Compte-rendu analytique par François Toutain — Café Citoyen de Caen (30/05/1998)
Animateur du débat : François Toutain
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Science et éthique : quel est le rôle des scientifiques et de la science dans le monde comtemporain ?
1 - Je suis un peu choquée, dans la vie quotidienne, dans les grands événements de notre société, de voir que la science soit tenue secrète, c'est-à-dire que les aboutissements scientifiques sont tenus secrets, et, en quelque sorte on peut dire que la science est ésotérique. Je suis également surprise que ces aboutissements se transforment en système commercial, et, en général, sont mal utilisés par ceux qui les détiennent. De plus, les scientifiques n’ont rien à dire, ils ont, en quelque sorte le rôle d’esclaves. Ils n’ont qu’à produire leurs théories, ils n’ont qu’à offrir leurs techniques. Je trouve que cela est dangereux. Comment sortir de ce guêpier, et nous rejoignons ici la proposition concernant l’éthique, pour faire en sorte que la connaissance scientifique permette réellement le progrès sans la condition commerciale. Comment l’homme scientifique arrivera-t-il à faire valoir sa conscience morale, alors qu’il n’ a rien à dire ? Il n’a qu’à offrir son travail, et se soumettre à l’autorité politique. Cela me heurte à un tel point que je trouve cela dangereux. On arrive à un seuil où il faudra décider que l’homme de science a droit d’avoir ses interdits, sa morale, sa conscience. Quel est le prix à payer pour lui reconnaître ce droit ?
2 - Je ne suis pas sûre que ce soit aux scientifiques eux-mêmes à établir leur propre morale. Quand je disais qu’il paraissait important qu’il y ait une réflexion sur les progrès de la science, et sur la façon dont on va les utiliser, c’est plus, dans mon esprit, quelque chose comme, les scientifiques font leur travail, et que fait-on de ce travail, que met-on en place comme instances pour permettre d’y voir plus clair? L’exemple qui vient tout de suite à l’esprit concerne tout ce qui a attrait aux avancées de la science dans le domaine de la procréation artificielle. Je pense que, par rapport au fait que maintenant, si on prend le cas de la procréation assistée, une femme peut avoir un enfant sans qu’on sache bien qui est le père, et qui est la mère. Comment va-t-on se débrouiller de ce problème-là dans la société. Qui va avoir le droit de trancher ?
3 - Il y a deux types de sciences. Il y a la science dite fondamentale qui cherche à augmenter le savoir humain, et à essayer de comprendre les mystères de la vie, et la science appliquée. C’est de celle-ci dont vous parliez lorsque vous évoquiez la technologie génétique. Il faut bien séparer les deux dès le départ dans le débat.
4 - Actuellement, la science n’est presque plus qu’une science appliquée. La science a longtemps marché par système de crédits - crédits d’état par exemple. Maintenant, les crédits sont apportés à ceux qui peuvent les rentabiliser de façon rapide, d’où l’essor de la science appliquée depuis la première guerre mondiale. Quand à la science fondamentale, elle a perdu de sa superbe - je parle ici de la superbe qu’elle avait il y a deux siècle, où les scientifiques étaient en même temps philosophes, penseurs. C’est pour cela qu’on en voit le danger. La science n’est plus qu’au service de la technologie, et n’a plus de vie en elle-même. Or, c’est sa vie propre qui est synonyme de progrès, et pas ses applications technologiques.
5 - J’ai envie de poser les rapports entre la science et les citoyens, et plus approfondir le rôle entre science et démocratie. Lorsqu’une découverte est faite, et que se pose le problème de son champ d’application, qui doit avoir un droit de regard sur cette application? En France, il existe un Comité d’éthique. Celui-ci doit-il avoir des pouvoirs ? Et nous, en temps que simples citoyens, peut-on intervenir ?
6 - Le comité d’éthique français existe certes, mais nous ne connaissons pas son travail.
7 - Il est intervenu dans le cas de la fécondation in vitro qui a posé certains problèmes.
8 - J’ai envie de dire que ce qui pose problème, ce sont les applications. Par exemple, les scientifiques viennent de découvrir un gène de l’endurance. Ce sont les applications qui vont poser problèmes. Ce comité va peut-être poser des limites. On sait que ça existe, et après, qu’est-ce qu’on en fait ? Cela veut dire : est-ce que les gens vont, à un moment donné, pouvoir choisir ? Et c’est là que ça pose vraiment problème. Les gens sont-ils en mesure d’être raisonnables ? En gros, si on vous propose d’avoir un enfant qui serait grand, beau, et artiste, c’est clair que vous aurez tendance à accepter facilement. Est-ce que le citoyen doit avoir réellement ce choix-là, où est-ce que cela doit être réservé à une commission qui dit non, on ne peut pas tout choisir ; après tout la vie, c’est aussi le mystère, l’inconnu, il y a des choses qui doivent se faire sans que ce soit décidé. D’autre part, à quel stade peut-on décider ? Dans le cas de maladies très graves, génétiques par exemple, est-ce qu’on peut décider qu’on dit aux parents qu’ils peuvent interrompre la grossesse ? Et, à partir de quel stade on peut le dire ? Pour des maladies très graves, tout le monde va avoir tendance à dire oui, on les prévient pour qu’ils puissent prendre une décision. Après, il existe des cas beaucoup plus limites, où les maladies ne sont pas forcément très graves, mais où les parents ont tendance à répondre, « oui, on arrête ». Par exemple, les becs de lièvre. Ce n’est pas quelque chose de très grave. Mais les parents sont très impressionnés. Quand on leur dit, au début, ils ne voudront naturellement pas de cet enfant.
9 - Pas naturellement ! C’est peut-être accepter un peu vite cette idée que, si ce n’est pas comme je veux, et bien, poubelle. Il y a cette attitude qui se généralise, et qui est le produit de la vulgarisation de la science qu’on a connu. Comme on a vu qu’avec la science, on pouvait faire plein de choses, cela a donné l’idée aux gens que, d’une certaine manière, il fallait faire les choses le plus facilement possible. C’est justement cela qui pose problème. Est-ce qu’on peut tout faire ? La science peut faire beaucoup de choses que peut-être la morale peut condamner. Seulement, quelle morale ? À ce moment-là, ce n’est la question de la science, c’est la question de « au nom de quoi, devrait-on dire qu’il y a des choses qu’on doit faire, et des choses qu’on ne doit pas faire ? ». Après tout, ce n’est peut-être pas évident du tout de dire, par exemple, j’ai un enfant mal formé, je vais avorter. Il y a des gens qui, dans la même situation, gardent l’enfant et s’en occupent. D’une certaine manière, ils acceptent, et vivent avec cet enfant qui bouleverse totalement leur vie, mais qui, en même temps, en tout cas selon le témoignage de certains, leur apporte aussi quelque chose. Par conséquent, l’attitude spontanée, que tout ce qui gêne mon désir immédiat, je n’en veux pas, quelque part, peut-être est-ce contestable. Mais, encore une fois, la question n’est pas tant celle de la science en elle-même, que celle de la morale au nom de laquelle on dirait « il y a des limites à la science ». Parce qu’il est bien joli de dire qu'on veut mettre de la morale dans la science, mais est-ce que les gens qui disent cela sont d’accord pour dire quelles sont les choses qui ne doivent pas être faites absolument. Et donc, au nom de quoi ! ? Je crois que notre société tout entière, aujourd’hui, souffre du fait que nous n’avons plus de convictions morales - enfin disons que socialement cela n’existe plus.
10 - J’ai l’impression que le problème entre science et ethique, vient de la diffusion du savoir, et de la façon dont on le diffuse. Par rapport à des thèmes très important comme la maitrise des gènes, la maitrise de l’atome etc, j’ai l’impression qu’on a diffusé très vite, trop vite, un peu n’importe comment, et qu’après on essaie de remettre un coup de morale là-dessus pour ratrapper les dégâts. Ça me semble assez grave. Lorsqu’on découvre quelque chose, j’imagine qu’on trouve assez vite « les dangers » de ce savoir, et, dans ce cas, il y a deux attitudes: soit on le cache, soit on ne le cache pas aux gens.
11 - Ce ne sont des dangers qu’au nom d’une certaine morale.
12 - Oui, ce sont des dangers potentiels pour monsieur et madame tout le monde. Quand je parle de dangers, c’est un peu comme cela. Vraiment, on balance des trucs comme cela, on entend à la radio qu’on a trouvé un gène de l’endurance et que les sportifs qui le possèdent seraont bien meilleurs que les autres. C’est quand même un choc. J’ai l’impression que la diffusion de telles choses, qui sont quand même importantes au niveau de la connaissance humaine, doit se faire vraiment d’une manière attentionnée si on décide de la dire. Il faut, sans doute, le dire à doses homéopathiques, et ne pas dire n’importe quoi, n’importe quand, n’importe où.
13 - Donc, il faut être ésotérique.
14 - Non, pas forcément ésotérique, mais peut-être qu’on peut considérer qu’on n’est pas dans un stade tel d’avancement - enfin je ne sais pas, c’est une hypothèse. Pourquoi ne pas considérer que les gens ne seraient pas assez adultes pour percevoir le message, et pourraient créer plein de dangers pour leur intégrité propre, et l’intégrité de la société.
15 - J’ai eu l’occasion de voir dernièrement un film qui est au cœur du sujet : Bienvenue à Gattaca. Ce film parle de la science et de son application. On y parle d’une société qui ne vit que par la science, société bien structurée qui a ses propres individus déterminés depuis la naissance. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est que quelqu’un puisse, un petit peu, bouleverser toutes ces structures par ses rêves, son imagination, et surtout son envie de liberté et son envie d’aller jusqu’au bout de son rêve. Justement, je crois que, dans ces problèmes de flexibilité de la science, il faut remettre au centre, directement l’épanouissement de l’individu. Ce n’est pas en voulant un enfant parfait, qu’on va lui donner toutes les chances de s’épanouir. Je pense qu’il faut surtout l’aider à pouvoir évoluer tel qu’il est dans la société.
16 - Depuis le début de la réunion, j’ai noté deux expressions : « comment en sortir », et « rêves, imagination. » Justement, pour pouvoir s’en sortir, il va falloir inventer. Pour la première fois, le globe commence à vivre son ère scientifique. Celle-ci est représentée par la matière grise des gens qui travaillent, alors qu’auparavant, jusque-là, on a vécu avec la force animale qui prédominait.
17 - Par rapport à ce qu’on a dit tout à l’heure, ce qui me semblait important, c’était de distinguer le niveau individuel et le groupe collectif. Nous sommes chacun dans notre liberté, on est aussi dans la liberté d’être alcoolique. Mais, si on prend le volant sous alcool, et qu’on tue cinq personnes, ça pose problème à l’ensemble de la société. C’est difficile de raisonner uniquement au niveau individuel. Le danger, c’est que raisonner uniquement au niveau collectif, va faire crier les gens au totalitarisme, parce qu’il va bien falloir que chacun jouisse de sa liberté, mais dans un cadre qui tient compte des autres.
18 - D’où la morale !
19 - Et bien, justement, ça tombe bien. J’aimerais connaître une définition commune de la morale. En outre, je suis sûre que la morale d’un scientifique n’est pas la même qu’une morale économique, une morale militaire, une morale politique. Si chacun d’entre nous donnait sa définition, il y aurait autant de définitions que de personnes présentes. Les critères de morale vont être différents. Je vois deux types de morales : une morale interne, et une morale externe. La morale externe fait plus référence à des dogmes, et la morale interne est plus du registre du développement de la personne, de ses références internes. Effectivement, le scientifique peut avoir une morale propre, mais la masse scientifique en a une autre. Si on prend l’application, et bien, il y a l’application de l’individu tout seul qui se demande si ce type de choses correspond à ses valeurs, mais il y a aussi la morale économique. Il y a différents facteurs qui font que, ce qui ne me semble pas moral à moi, sera tout à fait moral politiquement pour d’autres. De plus, il y a chez l’humain la quête de la perfection. Quel que soit le milieu, on a toujours, me semble-t-il, le désir d’être meilleur… cela fait aussi référence à l’acceptation de soi. Il faudrait d’abord définir la morale.
20 - Le dictionnaire dit « différence entre le bien et le mal ».
21 - Justement, je ne sais pas si le terme de morale convient. Pour moi, quelque chose qui est moralisateur, vise, dans le sens courant, à donner des leçons. Par contre, ce que je sais, c’est que dans la société, on a besoin de règles pour qu’elle puisse fonctionner dans un équilibre, qui soit le meilleur pour chaque individu. Par exemple, face à certaines découvertes scientifiques, comme certaines manipulations génétiques, il est nécessaire de mettre en place des règles, pour ne qu’il y ait des dérives. Je ne sais pas si c’est moral ou pas, mais il est nécessaire, qu’au sein de la société, il y ait un équilibre pour ne pas que l’humanité ne court à la catastrophe. Je pourrais prendre un autre exemple qu’est la suppression des armes nucléaires, et la volonté de chaque pays d’avoir sa bombe. Face à cette course vers la mort, quelle doit être l’activité du citoyen, quelle doit être sa réaction ? Nous vivons actuellement à l’ère atomique, mais comme disait Einstein, « l’atome a tout changé, mais l’humanité reste à l’âge de pierre ».
22 - Je crois qu’il y a une ambiguïté à parler de morale individuelle. Quelque part, cela ne veut rien dire. Parce que nous sommes, en tant qu’individus, nés dans un groupe. En tant qu’individu, nous avons été formés, partiellement conditionnés par ce groupe, et nous répétons, adultes, en grande partie, les opinions dans lesquelles nous avons été élevés. Par conséquent, la morale, en un sens le plus élémentaire du terme, ce sont les coutumes, les règles de pensées, les opinions généralement acceptées autour de nous. C’est une morale collective ; toujours collective. Morale vient de Mores, qui veut dire les mœurs, donc ça veut dire la manière dont les gens vivent à un moment donné. Jamais personne n’a vécu tout seul, indépendamment de toute société dès sa naissance. C’est impossible. Pour être un homme, il faut naître dans un groupe. Naître dans un groupe, ça veut dire intérioriser un certain nombre de règles, donc intérioriser une morale. Ce qu’il y a de particulier, et qui fait qu’aujourd’hui, quelque part, on parle de morale individuelle, c’est parce que nous sommes une société individualiste. C'est-à-dire qui valorise l’opinion de l’individu en tant que telle. Mais, quand collectivement on valorise l’individu en tant que tel, c’est quand même encore une morale collective. Je ne crois pas que si nous demandions ce que nous estimons tous être bien ou mal, je ne crois pas qu’il y ait autant de différences que vous sembliez le croire tout à l’heure. (Intervention n°19). Si nous supposions qu’il puisse y avoir une morale effectivement individuel, alors, je n’aurais absolument aucun droit de dire « cette espèce de salaud qui a violé trois petites filles ». Au nom de quoi devrais-je dire, c’est un salaud ? Au nom d’une certaine conception du bien. Donc, la question qui se pose au niveau de la morale, c’est : il y a une morale sociale, toujours collective, et il y a la réflexion philosophique, ou scientifique, en tout cas, qui réfléchie sur le bien le mal, et qui se dit, est-ce qu’il est possible, dans le domaine du bien et du mal, du juste et de l’injuste, de trouver des normes qui soient des normes acceptables, non pas par tout le monde, mais par toutes les personnes qui acceptent de raisonner sur cette question. C’est vrai que toute la tradition philosophique a réfléchie sur ces questions-là. Non seulement la tradition morale, la tradition non philosophique, influencée par la tradition philosophique, a trouvé des normes générales, qui se retrouve, par exemple, dans les Droits de l’Homme ; mais la tradition philosophique a aussi trouvé, à un niveau qui dépasse la morale quotidienne, un certain contenu objectif à donner à la notion de bien et de mal.
23 - Je voulais réagir sur votre question de définir la morale (Intervention n°19). La morale, pour moi, c’est une expérience populaire, qui est orientée vers une finalité pratique, mais qui est plus ou moins enfouie sous des critères abstraits. En définitive, le but premier a souvent été perdu, ce qui fait que la morale n’est pas forcément bénéfique au moment présent. C’est finalement trop souvent grossier. Je voulais surtout réagir à ce que vous disiez sur la différence entre la science et le savoir aujourd’hui (Intervention n°10). On a l’impression que le savoir traditionnel, même le savoir millénaire, s’écrase alors qu’il a pu survivre très longtemps, au profit d’une science qui, en fin de compte, se déclare comme toute-puissante, ou se déclare comme supérieure aux savoirs traditionnels, au point de le ridiculiser. Mais, qu’est la science par rapport aux savoirs traditionnels pour qu’elle s’impose à ce tel degré ? En fin de compte, elle est nouvelle, et cachée dans des mains qui la commercialise. À quels critères obéit-elle pour être à ce point autoritaire ? Quelle est la différence entre savoirs et science ?
24 - Je me posais une question, à propos de « y-a-t-il une morale, ou des morales ». En France, nous sommes assez loin des grosses dérives possibles au niveau de la maîtrise génétiques. Les gens sont encore assez réticents, et, en tout cas, la morale a plutôt tendance à dire « non, ce n’est pas bien », ou, tout du moins, « il ne faut pas tout contrôler ». Par contre, il y a des endroits, je pense particulièrement aux Etats Unis, où cela devient un commerce. C'est-à-dire que c’est accepté par les gens, et qu’il y a une demande, et une offre. On peut voir qu’il y a un cabinet avec des médecins, qui font en sorte, de choisir les pères. Il y a une image qui m’a horrifiée, c’est le cabinet de ce médecin, où l’on voit les images des enfants qui ont été - j’ai envie de dire - crées au sens matériel du terme. Ce n'était que des enfants blonds aux yeux bleus. C’est vraiment problématique. En France, je pense que nous sommes très loin de ce genre de dérives, mais, il est des endroits où c’est déjà le cas. C’est un commerce qui marche. Les mères demandent un père plutôt scientifique, avec un Q.I. de 160… Est-ce qu’au niveau mondial, il ne faudrait pas se mettre d’accord, pour le coup, sur une morale ? Au nom de quoi y aurait-il des pays où l’on pourrait « choisir sa descandance », et au nom de quoi y aurait-il des pays où on ne pourrait pas ?
25 - Je vais intervenir exactement dans le prolongement de ce qui vient d’être dit. C’est vrai, il y a des morales dans des pays différents qui sont totalement différentes. La communauté scientifique est une communauté qui se mondialise, qui a depuis longtemps compris les vertus des colloques internationaux, des échanges. C’est, pour eux, qu’on a, en partie, crée internet. C’est une communauté qui se mondialise ; tout le monde parle anglais ; on s’échange les documents etc. C’est pourquoi, pour moi, ce n’est pas la morale qui doit définir le cadre limite des scientifiques, c’est la communauté scientifique elle-même qui doit s’auto-responsabiliser. Elle doit commencer à adopter une règle déontologique internationale, qui permette d’échapper à ces morales parcellaires. C’est cette communauté qui doit prendre une responsabilité pour pouvoir se donner ces règles. Après tout, personne ne connaît mieux ses limites que soi-même.
26 - Nous disions au début que la science est principalement un métier. Il ne faut pas croire que tous les scientifiques, et tous les chercheurs, sont des Léonard de Vinci. J’ai plutôt tendance à dire qu’il a beaucoup de « fonctionnaires » de la science. Comment est-on chercheur ? On fait une école, on devient peut-être ingénieur, après, on passe un doctorat, et puis voilà, on est chercheur. Imaginez toute cette communauté de gens qui cherche. Si une personne trouve, que se passe-t-il ? Tous ces gens vivent dans notre société, ils sont tous là. Premièrement, ils vont tâcher de rentabiliser ce qu’ils trouvent. Je crois que, quand on parle de la morale du scientifique, il faut dire que les scientifiques ne sont pas forcément responsables de ce qu’ils trouvent. J’ai l’impression que la science appliquée a tellement pris le pas sur la science fondamentale qu’il n’y a plus que des scientifiques qui font de la science appliquée. Lorsque celle-ci aboutit à des découvertes qui sont de l’ordre du fondamental, personne n’est plus capable de gérer cela, et surtout pas les scientifiques eux-mêmes. Je ne crois pas que lorsque le savoir devient supérieur à l’esprit humain, et que l’on est plus capable de déterminer toutes les composantes de la diffusion de ce savoir, il faut qu’il y ait un comité de gens qui soient extérieurs et qui décident des suites. Le scientifique lui-même a déjà, le plus souvent, travaillé sur commande. Et, de plus, s’il a eu la chance de trouver, après tout, il n’est pas forcément capable de décider de ce qu’il va faire de sa découverte.
27 - Je parlais d’un comité de scientifiques, et pas du scientifique lui-même. C’est le groupe scientifique qui doit trouver dans son sein un organe. Les médecins, lorsqu’ils chassent une personne ayant mal agit dans l’ordre des médecins ; c’est un comité de médecins qui décident. C’est un peu le comité d’éthique des médecins.
28 - Oui, enfin bon justement, cet exemple n’est pas terrible.
29 - Je ne suis pas d’accord du tout. C’est très grave ce que vous dites. C’est un peu, pour rapprocher cela d’un thème d’actualité, comme l’indépendance de la Justice. Ça veut dire qu’il y a une république de juges qui va faire n’importe quoi. Nous avons déjà les transnationales qui nous écrasent, si, en plus les scientifiques font ce qu’ils veulent dans leur domaine scientifique, non. Il y a des gens qui ont une très grande honnêteté morale. D’autres sont de véritables voyous.
30 - Face aux dérives commerciales que peut être amenées à prendre la science, quel doit être notre rôle de citoyens ? Par exemple, dans certains pays du tiers-monde, comme l’Inde, et aussi certains pays d’Amérique Latine comme le Guatemala, on prend des enfants dans des familles pauvres, on les met dans des maternités, on les gave, et on leur enlève des reins pour les donner à des enfants de pays développés. Est-ce que de telles dérives sont acceptables ?
30 - Ce n’est pas de la science, c’est du commerce.
31 - Ce que tout cela signifie - ce n’est pas une question de morale, ce n’est pas une question de savoir - c’est une question politique.
32 - Tout à fait.
33 - C’est une question de régime politique d’abord. C’est aussi une question - à l’intérieur d’un régime qu’on suppose libre, ou en tout cas doté de systèmes de contrôles des pouvoirs qui empêchent relativement qu’il y ait usurpation, ou profit excessif de l’exercice du pouvoir - de mobilisation, de politique de publicité ou d’éducation des citoyens visant à faire comprendre ce qu’il y a de positif, et pourquoi on le fait. Ce qui signifie évidemment que, dans la politique, il y a nécessairement une dimension morale. Mais, il est certain qu’aujourd’hui, la science est complètement dépendance des systèmes de pouvoirs.
34 - Ne serait-ce qu’au niveau des crédits. On voit que le gouvernement supprime la recherche fondamentale, et qu’au surplus on dit qu’il faut aller de l’avant, où va-t-on ?
35 - Je me demande si ce ne sont pas les politiques qui sont à la merci de la science. La science n’est pas seulement les exemples que vous avez cité tout à l’heure. On peut généraliser en parlant de techniques. Quelqu’un qui possède la technique par rapport à un politique qui, lui, ne la connaît pas : n’est-ce pas celui qui est informé qui va finalement s’imposer ?
36 - Je crois que c’est un petit peu exagéré le pouvoir des savants. Les savants sont des gens de laboratoires - et il serait d’ailleurs intéressant de se demander ce que cherche un savant, un philosophe. Dans quelles mesures les exigences de la science ou de la philosophie sont compatibles avec les exigences de la société. Le fait est, que dans une société donnée, quelle qu’elle soit, le pouvoir, tant d’ailleurs économique que politique, repose en grande partie entre les mains du pouvoir politique. Ce dernier dispose d’un pouvoir sur la société, aujourd’hui, grâce notamment à la science, dont il n’a jamais disposé auparavant. Ce qui fait que notre société risque, en un sens du fait des moyens scientifiques qui sont à sa disposition. D’où la question, quel régime politique, et quel projet de société ? On dit que la démocratie, c’est évident. Mais il faut peut-être aller plus loin.
37 - On ne pose jamais cette question du projet de société !
38 - Je voudrais continuer sur les relations entre la science et la politique. Tout ce qui se passe aujourd’hui, c’est voulu par quelqu’un qui a un pouvoir. Donc pouvoir politique. Quand monsieur dit que les politiques sont à la merci de la science, attention ! Il y a politique et politique. Il y a les hommes politiques qu’on connait qui sont obligés de faire ce qu’on leur dit, mais les vrais politiques, on ne les connaît pas. Maintenant, il faut raisonner de façon mondiale, et le vrais politiques sont ceux qui mènent le monde, et personne ne les connaît.
39 - C’est le citoyen, quand même qui est à la base !
40 - C’est de l’angélisme ça !
41 - Quand on prend l’exemple simplement des dernières découvertes qui ont été faites contre le S.I.D.A., et qu’on voit les procès en cascade entre les Etats Unis et la France, personnellement, j’ai tendance à penser que les scientifiques ne sont adultes, et que justement, on ne doit pas confier aux chercheurs le savoir qu’ils trouvent. C’est triste à dire, mais c’est un peu comme cela. De plus quand vous disiez que c’est un organisme un petit peu mondial qui échange beaucoup de choses (intervention n° 25), il n’échange que des rapports qui datent de vingt ans. Les dernières découvertes ne sont absolument pas échangées, parce qu’elles sont d’un intérêt économique beaucoup trop important.
42 - Je voulais revenir sur les rapports entre la politique et la morale. Je voudrais bien savoir ce qu’il y a de moral dans une politique nataliste, ou au contraire dans une politique qui favorise l’ordre économique. Je crois que c’est vraiment là quelque chose qui entraîne une société vers des dérives énormes, dans la mesure où ce qu’on voit en Chine par exemple, c’est qu’avec la politique de l’ordre économique, on favorise les garçons. Il y a donc une quantité de petites filles qui sont en train de mourir dans les orphelinats. Si cette chose se répand dans d’autres pays, on va avoir une grosse majorité d’hommes sur le globe, et on peut être amené à voir des choses dramatiques par rapport à cela. Je crois vraiment que c’est urgent pour nous, d’avoir une réflexion. On parlais de comité d’éthique tout à l’heure, j’aurais tendance à dire un comité de sages, de personnes qui effectivement soient à l’extérieur du monde scientique, du monde médical, du monde politique etc, et qui puissent donner un avis.
43 - Cela existe déjà.
44 - Je sais bien, mais comme vous disiez tout à l’heure, on ne les voit pas beaucoup. Ce sont peut-être des emplois fictifs…
45 - Pour poursuivre un peu dans cette voie-là, ce qui me fait très peur, c’est que les scientifiques ne sont pas nécessairement aptes, parce qu’il y a des enjeux d’ordre très différent d’ailleurs, à décider de tout cela. Ce qui me fait peur également, c’est que les citoyens, je ne suis pas sûre qu’ils soient aptes à en décider non plus. C’est là où il y a problème.
[Réactions nombreuses]
46 - C’est d’une gravité énorme ce que vous venez de dire!
47 - Lorsque je vous parlais des Etats Unis, ce sont les gens qui ont décidé de choisir comment leur enfant serait crée, comment il serait obtenu, et quelles seraient ses capacités futures. C’est là que je dis qu’il y a quand même un problème. À ce moment-là, qui va être apte à décider de cela ? Et au nom de quelles normes ? Vous voyez, là ça pose véritablement problème. D’un côté, on a des enjeux commerciaux énormes, où les scientifiques doivent vivre…, d’un autre côté, on a des citoyens qui ne sont pas toujours informés, qui ont envie, comme vous disiez que leur enfant soit le mieux possible. Qui va pouvoir décider de ce qui est acceptable ou non ? Qui va pouvoir décider des limites ?
48 - Je crois que c’est moins une question d’aptitude qu’une question d’autorité. Des gens aptes à imposer une morale, à imposer un ordre, à contrôler, en fin de compte, les agissements de tous et chacun, il y en a sans doute beaucoup. Mais des gens qui ont l’autorité pour l’imposer, il n’y en a pas beaucoup, parce que cette autorité est censée exister depuis longtemps, elle est entre les mains des ministres qui, en fin de compte, arrivent au pouvoir dans des conditions pas très nette, pas très démocratiques en tout cas. L’autorité est tellement concentrée dans un système rigide et archaïque, qu’en fin de compte, les gens, aptes ou non, on ne les connaît pas, ils sont écrasés. Les gens aptes à maitriser les problèmes de notre société n’ont rien à dire.
49 - Autorité, justement, parlons-en. Vous connaissez l’origine du mot, ça vient de « auteur ». Dans le problème de savoir qui a l’autorité, on a parlé tout à l’heure des gens qui « programment » un enfant d’une façon donnée, avec des qualités données etc…, parce qu’ils s’en sentent le droit en tant qu’auteurs de ses jours. Si on prend le problème du côté des enfants, aucun enfant n’a demandé à naître. Le fait que les enfants soient bien obligés d’accepter les parents qu’ils ont, me semble avoir pour corollaire le fait que les parents soient bien obligés d’accepter les enfants qu’ils ont.
50 - Je voudrais revenir sur le mot « autorité », et essayer de distinguer par rapport à la diffusion du savoir, et donc, des grandes connaissances qui peuvent peut-être porter préjudice à l’homme. Pendant des siècles, ça a été relativement simple. Il y avait ce qu’on appellait la mise en index, empêcher les gens de lire, d’écrire, comme cela ils étaient ignards, ne pouvaient remplacer le pouvoir. Après, on a crée la démocratie, et puis, il se passe que maintenant, on est quand même heureusement beaucoup plus libres. Il y a toujours des gens qui cherchent, il y en a toujours qui trouvent. Mais j’ai l’impression qu’on est dans une société où on a tellement peu l’impression d’être en démocratie justement, d’avoir le pouvoir, que nous sommes obligés de nous inventer des comités, on est obligé de s’inventer des sages, pour décider à notre place de certaines choses, de qui a droit ou pas de faire cela… J’ai l’impression que face à des questions comme « peut-on décider d’avoir un enfant grand, blond, les yeux bleus, intelligent, voir riche » - si le peuple avait le pouvoir - je ne sais pas, on pourrait imaginer d’organiser un réferendum et je pense qu’avec les exemples de l’histoire, il y aurait une majorité de non. Le pouvoir serait au peuple, donc ce serait une règle de créee, et les gens qui passeraient par telles ou telles méthodes pour décider d’avoir un enfant comme cela, ça ferait partie de ce qu’on appelle le pénal. Parce que nous sommes pris entre cacher ou diffuser le savoir, mais la découverte, elle est là, on ne peut plus rien y faire. On sait comment faire. Alors, que fait-on ? Pour moi, j’ai l’impression que ce n’est pas un groupe de sages qui pourra trancher. On peut peut-être penser qu’on a aussi pouvoir de décider de ce qu’on veut. J’ai l’impression qu’à des questions simples, les gens de la rue peuvent réponder simplement, sans passer par tout un tas de discours qui tendent à vulgariser, mais qui sont compliqués tout de même. On comprend. On n’est peut-être pas plus bêtes que les autres.
51 - À propos des règles qu’il faut connaître pour qu’une communauté puisse vivre ensemble, est-ce que la morale n’est pas obligatoirement intervenue dans certaines décisions ? Prenons l’exemple dont nous parions tout à l’heure, savoir choisir le profil de son enfant. C’est une découverte scientifique. Faut-il ou non l’autoriser ? Un exemple plus ancien, l’avortement. Sur quels critères l’avortement est-il autorisé ? En dehors de notre pays, en Hollande notamment, l’euthanasie, sous certaines conditions existe. Donc, est-ce que, lorsque les politiques hollandais ont décidaient d’autoriser l’eutanasie, ce n’était pas essentiellement suivant des critères moraux ? Ceci étant dit, dès l’instant où la règle communautaire a permis quelque chose, la morale redevient individuelle. J’accepte ou n’accepte pas l’avortement en fonction de ma morale personnelle… Si je consière que choisir le profil de mon enfant peut être choisi, je le fais ; si ma morale est différente, je ne le fais pas. Et la même chose pour l’euthanasie. Ça paraît très difficile d’échapper à des critères moraux, dès l’instant où on peut accepter qu’une communauté a besoin de règles.
52 - J’ai vu que vous aviez réagi tout à l’heure, lorsque j’ai dit que je n’étais pas certaine que les citoyens étaient aptes de décider ce genre de chose (intervention n°45). Je voulais aussi réagir sur le fait que vous avez parlé que, finalement, tout le monde a sa morale, tout le monde est apte à dire « je refuse, j’accepte ». Le problème, c’est que c’est vrai, mais de façon potentielle. Tout à l’heure, je disais que les parents vont naturellement vouloir un enfant le mieux possible etc… Je crois que c’est vrai. Si on laisse le choix au gens, ils auront cette facilité énorme qui est de dire, en gros, on va faire un monde où il n’y aura plus de fous, où il n’y aura plus de mal formés…
53 - Vous donnez la réponse dans votre question ! Un fou, qu’est-ce que c’est qu’un fou ? C’est celui qui ne pense pas comme l’autre ?
54 - Oui. C’est celui qui est hors norme.
55 - Vous vous rendez compte de la gravité de ce que vous dites !! Vous dites que celui qui ne pense pas comme vous est un fou !
56 - C’est la définition du fou. Je n’y suis pour rien. Le fou est celui qui va être en dehors de la société, celui qui ne va pas être régi par ses normes. Je ne suis pas pour ce genre de choses. Le risque, qui, je crois, existe, c’est justement de vouloir faire une société parfaite, sans fous, où il n’y aura plus de maux au sens général, et où les êtres seront parfaits. C’est là que je me demandais si les citoyens étaient aptes à décider de cela. Tout le monde aura tendance a vouloir un monde parfait.
57 - C’est très intéressant. Le désir, c’est vrai, est du côté de la perfection, et en même temps, du côté de l’uniformisation. C’est de plus en plus difficile d’être différent, d’affirmer des propos autres etc… Je pense que les gens ont la capacité de décider. Or, il n’est pas du tout dans la volonté du pouvoir que les gens utilisent leurs capacités.
58 - Je voudrais revenir sur la question du sens et du but chez chacun d’entre nous. Effectivement, je suis d’accord avec vous, nous l’avons un peu perdu, et c’est pour cela qu’on observe des déviances, et notamment, dans le domaine scientifique. Pourquoi l’avons-nous perdu ? J’ai fondamentalement l’impression qu’on vit dans un monde où l’on délègue son pouvoir. Les démocraties occidentales sont des démocraties qui délèguent le pouvoir. On élit quelqu’un qui, lui même peut élire quelqu’un etc… On vote quand même quoi… Justement, à force de déléguer, on laisse « quelqu’un d’autre, en gros, faire le boulot à notre place ». Donc, on perd de vue le sens. La personne élue devient plus un gestionnaire qu’un visionnaire, en général. Donc elle-même perd le sens. Personne n’a plus le sens en somme. Pour en revenir au monde scientifique, élire, pour moi, - enfin élire, maintenant, nous n’avons même plus la capacité d’élire un comité de sages, car ce n’est plus nous que ça intéresse - …
59 - Est-ce nous pourrions vraiment le faire ?
60 - Pour moi, je pense qu’on a les capacités, si ça nous est expliqué clairement, de répondre clairement à certaines questions. Seulement, le problème, c’est que ce n’est pas fait, et que nous, on ne pousse certainement pas à ce que ce soit fait, parce qu’on est balloté par le fait de laisser les autres faire : « la politique, ils savent mieux faire ça que nous. À part aller voter le dimanche après la messe, je ne fais pas grand chose ». Donc, nous déléguons. Après, on se pose plein de questions pour savoir quel sage va décider à ma place si je peux faire un enfant grand, blond, aux yeux bleus. Enfin, quand même, on aurait peut-être la capacité de le dire, si on a envie ou pas. Pourquoi ne pourrait-on pas répondre simplement à des questions simples ?
61 - Sur la question de la délégation, ce qui est intéressant, c’est qu’on doit se demander comment faire en sorte que les gens se prennent d’avantage en charge. D’une certaine manière, politiquement, notre société, au niveau des régimes politiques en tout cas, est fondée sur cette idée. Que ce soit mal appliqué, c’est une chose, c’est peut-être la faute des politiques, mais c’est peut-être aussi la faute des citoyens. Il ne faut quand même pas faire comme si c’était le pouvoir qui était méchant. Il y a ausi les gens qui sont tout simplement bêtes, ou moutons, ou qui ne veulent pas penser pas eux-mêmes. Donc, la question qui se pose est la question de l’éducation, pas seulement politique et générale, mais aussi la prise en charge de chacun, et du fait que chacun se dise : « j’ai quelque chose à dire ». Par ailleurs, je voulais réagir à ce que vous avez dit tout à l’heure : quand vous aviez tendance à dire que, quand on a l’idée de perfection, on suppose une uniformisation. Alors là, je ne suis pas du tout d’accord !! C'est-à-dire que je crois, et je crois d’ailleurs que les débats qu’on a le montrent, que quand on a des débats, quand on fait en sorte que les gens discutent entre eux et parlent librement, on voit - à un certain niveau, parce que justement ils se prennet au moins en charge - les diversités s’exprimer. Et je crois qu’il faut distinguer l’homogénésation sociale, qui est toujours - de nos jours c’est plus visible, parce qu’il y a la télé qui homogénéise d’une manière plus nette. Mais toute société homogénéise, toute société a des normes, toute société conforme. Dans toute société, vous avez des gens qui suivent tranquillement, et quelques individus qui ne suivent pas. La didfférence qu’il y a, c’est que quand on parle de perfection, et je crois qu’on a le droit de parler de perfection, c’est pas dangeureux, si par perfection, on entend la capacité pour chacun à réfléchir par lui-même, et à essayer de réaliser, autant de faire ce peut, ce qu’on pourrait appeler l’idéal humain, qui est le sage et l’homme qui pense par lui-même, tout en sachant que nous n’y parviendrons sans doute pas. Mais, du moins, en s’y acheminant, on aboutit à plus de diversités. Donc, il n’y a pas homogénéisation quand on parle de perfection. Évidemment, cela revient à l’idée que je disais tout à l’heure, qu’on peut penser un bien et un mal substanciel pour l’homme, et d’une certaine manière, toute personne qui raisonne pourrait accepter cette idée substancielle du bien. De même que, tout proportion gardée, nous acceptons une idée substancielle du bien, quand nous acceptons comme mal absolu Auschwitz, ou bien le sadique qui viole les petites filles au fond des bois. Parce que vous n’allez pas me dire, tous autant que vous êtes, que vous pouvez considérer que, après tout, si c’est sa morale, il a le droit de le faire. Vous êtes bien d’accord ? Donc, quelque part, il y a une espèce de fausseté dans les pauses relativistes qui consistent à dire, on ne sait pas ce que c’est que le bien, le mal. Dans le fond, on sait ce que c’est.
62 - Je prône la différence, et je suis persuadée que de la différence naît l’enrichissement. Je dis que la tendance générale n’est pas à l’acceptation de la différence, mais juste à une normalisation par rapport à des critères bien établis. Je ne suis pas très sûre que le bien et le mal soit aussi bien définissable que cela. S’agissant d’Auschwitz et des viols d’enfants, il semblerait que, globalement, on accepte la même définition du bien et du mal. Mais, sur des choses moins caractérisées, c’est moins évident. D’autre part, le fait que le citoyen puisse voter, me semble une belle illussion de ce que le citoyen a le pouvoir. Le vote ne me semble pas être un pouvoir de quelque chose. C’est un pouvoir de s’exprimer. Personnellement, je ne vote pas, et j’exprime ainsi mon opinion.
63 - À propos du bien et du mal. Quand j’ai dit, que ça peut être substanciel (intervention n°61). Je pense qu’on peut donner un contenu substanciel à cette notion. Mais ce sur quoi je voulais réagir, c’est la tendance qui est que, on n’en sait rien, donc on ne peut pas dire. Or, justement, ce que je veux dire, et d’ailleurs notre débat le montre bien, c’est qu’on en a besoin de cette notion. On ne peut faire autrement. On est obligé de dire, ça c’est bien, ça c’est mal.
64 - Que se passerait-il si on ne le distinguait pas ?
65 - Et bien, il n’y aurait plus de société humaine ! Il n’a jamais existé de société humaine qui ne formule une norme.
66 - On parle beaucoup de sages, et de comités, qui pourrait décider pour tout le monde, parce qu’il auraient plus de compétences, et plus de temps pour réfléchir sur des sujets précis. Je ne suis pas d’accord avec cette idée. Je pense plutôt que cette sagesse doit être développée dans chaque individu. Elle doit être instaurée dès le début de l’éducation dans cette optique de trouver un équilibre dans chaque chose. Quand va-t-on passer à une marche supérieure ? Je ne sais pas.
67 - J’ai cru comprendre que vous disiez que l’enrichissement naissait de la différence. Un groupe a toujours une potentialité supérieure à l’addition des potentialités de chaque individu. Vous avez également dit que vous ne votiez pas. Attention. Il n’y a pas de vérités. Il n’y a que des réalités et des opportunités. Vous jugez opportun de ne pas voter. Mais, vous êtes vous posé la question de savoir ce qu’ils cherchent ? On a parlé de sages. Il y a des philosophes qui disent qu’il n’y a eu qu’un sage : Socrates. Il était tellement sage qu’il s’est donné la mort pour respecter le règlement. Alors, les sages, prudence.
68 - Chaque individu a, à un moment donné de sa vie, à établir ses propres valeurs. La crise d’adolescence, c’est le moment où on fait le tri de ce qu’on a reçu des parents, de la société, et où on se demande « qu’est-ce qui est bon pour moi là-dedans ? ». Ce qui se passe au niveau de l’individu, ça passe aussi au niveau de la société. Celle dans laquelle on est actuellement, est-ce une société de gens qui ont déterminé leurs propres valeurs, et qui sont capables de dire : « voilà à quoi j’adhère, voilà en quoi je crois » ?
69 - Qui est sage, qui est fou ? C’est vraiment quelque chose qui me pose problème cette histoire de la responsabilité du citoyen. Si on fait un réferendum dans lequel on demande si on a le droit de torturer des terroristes, ma peur, c’est que les gens répondent oui. De même pour les enfants blonds etc, et la peine de mort.
70 - Le réferendum est en cela intéressant qu’il peut obliger les citoyens à réfléchir. Ça dépend comment s’est posé.
71 - (Suite 69) Je suis peut-être très pessimiste, mais je n’ai pas l’impression que les gens, que nous soyons spécialement responsables et aptes à juger de certaines choses. Est-ce que les gens sont capables de réfléchir et d’avoir une morale qui soit à la fois collective et individuelle ? Je ne suis pas sûre. Je crois que les gens ont accepté tout un tas de choses.
72 - Est-ce qu’ils suivent une norme, ou bien se contentent-ils de suivre ce qui semble être la norme généralement reçue dans notre société, c'est-à-dire suivre son propre plaisir, suivre son propre désir ? Ça veut dire que dans notre société, qui a des normes, elle parvient à déguiser son côté contraignant derrière l’individualisme que tout le monde affirme haut et fort. Notre société est très hypocrite sur ce point, car elle semble ne pas donner de normes, alors que tout le monde sent qu’il y en a quand même.
73 - Je vais peut-être proposer une vision qui va paraître utopique, mais j’ai l’impression que les dirigeants, dans une démocratie, sont élus par le peuple pour aller vers une direction commune qui a été voulue par le peuple. Je dirais que si on demande après au peuple si il veut telle ou telle chose, on s’attend à une répone. Si cette réponse va contre la direction vers laquelle le peuple veut aller, il est clair que le moment choisi pour poser la question est mauvais. Le peuple a donné la direction à ses dirigeants, pour revenir sur le sens - c’est utopique, mais on considère qu’il a le sens, il a donné, il a délégué, on a quelqu’un qui voit lui-même le sens général. Cette personne décide de poser une question à la population. C’est bien parce qu’elle estime que, vis-a-vis de la direction générale, la réponse va être plutôt oui ou plutôt non. Actuellement, les réferendums ont très mauvaise presse parce qu’à chaque fois qu’on en fait un, on se plante, c’est contre l’avis du peuple. C’est bien parce que personne n’a plus vision de rien. J’ai l’impression qu’on demanderait à tel moment ce que le peuple en pense, le peuple a choisi une direction, on lui pose une question, et, bien évidemment, si tout c’est bien passé, il va répondre ce à quoi on s’attend. C’est une vision totalement utopiste de la chose, mais j’ai l’impression que ça règlerait énormément de problèmes de conscience. Si on se pose ici le problème du danger de la science, c’est bien parce qu’on n’a pas eu la parole, et qu’on subit ses dangers potententiels.
74 - On a dit qu’il faudrait développer un système dans lequel les gens seraient plus sages. Je ne crois pas que ce soit la volonté du système.
75 - On va faire des sages comme on fait des boites de conserves à l’usine, je ne suis pas sûr que ce soit possible. S’il a bien quelque chose d’impossible, c’est bien que la société fasse des êtres qui pensent indépendamment de la société. Une société, c’est une société, ça produit des idées générales que les habitants partagent, et qui conditionnent le vie sociale. Le fait de penser par soi-même, c’est un acte individuel, ce n’est pas un acte collectif.
76 - Vous emettez des inquiétudes sur la notion de réferendum (intervention n°73). D’après ce que je comprends, vous dites que le peuple a élu des gens, a délégué, a aliené une partie de son pouvoir vers des députés, et d’aller consulter le peuple sous forme de réferendum, c’est, à la limite, contester la légitimité des gens élus. C’est un autre débat, mais est-ce ce que vous vouliez dire ?
77 - Oui, c’est un autre débat. Quand je parlais des gens qui avait une vision de l’avenir, je ne pensais pas du out aux députés. Pour moi, quand je parlais d’utopie, c’était le plus possible garder son propre pouvoir, et que certaines personnes bien spécifiques représentent l’ensemble de la nation.
78 - Vous aviez la réponse à la question que vous posiez. Ça commence par l’éducation du citoyen. Mais, après, l’a fait-on ? Ne fait-on pas de la désinformation dès le départ ? Quand on va dans un supermarché, on n’est pas libre, parce que le psychologue sait qu’on est dextrogyre, on va vers la droite ; sur le présentoire à droite, vous avez le produit qu’ils veulent vous faire acheter.
79 - Sur l’utopie de l’intervention n°73, qui me semble tout à fait vrai dans l’absolue. Simplement, à partir du moment où on introduit la notion « manipulation » là-dedans, ce n’est plus possible. Un gamin de 17 ans qui ne réussit pas très bien à l’école. Il part l’armée l’année suivante, et considère qu’il n’a plus besoin de ses études. J’ai eu le cas dans des gens très proches. Le père a accompagné le gamin voir Full Metal Jacket, et puis, à la sortie du film, il lui a dit : « Alors, Loïc, tu veux toujours t’engager dans l’armée? ». là, c’est grossier, c’est évident comme manipulation. Mais, ce genre de manipulation se fait à un niveau beaucoup plus important et beaucoup plus subtile, et quand vous parliez de moment pour poser la question, effectivement, là il y a manipulation à partir du moment où on choisit le moment pour poser une question au peuple. En ce qui concerne tout le problème des scientifiques, c’est que la vulgarisation donne des éléments, mais ne donne pas tous les éléments, et à partir de ce moment-là, c’est très facile pour les gens de manipuler les esprits dans le sens qu’ils veulent. On pourrait prendre plein d’exemples, le SIDA etc…
80 - Je continue sur la notion de réferendum. J’avais cru comprendre que vous insistiez sur la nature des questions posées. Je voulais insister, surtout en période de mutation, parce qu’un réferendum, aujourd’hui, alors que nous sommes dans une société hypocrite, risque de poser des questions qui vont avoir tendance à choisir entre la peste ou le cholérat. Sur la société hypocrite qui donne l’impression de ne pas donner de normes, c’est dans l’ordre normal des choses de notre période de mutation. J’ai tout à l’heure parlé du passage de l’ère industrielle à l’ère scientifique. Or, pour faire réference au chaos, nous sommes actuellement dans une période de chaos, parce que notre société comporte tellement d’inconnues que, finalement, elle correspond à la théorie du chaos, qui est une théorie mathématique.
81 - Si c’est une théorie mathématique du chaos, ça ne signifie pas que c’est un désordre inintelligible. C’est quelque chose dans lequel on peut découvrir des lois, des structures. Par conséquent, cela ne correspond pas à la théorie du chaos vulgaire.
82 - S’agissant des normes et de leur côté non imposé. Ce qui est subtile, c’est qu’on n’a pas l’impression qu’il y ait des normes, alors qu’il y en a. Quand on dit « il faut que », cela sous-entend « sinon… ». Or, les choses peuvent être tout à fait une chose et leur opposé.
83 - Pas tout à fait quand même. Quand on est une vache, on est une vache. Quand on est un homme,on est un homme. C’est un principe logique de dire qu’on ne peut pas être une chose et son contraire en même temps. Vous ne pouvez pas parlé sans utiliser ce système de penser. Quand vous parlez, c’est que vous supposez que ce que vous dites à du sens. Si vous supposez que ce que vous dites à du sens, cela suppose que le contraire ne va pas.
84 - Je suis surprise que la conversation s’est longtemps limitée à des considérations sur la procréation, alors que la science a des applications tellement graves dans le nucléaire, par exemple. Les Russes font joujou avec la parapsychologie, c’est attroce. Je suis surprise de voir que ça s’est longtemps limité à ça. Deuxièmement, on a dit que nous étions en période de mutation, c’est le chaos, parce qu’il y a plusieurs inconnues qui régissent notre société. Effectivement, je pense que nous sommes en période de mutation grace à ce phénomène de chaos qui a suivi un fonctionnement qui était pluri-millénaire, notamment notre système de valeur fondé sur des traditions anciennes. Actuellement, nous traversons une période où nos traditions sont totalement bouleversées. Si nous savons trouver un ordre qui transcande ses pratiques, et qui conviennent à tout le monde, je pense qu’on y arrivera à la mutation. Mais, pour l’instant, on n’en est pas sûr.
85 - C’est censé être un café politique, de société. Je crois que c’est important, tout de même, de réflechir au régime politique. Tout le monde semble s’accorder que notre régime est imparfait, néanmoins, il y a pire. C’est vrai que ce qui caractérise la démocratie moderne, c’est cette dilusion des contrôles et des manipulations subtiles contre lesquelles il appartient à tous de réagir. Je ne voudrais pas qu’on fasse comme si notre régime était abominable, et que si quelqu’un se pointe, et nous propose quelque chose de complètement différent, on se dise, « allons-y, pourquoi pas ? ».
86 - On peut toujours dire que si le régime politique perdure, le pire est à venir.
87 - Je pense que c’est la manière dont le régime est vécu.
88 - Les politiques nous ont assez prouvé leur incapacité.
89 - Je crois que c’est inégal. Et faire une généralise comme cela, je ne suis pas sûr que cela permette d’avancer.
90 - Ce n’est pas un café politicien.
91 - Nous ne sommes pas ici pour faire des discours politiciens.
92 - le principe du régime démocratique, c’est qu’il s’améliore dans la mesure où les citoyens prennent en charge leur citoyenneté.
93 - Peu importe le système, le principe est de vous permettre de discuter sur la société. Maintenant si vous avez des remords, en vous disant que venir débattre fait de la mauvaise publicité à la politique, je ne suis pas tout à fait d’accord. Je dirais plutôt que c’est le fait que les citoyens ne discutent pas du tout, et ne débattent pas du tout, qui fait du tort à la politique. D’où l’intérêt de nos activités.
FIN DES DISCUSSIONS À 19H20.
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