Compte-rendu synthétique par Christelle GANIER — Café Citoyen de Paris (19/11/2016)
Animateur du débat : Mehdi Guiraud
» Monde
Les crises sont-elles les seules manières de changer le monde ?
Mehdi Guiraud a introduit le sujet :
Aujourd’hui, on parle de développement durable, de changement climatique… Il y a la nécessité de changer le monde mais cela passe toujours par des crises.
On dit que pour changer le monde, il faut commencer par se changer soi-même. Or, cela ne semble plus suffisant, la prise de conscience individuelle de changer les choses est à la marge.
Par ailleurs, les élections succèdent aux crises et donnent de l'espoir mais on est toujours déçus.
La définition qu'on peut donner de la crise est la suivante : une grave dégradation proche de la paralysie.
Dans un changement de monde qui réussit, les crises ne devraient pas freiner la progression de la société.
→ Comment changer de monde sans passer par des périodes de doute, d'angoisse ? Est-ce nécessaire que les changements passent par quelque chose de violent ? Est-ce possible sans violence ?
1. QUELLES DÉFINITIONS DE LA « CRISE » ?
1.1. Crise et transition
La crise est associée à la transition, elle est un élément déclencheur du changement.
Les crises sont des transitions qui ont mal fini. Mais on peut aborder les choses différemment. C'est ce qu'on fait de la transition qui transforme l'époque en crise.
1.2. Crise et média
Tous les participants en ont convenu, il y a un abus de l'emploi du terme « crise » par les médias. Ce terme est galvaudé.
Pour certains, la notion de crise est même employée à tort et à travers pour dramatiser, faire culpabiliser.
« Tant que vous n'accepterez par les solutions qu'on vous propose, vous vous en prendrez plein la gueule ».
La capacité à s'indigner existe mais est étouffée à cause de ce mot « crise ». La notion de crise induit une certaine fatalité. Il y a des thèmes récurrents depuis des années qui entretiennent les débats jusqu'à un point de non-retour.
L’explication d’Edgar Morin [sociologue et philosophe français] a été mise en avant. Il y a eu un glissement étymologique : la crise à l'heure actuelle est un symptôme alors que d'après l'origine grecque du mot, c'est le symptôme et la solution.
2. QUELLES DÉFINITIONS DE « CHANGER LE MONDE » ?
2.1. Changer le système
- le système électoral
Le système et en particulier le système électoral a besoin d’être changé.
Avec la structure pyramidale, tout le pouvoir est concentré dans une seule personne et il est impossible de partager la connaissance. Les classes sociales les moins éduquées se trouvent confrontées à des barrières à franchir. Cela isole la possibilité de solutionner les vrais problèmes. C'est une absurdité complète de penser qu'une seule personne puisse avoir les bonnes réponses. Un dialogue permanent est nécessaire pour satisfaire la société. L'exemple du système « Ma voix » qui forme des citoyens à être députés a été donné : l'élection se ferait par tirage au sort et l'élu prendrait ses décisions par sondages sur internet.
La difficulté rencontrée pour changer le mode de scrutin est que les gens élus sont ceux qui ont des « moyens ». Les politiques doivent réagir.
Par ailleurs, le système pyramidal est rassurant : tout le monde n'a pas envie de prendre part aux prises de décision et se sent rassuré que quelqu'un d'autre se charge de piloter le navire. L'exemple du monde hospitalier où la pyramide s'inverse a été donné : les gens en bas de la pyramide sont en tension.
- les réseaux sociaux et les médias
Une critique des réseaux sociaux a été faite : avec Facebook, on construit une bulle d'informations dans laquelle on est à l'aise et le sens critique des autres média ne peut pas y entrer. Aux États-Unis, ce monde parallèle a donné l'illusion d'une société qui avait besoin de Trump comme réponse. La fiabilité de l'information sur ces réseaux sociaux est même discutable pour certains.
Pour d'autres, ce mode de fonctionnement a toujours existé ; on se fit parfois qu'à un seul média et on n’a donc pas forcément d'ouverture aux autres. Aujourd’hui, il y a une exacerbation du principe par rapport aux réseaux sociaux. Pour certains Facebook permet d'avoir une vision plus large grâce aux contacts qui relaient d’autres informations.
On assiste à une crise de l’information aujourd'hui : « Trop d'infos tu l'info ». On est noyés dans un flot d'informations qui ne sont pas toujours constructives. Les médias ont une part de responsabilité là-dedans en noyant le poisson pour éviter qu'on se pose les bonnes questions, les questions importantes pour l'avenir de l'humanité. Une des participantes va même jusqu’à dire que certains médias sont dirigés pour nous museler.
On n'a pourtant jamais eu autant de supports pour faire des informations réelles et intéressantes. Le problème est qu'on va à la facilité car il y a de moins en moins d'esprit critique et de moins en moins de temps, d'envie de trier les informations. Avec cette surinformation, se pose la question suivante : Est-on capable d'avoir du recul, de prendre en mains les choses ou doit-on laisser d'autres personnes gérer à notre place ?
L'exemple de la baisse de la fertilité au Japon a été donné. Les jeunes sont de plus en plus connectés et voient ce qui se passe ailleurs et ne veulent pas être en couple. C'est positif mais il y a une crise de l'information à l'échelle d'un pays.
L'un des participants s’est pris à imaginer un algorithme qui générerait une contre information sur Facebook, ce qui permettrait de comprendre les différents angles.
3. POURQUOI DES CHANGEMENTS PAR LES CRISES ?
3.1. Nécessité de crise pour changer
De nombreux lanceurs d'alerte tirent la sonnette d'alarme mais on attend la crise pour réagir. Il faut qu'on soit en situation de survie pour arriver à se bouger : la société, avec l’accélération du temps, entraîne le mode « survie » et pousse à agir ainsi. C'est souvent ça qui pousse un individu à changer, à sortir de son confort. C'est une adaptation de l'homme, c'est naturel.
Un point positif a été évoqué. Dans le mode « survie », on se tourne plus facilement vers le collectif. La solidarité est alors renaissante grâce aux crises. On observe en effet un retour de la solidarité en temps de crise.
3.2. Un changement par la force plus facile ?
Il n'y a pas de transition en douceur.
Les transitions sont difficiles à faire passer. La crise serait-elle alors l'outil du changement par la force des politiques ? Cette question est restée en suspens.
4. QUELLES AUTRES SOLUTIONS ?
4.1. L'anticipation
Si on ne veut pas passer par la crise, il faut de l'anticipation. Il y d'ailleurs de plus en plus la volonté d'anticiper, l'idée d'une transition sans passer forcément par la crise.
Mais l’anticipation pose la question de l'argent car la projection coûte. Or, se pose le problème du manque d'argent.
Les crises font prendre conscience de quelque chose qui existait auparavant mais dont on n’avait pas encore conscience. Il faut essayer de voir les choses avant que d'être dans le mur.
4.2. Changer « son » monde et renouveler la démocratie
- changer « son » monde
Se pose la question de l'optimisme dans la capacité de l'homme à changer : Est-ce que l'homme va se replier sur lui-même ?
On est capable de se bouger individuellement sans être en situation de survie. La contrainte favorise ainsi la créativité : on est libre mais la mise de barrières régulières permet de changer son quotidien.
Mais attention, l'individu n'a pas d'action sur le global. Aussi, il ne faut pas compter que la globalité change.
On se change pour être plus efficace dans le collectif.
- une nouvelle démocratie
Il faudrait revenir à une agora citoyenne. Or, avec l'individualisme, c'est compliqué. Les gens sont volontaires mais dans les faits, il ne se passe pas grand-chose. Il y a un désengagement du citoyen, un retrait de son pouvoir d'action.
Avec des projets solidaires, on apporte des réponses collaboratives, collectives. Il s'agit de construire ensemble des règles communes. L'un des participants a évoqué le mode de prise de décision pratiqué à son travail, la sociocratie, dont il est très satisfait.
On revient là à l'essence-même de la démocratie : « le pouvoir au peuple ».
Il faut que tout le monde ait le pouvoir, il faut trouver un entre deux, ne pas attendre de demander aux gens. Chacun peut apporter sa pierre. L'exemple du jury a été donné (tirage au sort et obligation d'y participer). Il faudrait développer cela, une sorte de « service citoyen » plus ou moins obligatoire où il s'agirait de mettre son travail entre parenthèse pour être au service de la société, pour participer à l'effort collectif.
Pour gouverner, il y a la nécessité de communiquer le savoir d'où une nécessaire érudition.
4.3. Éducation et érudition
Ces deux termes ont été évoqués conjointement et rapidement une précision a été donnée : L'érudition concerne une expertise dans un domaine. L'éducation, quant à elle, concerne tout le monde.
- Pour ne pas être obligé de passer par la crise, il faut partager le savoir et la connaissance et favoriser l'érudition. L'érudition ne doit pas exclure.
Pour certains, il ne faut pas sacraliser l'érudition. On a chacun en soit les ressources nécessaires pour acquérir des compétences. La connaissance est à la portée de tous, il faut faire l'effort.
- Il faut également éduquer les générations futures à s'ouvrir, à confronter des points de vue. Il faut « apprendre à apprendre », à aller chercher l'information.
On peut parler d'une crise de l'éducation car il y a un niveau d'accès à l'information réduit du fait du manque d'apprentissage. On maintient la masse par la base pour éviter la rébellion.
Il faut un minimum de bases pour avoir une grille de lecture qui permette de décrypter la société.
Il y a certes une crise de l'école mais avoir des carences sur certains sujets n'empêche pas de bien vivre. Le curseur de la curiosité est plus ou moins large selon les personnes.
La curiosité correspond à l'enfant que l'on a en soi. C'est important de le conserver, ça permet la créativité.
CONCLUSION
Chacun des participants a été invité à partager sa conclusion :
- Il est important de changer l'éducation pour changer les comportements.
- Ça doit partir de soi.
- On change après l'école. L'éducation ne se cantonne pas qu'à l'école. Nous devons être moteurs d'un changement de méthodologie dans les apprentissages.
- Il y a un pessimisme ambiant alors qu'on a des ressources pour véhiculer quelque chose de beau qui peut être la solution.
- On peut anticiper individuellement mais ce sont les gouvernants qui doivent anticiper.
Éducation, amour, nous : la crise n'est pas le seul moyen !
***
Thèmes proposés pour le prochain débat :
A) Est-on un citoyen en permanence ?
B) Comment et avec qui participer à la transition ?
C) Comment veut-on voir le monde dans dix ans ?
D) Comment faire évoluer l'éducation pour avoir un esprit critique ?
à reformuler en : Esprit critique : Comment faire évoluer l'éducation ?
E) Le rôle des médias est-il uniquement d'informer ?
F) Mieux communiquer pour mieux coopérer ?
G) Seriez-vous prêt à vous engager pour la France ?
H) Engagement citoyen, quels enjeux ?
I) La société est-elle solidaire ?
Thème choisi :
D) Comment faire évoluer l'éducation pour avoir un esprit critique ?
à reformuler en : Esprit critique : Comment faire évoluer l'éducation ?
Interventions
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