Compte-rendu synthétique par Marc Houssaye — Café Citoyen de Caen (25/11/2000)
Animateur du débat : Marc Houssaye
» Politique et Société
La place de la mort dans notre société
Chaque société adopte une attitude particulière face à la mort. On pourrait même dire que cette attitude en est un élément de définition. Aussi le débat s'est-il dans un premier temps attaché à observer la façon dont on aborde la mort; celle d'autrui, celle d'un proche ou la sienne.
D'aucuns voudraient voir la mort traitée de façon festive, ce qui se fait chez certains peuples africains. D'autres n'envisagent aucunement d'aborder la disparition d'un proche sous l'angle de la bonne humeur et ne peuvent honorer la mémoire du disparu autrement que dans le recueillement et la tristesse. La mort est généralement un tabou. C'est l'Inconnu qui déstabilise. Un intervenant à manifesté son « droit de mourir quand il le veut, plutôt que d'être branché de partout ». « Pourquoi vivre quand on est un "légume" ? », dit-il. On lui fit remarquer qu'il ne s'inquiétait pas, dans son choix, de son entourage. L'euthanasie refuse certes l'acharnement thérapeutique. Mais il est délicat d'enlever la vie à quelqu'un, même lorsqu'elle est diminuée. Les soins palliatifs, qui sont par ailleurs de plus en plus courants, épargnent la souffrance d'un malade. Il est ici fait allusion à la dignité humaine. On valorise aussi aujourd'hui l'accompagnement d'un malade qui va mourir en le soutenant moralement et physiquement. Mais « Les hôpitaux sont des lieux où l'on "parque" les patients, les maisons de retraite les personnes âgées. On y souffre de la solitude ». Aussi voyons-nous se développer l'assistance des soins à domicile.
Certaines interventions ont condamné la mise en scène de la mort à la télévision. « Il y a trop de violence, la mort est vécue comme un jeu, on s'en amuse ». La télévision inquiète d'autant plus qu'elle influence grandement l'éducation des enfants. Le débat s'arrêta un instant sur les jeux de rôles, un danger pour certains car « ils génèrent la confusion entre réalité et fiction », une simple possibilité de s'échapper d'une société et de ses lois pour d'autres. Le spectacle de la mort n'est pourtant pas nouveau. Déjà, dans les arènes de la Rome Antique, l'on montrait les combats et la mort comme un divertissement. Et que dire des attroupements autour des bûchers, des guillotines ?
L'emprise de la religion sur notre société s'est considérablement affaiblie depuis la séparation des Églises et de l'État sous la Révolution Française. Si l'objectif, qui était de ruiner le pouvoir et l'autorité de l'Église, fut atteint, il s'ensuivit de lourdes conséquences. Une « déreligionnisation » progressive de notre société s'effectua parallèlement à l'avènement de l'ère scientifique. Notons que « les progrès en anatomie et en médecine n'auraient pu voir le jour sans cet effondrement de l'interdit, du défendu ». Mais la religion apportait aussi une explication à la mort, un caractère sacré. Et c'est cette « fonction » qui semble faire défaut aujourd'hui.
On a sacralisé la science. Certains disent que l'homme joue à l'apprenti sorcier. Quelques découvertes en biologie soulèvent de grandes questions bioéthiques. Le clonage, les manipulations génétiques, la procréation in vitro, l'euthanasie, l'interruption volontaire de grossesse bouleversent notre conception de la vie. Ces différents maîtrises de la naissance et de la mort sont pour certains une violation des lois divines, pour d'autres une affaire de progrès. Si la science s'efforce seulement de repousser les limites de la vie, elle ne répond aucunement à l'inaltérable angoisse existentielle.
Et c'est à cette angoisse qu'il faut pouvoir répondre. Pour ce faire, il est nécessaire de pouvoir se réaliser. Que peut nous enlever la mort si l'on a l'impression d'avoir vécu, de s'être découvert et accompli ? La réalisation de soi-même est certes une chose difficile voire impossible. Toujours est-il que nous ne la favorisons pas non plus. En l'occurrence, « les Arts ne sont pas assez développés de nos jours ». Alors qu'ils permettent « d'apprendre à se connaître, de s'épanouir, plus encore, de rester vivant après sa mort »; car l'artiste est un créateur et son œuvre, elle, peut prétendre à l'éternité. De plus, l'assemblée s'accorde sur le fait que « la philosophie n'intervient que trop tard dans l'éducation ». Platon, nous apprend pourtant que « philosopher, c'est apprendre à mourir ».
Comment « gérons-nous » cette angoisse de la mort dans notre société de consommation ? Un intervenant fait remarquer que consommer et consumer aspirent au même principe : détruire. « Je consomme donc je suis, tel est le slogan de notre société ». « Qu'est-ce que consommer sinon détruire en utilisant la substance d'une chose, faire usage d'un objet pour le rendre inutilisable ? » C'est le processus inverse de la créativité.
Enfin, nous ne pouvons parler de la mort sans faire allusion à la sexualité. « Les pulsions de vie et de mort sont présentes en chacun de nous » remarque une intervenante. Eros et Thanatos rythment notre vie, pour reprendre une formule de Freud. L'émancipation sexuelle apporta certainement beaucoup à notre vision de la mort. De plus, notre société est très individualiste. En des époques plus lointaines, la mort d'un individu n'avait pas d'impact aussi grand. Tout au plus nous faisions référence à la fatalité. Il n'en est pas de même aujourd'hui où le sort d'un individu importe plus que celui de la société toute entière ou des générations futures.
Interventions
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