être la source initiale, si on cherche bien, de toute la violence que l'on voit chez nous.
40 - Dans ce que vous dites, finalement les professeurs délivrent un enseignement sans but précis de faire apprendre un métier - Mais je crois que ce qu'il y a à modifier ce sont les gens qui viennent assister aux cours, c'est-à-dire avec l'envie de ce qu'on leur enseigne, et non pas en vue d'un métier - Dans toute l'heure où le professeur a parlé il ne m'a pas dit ce que j'allais faire de cela.
41 - Quand même, les professeurs ont toujours leur portée : l'enseignement - Ils enseignent tout ce qu'il faut pour connaître l'univers, toutes les disciplines ; ils n'ont pas l'intention de donner un cours pratique dans un métier particulier, ils n'entrent pas dans ce détail-là, je ne crois pas - Qu'en pensez-vous, vous qui êtes enseignant ?
42 - Cela dépend des classes dans lesquelles on travaille - Cela n'existe plus mais dans les anciennes CCPN – j'ai travaillé longtemps dans ces classes-là – on faisait de l'éducation ménagère, de la cuisine, de la couture - Les garçons faisaient de la menuiserie, donc là c'était orienté vers quelque chose de précis - Il est bien évident que dans une troisième, une seconde, c'est vrai que l'on a pas pour but le métier d'un enfant, c'est vrai.
43 - Cela m'inquiète un tout petit peu que dès le départ on place les enfants, on les élève dans une perspective utilitaire : « Vous êtes là pour apprendre un métier » - Ces gamins-là, leur problème c'est qu'on leur dit : « Vous avez des devoirs et des devoirs », et qu'ils ne doivent rien faire d'autre à côté - Ça dure, ça dure comme ça et en fait ils n'ont droit à rien - C'est pour cela qu'à un moment donné il y a de la violence - Alors j'ai envie de dire : des fois on fait des choses qui ne sont pas utiles, mais si cela fait plaisir que cela provoque d'autres choses,… Car faire de la poésie avec des élèves cela ne va pas leur donner du boulot, on est bien d'accord, on n'est pas dans une perspective utilitaire - N'empêche que c'est peut être là que l'on peut retrouver quelque chose.
44 - Alors pourquoi, il y a trente ans quarante ans, il y avait déjà ce problème de faire les devoirs, mais on n'osait rien dire, alors que maintenant il y a une libération, on se rebelle contre ça ?
45 - Deux choses - La première, c'est l'Université qui apprend l'univers, et non pas la troisième ou une autre - Et deuxièmement, sur ce que vous dites : c'est vrai que l'on imagine bien que l'on ait le secours qu'en le faisant on y arriverait, alors que maintenant, pourquoi le faire alors qu'au plus profond de moi il y a une faillite du système, pourquoi ? Pourquoi apprendre mes leçons puisque mes aînés de deux ans avant moi qui l'on fait ne font rien ? Et moi je crois qu'elle est là la grosse différence, c'est qu'il a effectivement un sentiment latent que cela ne marche pas, qu'on n'y arrive plus, qu'il n'y a aucune raison de se fatiguer - Si on a l'impression que cela ne va pas marcher, on ne se foule pas.
46 - Sauf si on se fait plaisir.
47 - Ils ont un sentiment de frustration car il n'y arrivent pas et en plus ils ne se font pas plaisir, et ils sont à un âge où ils veulent connaître ce qu'est le plaisir, la vie - On sait ce que cela veut dire et donc dans leur référentiel et dans le monde qu'il y a autour d'eux, ils voient les petits copains qui volent des mobylettes, et qui font de l'argent avec, et qui peuvent inviter des filles à prendre un verre, et on peut imaginer la suite.. - Donc, en fait, ils sont tournés dans un axe plaisir - Tout ce qui va être embêtant, tout ce qui va être comprimant, ils vont le refuser, et la réaction instinctive cela va être la violence - « Tu dois faire ceci », « non ! », réaction dure, fuite et retour, cela va être une obsession, j'ai eu une expérience dans ce domaine – c'était assez dur d'ailleurs –, mais avec ce qui va être contraignant ils ont un gros blocage et préfèrent partir dans la campagne, et avoir du plaisir au lieu d'avoir de longues années de contraintes.
48 - Dans le comportement que vous venez de décrire il y a quand même une faillite de la famille : les jeunes ayant ce comportement de façon très naturelle, alors là, ce n'est pas une question d'argent - L'éducation que peuvent donner les parents on ne peut pas dire que c'est en fonction des moyens, on essaie de les inculquer aux enfants ou non - A partir du moment où les parents ne le font plus, pour quelle raison ? Il faudrait peut être voir ce qui se passe en amont, au niveau des parents - Est-ce que les parents qui sont eux-mêmes marginalisés parce qu'il n'ont pas de travail, sont la même référence pour leurs enfants que ce que pouvaient être leurs parents à eux ?
49 - Oui, dans la mesure où les parents sont en charge de leur progéniture et donc de leur inculquer le bien et le mal, ainsi que des notions de justice - Là, actuellement, il y a une grande partie de la population qui transmet des valeurs qui vont être aux antipodes des valeurs de bien et de beau de ce que nous pouvons avoir - Ils vont passer leur temps à boire de l'alcool, à regarder la télévision, devenir une population d'assistés, c'est fort comme propos mais c'est tout à fait cela - Les parents sont déresponsabilisés - Dans certaines familles cela se passe bien et les jeunes vont être responsabilisés, et une partie de la population transmet une notion de réussite à ses enfants, mais cela se fait de moins en moins.
50 - Quand les parents sont sans travail, il est reconnu que leur autorité a une faille quelque part, car leur autorité reflète un modèle qui n'est pas adapté.
51 - Une réponse du même principe de la notion de violence est de passer à l'acte - Comment un adolescent de treize ans peut-il passer à l'acte en mettant un coup de couteau à une petite dame qui traverse ? C'est arrivé : un adolescent voit une grand-mère avec un sac, il va lui donner un coup de couteau et prendre son sac - En réponse à la question des services de l'ordre : « Pourquoi tu as fais ça », il a dit elle n'avait qu'à ne pas être là - Donc, si vous voulez, ce que je crains vraiment, je pose la question : où est la pensée quand on passe à la violence ? Comment est-ce que la pensée façonne et arrive à l'acte violent lui-même ? Est-ce qu'il y a des violences évitables ? Quand on arrive à un stade où l'adolescent est stressé, que par la suite il y ait un déclic criminel, on peut comprendre : crime passionnel, il prend sa petite amie, il va tuer les deux, se sont des choses qui se comprennent - Mais que des adolescents tapent sur d'autres en leur disant vous n'avez qu'à ne pas être là… Comment est-ce que le cerveau raisonne ? J'ai beau réfléchir, je n'arrive pas à comprendre.
52 - Quelque part c'est peut-être parce que la société est très violente envers leurs parents et envers eux-mêmes - Expliquer à un enfant que ça c'est bien, que ça c'est juste et que ça c'est injuste, les parents ne peuvent pas forcément le faire, car la société peut être injuste envers les parents, et donc ils ne peuvent pas faire passer ces valeurs-là - Qu'est ce qu'il apprend le gamin ? C'est que la vie n'est pas juste et que s'il veut s'en sortir il ne faut pas être juste.
53 - Oui, mais là ce que tu dis c'est pensé, alors que c'est généralement inconscient - Il passe à l'acte sans savoir pourquoi, il n'arrive pas à expliquer son acte - Quand on va lui parler après, on essaye de le remettre sur la voie, il est incapable d'apporter une explication - Ce n'est pas un débile pour autant, il est tout à fait capable de réfléchir.
54 - C'est pas forcément un gamin qui est pauvre car il appartient à une jungle, et fait la même chose qu'elle car personne n'est venu lui dire le contraire - La télévision ne nous montre que ça comme référence - On n'a donc plus de valeur distribuée, on ne les accepte plus et on ne les reçoit plus.
55 - Avant la violence était canalisée par la puissance paternelle qui n'était pas forcément très souple - Et la violence était mieux contrôlée que maintenant - On ne va pas créer la famille idéale.
56 - En ce qui concerne la télévision, le jeune ne trie pas les images.
57 - A mon avis il y a quand même une banalisation de la violence.
58 - Je voudrais essayer de nuancer cette notion de refus de l'autorité - Dans tout groupe social, il faut qu'un chef arrive à sortir du lot et à être respecté en tant que chef, et cela y compris dans les bandes - Donc il n'y a pas refus de l'autorité, mais plutôt acceptation commune de quelqu'un qui s'est révélé être un chef - Et là j'y vois des relations semblables à des rites tribaux - Lorsque François disait que la vieille dame n'avait pas à être là, c'est qu'il se passe, actuellement, que chacun délimite son territoire, où tout intrus est chassé - C'est ce que l'on peut voir dans des tribus que l'on peut qualifier de primitives, qui essayaient de se défendre par rapport à tout ce qu'il pouvait y avoir autour d'eux - On a une espèce d'entité appelée société qui est un peu dure avec tout le monde - Ce n'est pas facile, on est tous touchés et il se crée des tribus ou des groupes sociaux, qui peuvent être violents - Et je fais la relation avec ce que l'on peut voir chez des tribus primitives qui veulent se préserver de plein de choses - Cette notion de refus d'autorité est un peu simpliste, car dans une bande le chef se fait respecter.
59 - Oui mais est-ce qu'il y a des chefs, actuellement est-ce qu'il n'y a pas une carence de chefs ?
60 - Je ne pense pas - Les chefs ne sont plus les mêmes - Avant c'est la société qui jouait le rôle de père - Le chef, maintenant, c'est beaucoup plus complexe : il peut y avoir des tribus où les deux sont confondus - Quand j'emploie le mot tribu c'est un peu à mauvais escient, c'est pour montrer les différents groupes sociaux, mais je ne suis pas sure qu'il y a une totale négation du chef, car sinon se serait l'anarchie complète.
61 - Je pense que nous sommes dans une société de consommation de masse par uniformisation des besoins.
62 - Plaisirs évoqués.
63 - La société fait en sorte que les besoins, qui sont tous les mêmes pour tout le monde, soient assouvis en même temps, et que l'on n'attend plus pour les satisfaire.
64 - Avant il y avait des bandes de 15 personnes, maintenant c'est plutôt des bandes de 50 personnes.
65 - Cela montre bien l'état de violence où en sont rendues les tribus de la société - Ils défendent leurs congénères qui sont dans leurs bons droits de récupérer de l'argent pour leur tribu - Les lois sont de plus en plus distinctes, il n'y a plus de normes reconnues pour tous - Le système est devenu tellement complexe que les gens vont se replier sur eux-mêmes, avec leurs voisins, leurs amis, pour créer des réseaux parallèles, donc des bandes organisées avec des chefs - Donc lorsqu'un membre du groupe se fait attaquer tous les autres font corps pour le défendre, au sein de la grande jungle qu'est la société.
66 - A propos de violence il y d'autres phénomènes, la violence cassée, c'est quelque chose de préoccupant - On tremble quand on voit les couleurs sur les murs - Quand on rentre dans un train, on a l'impression qu'une secte satanique est passée, on se demande si le train n'a pas eu l'esprit frappeur la nuit - On n'ose plus entrer dans le métro, dans la cabine téléphonique massacré comme si c'était quelqu'un - On a l'impression que la personne qui casse s'adresse à travers les transports en commun à un ensemble de gens avec qui on ne peut pas discuter, et qu'ils vont les faire payer - La colère les prend : on casse, c'est comme le père qui dit non sans expliquer - La violence cassée est importante.
67 - Je pense au symbole de la reconnaissance collective, le drapeau en est une – ou en était une encore, car maintenant cela fait un peu rigoler – on l'a retrouvé lors de la coupe du monde, et inversement la violence qui a été engendré par les hooligans, finalement ce n'est guerre que ça, sauf que le drapeau n'était formé que par un groupe plus petit (les couleurs de l'équipe de foot), et cela reste toujours comme ça - Que la tribu soit plus ou moins grande, finalement, il y a toujours des signes de reconnaissance sociale, qui font que l'on aura toujours tendance à se confronter au groupe qui est à côté, que se soit une guerre au niveau national, que se soit des hooligans, que ce soit même par équipe de foot interposées, c'est toujours ce qui va se passer - Et ça ce sont des phénomènes caricaturaux, et donc existence de groupes distincts de l'entité nation qui sont entre eux, et qui essaient de se mouvoir les uns les autres, donc conflits entre les groupes, et avec la nation, par l'intermédiaire de tout ce que l'on veut : confrontation avec la nation, que se soit le chauffeur de bus réclamant le ticket ou la Marianne qu'il faut casser, par l'intermédiaire de tout ce qu'on veut - C'est un phénomène assez latent, des tribus, on revient a diminuer le groupe.
68 - Mais ils ont le même idéal.
69 - Pour revenir à la violence dans les transports publics, le bus symbolise les gens qui vont à leur travail, et comme ces jeunes sont privés de travail, ils s'attaquent au moyen qu'on les autres d'aller au travail - Sentiment d'injustice ressenti - Et si la violence allait prendre des formes auxquelles on ne s'attend pas ? La répression n'est pas forcément la seule solution.
70 - Madame vient de prononcer un mot qui me semblait diffus dans la conversation, c'est : travail - On aspirait, avant, d'avoir un travail supérieur à celui de ses parents - Maintenant ce n'est plus possible, on en revient au chômage - Comment le travail peut-il être une valeur à partir du moment où il devient contraignant sans vision positive ? Ce n'est pas possible - Actuellement on recherche le plaisir, les entreprises de loisirs sont florissantes, il y a une dévaluation des valeurs sociales - Le travail, n'existe plus pour tout le monde et n'est plus une valeur, car il n'apporte plus rien derrière.
71 - Qu'est-ce qu'on peut faire ? D'une manière globale il faudrait rappeler qu'ils ont des devoirs mais qu'ils n'ont pas que ça, ils ont des droits - Pour eux la société n'est faite que d'interdits - J'étais vraiment étonnée que dans les collèges où il y a de violence on veuille la refouler, or ces gamins quand ils rentrent chez eux ressentent toujours les problèmes, et à l'école on met un point d'honneur à ce qu'il n'expriment pas cette violence, il faut leur faire respecter les règles - Mais il n'y a pas de structures où ils peuvent exprimer cette violence - C'est un effet cocotte minute.
72 - Est-ce que cette génération va donner des adultes violents ?
73 - Il faut être solide pour les tenir.
74 - On va leur laisser quelle échappatoire ?
75 - On vit dans une société de consommation et de production, et la valeur la plus valorisante est l'achat, et il n'y a aucune possibilité qui est donnée à la création artistique, et à un moyen de créer chez ces jeunes un goût pour autre chose que de la consommation pure car ils sont individuellement riches, et ces émotions-là sont extrêmement riches - Si on les mettait dans des environnements dans lesquels ils pourraient s'exprimer autrement que par la violence cela deviendrait des petits créateurs d'objets d'art ou autres, et cela les revaloriserait par rapport à eux-mêmes mais également par rapport aux autres, et cela vers un point de vue plus artistique.
76 - Oui, vers le théâtre, notamment.
77 - Oui, mais est-ce que les personnes qui le font sont des gens suffisamment convaincus que l'art est supérieur à l'argent - Si on place un liasse de dollars et un pinceau et une feuille à côté, je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui vont prendre les dollars.
78 - Toute cette violence montre qu'elle va vers la propriété de biens à laquelle ces jeunes ne peuvent accéder autrement - Et les individus devraient exister autrement que par la possession.
79 - Une expérience intéressante serait de fermer les centres commerciaux pour arrêter la consommation juste pendant quelque jours, et, à mon avis, il y aurait des gens en train de manifester.
80 - Juste une réaction : on prend l'exemple du papier et pinceau, et vous dites : moi je prends l'argent pour acheter beaucoup de pinceaux et beaucoup de feuilles - Votre réflexe est très évocateur, sur le principe de possession à l'extrême - Car il n'y a pas besoin de beaucoup de feuilles et de pinceaux pour être créatif.
81 - Il y a un âge critique, qui va déclencher la violence, et il serait intéressant de l'analyser.
82 - Je ne sais pas si on peut dire qu'il y a une classe, car il y a seulement quelques éléments incontrôlés et incontrôlables, dans différentes classes.
83 - On a tous fait notre période de violence où on remet tout en question et notamment les parents, c'est le moment de l'adolescence - Et là vous nous dites que maintenant c'est dix-douze ans, donc est-ce que les enfants sont adultes plus tôt et que finalement on débat pour rien car tout est normal ? C'est un phénomène qui est plutôt positif.
84 - Pas sûr.
85 - Ils sont plus ouverts.
86 - Cela ne serait-il pas une période d'adolescence anticipée.
87 - La violence n'existe pas que dans les milieux défavorisés.
88 - Je me demande quel sont les symboliques de la casse : les cabines, les trains, sont des malheureuses victimes.
89 - J'étais en train de faire le parallèle que l'on essaie tous de vivre avec le petit confort - On l'opposerait à la prise des armes, retour à quelque chose de plus barbare - Pour moi il y a quelque chose, deux volontés qui s'opposent à travers la même société.
90 - Il y a une souffrance d'un côté et un bien-être de l'autre.
91 - Dans cette volonté de conflit on est reconnu en terme d'adversité.
92 - On a affaire à une espèce de floculation de la société en tribus, il y a des buts entre les particules, on est arrivé à une société particularisée.
93 - Une société et un groupe doivent être reconnu, et la violence est un moyen d'être reconnu - Il faudrait donc arriver à se faire reconnaître sans violence.
94 - C'est vrai que l'on a besoin d'être reconnu mais au travers de quoi - On parle de mondialisation, d'échange, mais cela est un peu difficile - Comment avoir une reconnaissance à travers un système qui va être mondialisé ?
95 - Perte de notion de patrie - Les sectes sont une conséquence de cela.
96 - Je ne suis pas d'accord, c'est une volonté métaphysique de chacun.
97 - Moi, j'ai une conclusion, c'est qu'on manque de repères et d'horizons.
Note : Quelques interventions à la fin du débat se sont vues être rayées du compte-rendu de par leurs caractères personnels - En application de la Charte, le bureau supprima donc les propos hors débat - Il est rappelé que les interventions personnelles peuvent être échangées entre les personnes du débat mais après la clôture de la séance de l'Arcadie de Caen, et si possible en dehors de l'enceinte réservée au Café Citoyen.
Interventions
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