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Compte-rendu analytique par François ToutainCafé Citoyen de Caen (07/03/1998)

Animateur du débat : Marc Houssaye

» Politique et Société

La violence comme mode d'expression

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1 - Ce qui me préoccupe, c’est le fait que, dans certains endroits de la société, la violence devienne un mode d’expression qui prend le pas sur un certain nombre de limites que, dans une société civilisée, on s’accorde à respecter. La violence comme mode d’expression.

2 - Ces derniers temps, il n’est pas très difficile d’être confronté à la violence. Il n’y a qu’à regarder la télévision. Je me suis rendu compte, je pense en particulier à l’agression de Jean-Marie Lepen dernièrement jugée et dont on a pu voir les images, qu’il a un moment où la violence prend le pas sur la parole, puisqu’il n’y a plus de mots pour expliquer les choses. On a l’impression qu’il s’instaure une espèce de loi qui serait la loi du plus fort. Cela me paraît être une dérive tout à fait dangereuse.

3 - La violence peut être également liée à une part émotionnelle forte, dans la mesure où effectivement, quand on n’est plus capable d’exprimer ce qu’on ressent, s'il y a une haine, il peut y avoir des gestes. Cependant, il peut y avoir violence verbale également. La violence peut se conjuguer de multiples façons. Comment canaliser différemment cette expression de l’émotionnelle autrement que par la violence ?

4 - Je pense qu’il faut séparer le type de violence décrit tout à l’heure (intervention n° 2), qui n’est pas fait pour être vu, de la violence des jeunes des banlieues qui vont brûler des voitures, qui a peut-être, c’est à nous de découvrir éventuellement, une volonté de démonstration. Monsieur Lepen, à la rigueur, aurait mieux préféré que cela ne se sache pas. Au contraire, je suis sûr que, s’agissant des jeunes des banlieues, c’est un peu comme des trophées (on a parlé d’eux aux journaux télévisés.) Il y a deux axes à bien définir entre le non-respect des codes - un homme politique n’a pas à aller frapper quelqu’un d’autre - et l’autre violence qui est un mode de communication. Mais je ne pense pas que la violence de Lepen soit un mode de communication, à moins qu’il ait pensé à des réactions épidermiques de certains de ses électeurs.

5 - La violence à la télévision peut être liée à l’axe suivant : comment communiquer la violence ? Qu’est-ce qui communique la violence ? À mon avis, tout ce que regardent les enfants : les dessins animés, la violence dans les films, la violence à la télévision en général ; tout ce qui engendre des comportements violents dans la vie quotidienne.

6 - On peut se poser la question suivante : si ces jeunes voulaient communiquer en dehors de la violence, comment le ferait-il ? Il est bien beau de dire qu’il y a de la violence pour communiquer, mais encore faut-il qu’il y ait d’autres moyens de communication. Le jeune de la banlieue qui a envie de communiquer son désespoir face au chômage, l’absence de projet de société en général, ne va pas voter parce qu’il a, depuis longtemps, fait un trait sur ce mode de communication ; à l’école, il y trouve de la violence. À vrai dire, il n’a peut-être que ce moyen-là pour communiquer !

7 - On peut effectivement s’interroger sur les causes. Pourquoi les jeunes des banlieues, pour reprendre cet exemple, sont amenés à communiquer une violence et à s’exprimer de cette manière. Qu’est-ce qui fait que le malaise des banlieues se traduise par ce moyen de communication qu’est la violence ? Donc, il convient de s’interroger sur la violence comme moyen de communication et sur la violence comme cause.

8 - Dernièrement, dans une émission télévisée, il y a eu une intervention intéressante d’un assistant social. Il expliquait qu’il y avait violence parce que les jeunes n’avaient plus le même piédestal. En général, il existe certaines valeurs qui sont passées entre les générations. On a des modèles de représentations du juste, du bon etc.… Dans ces banlieues, la personne qui réussissait socialement était le dealer (possession d’une B.M.W.…). Ce dernier s’en sort non pas par les moyens traditionnels et réussit bien mieux que quelqu’un qui travaillerait. Il a en effet tous les signes extérieurs de la réussite sociale. Cependant, il réussit par de la violence, par la drogue… Cet assistant social déclarait que lorsqu’on allait dans ces banlieues en proposant des plans de conversion, des choses pour que les jeunes essaient de s’insérer, ces derniers riaient. En effet, selon l’intervenant, ils n’ont pas envie de s’insérer, parce qu’en fait pour eux, réussir ne veut plus dire cela. La réussite sociale y est symbolisée par le dealer qui arrive avec sa grosse voiture.

9 - Si la réussite sociale se résume à rouler en B.M.W., on peut se demander si une part de violence ne va pas intervenir pour aboutir à cela, et ce, même si c’est par des moyens légaux.

10 - Si la violence est un phénomène symptomatique des banlieues, je ne crois pas que ce soit uniquement dans les banlieues qu’on la trouve. Elle s’exprime partout, y compris par l’intermédiaire de monsieur Lepen, parce que le citoyen lambda n’a plus d’autres moyens de se faire écouter. Actuellement, il vote souvent par défaut, ou alors un coup l’un un coup l’autre, ou bien vote blanc, mais cela ne compte pas ; il vote extrémiste, mais les partis d’extrêmes n’arrivent pas à se faire entendre. Donc, à mon sens, le fait d’être violent à la télévision peut être un moyen de montrer aux électeurs qu’il n’y a pas d’autres moyens de se faire écouter. La violence est symptomatique dans les banlieues, parce qu’ils n’hésitent pas à prendre les moyens pour brûler les voitures, mais je pense que la violence est partout. C’est dans des cas extrêmes, dans des phénomènes de ghetto, que les gens arrivent à faire le pas. On parle des banlieues, mais je pense que c’est un problème beaucoup plus important que le fait de s’exprimer en allant casser des voitures. Même le citoyen « normal », nous qui ne cassons pas de voitures tous les jours, n’aurions pas d’autres moyens de nous exprimer si les choses étaient pires qu’elles ne sont.

11 - Les seules revendications, ou les seuls modes d’actions qui apparaissent, c’est quand on fait une grève où l’on bloque tout le monde, ce qui est une certaine forme de violence, même si ce n’est pas une violence sanglante. Les personnes qui regardent la télévision voient que les seules personnes qui réussissent à faire valoir leurs droits, finalement, le font tout autrement que par la parole prise, le vote.

12 - Pour rejoindre ce qui vient d’être dit, il y a une constatation, une vision un peu empirique des choses. Je pense qu’on peut généraliser cet état de fait. La violence est un recours comme moyen d’escalade pour des personnes, un groupe de personnes, une association ou que sais-je encore, pour faire valoir leurs droits. Vous preniez comme exemple les gens qui font la grève pour faire entendre leurs revendications, mais c’est également valable pour les jeunes des banlieues, etc…. Pour revenir sur ceux-ci, ont été évoqués les dealers revenant dans les quartiers avec leurs B.M.W. Je pense qu’il ne faut pas généraliser. Il y a aussi des personnes qui s’en sortent dans les banlieues autrement que par la violence.

13 - Oui, mais ceux qui s’en sortent n’ont pas obligatoirement quelque chose à exprimer. D'après cet assistant social, c'est un modèle que les jeunes suivaient.

14 - D’accord, mais pour les jeunes des banlieues qui côtoient la violence quotidiennement, il y a aussi des gens qui arrivent à s’exprimer autrement que par la violence. En ce sens, la violence n’appelle pas forcément la violence.

15 - Je voudrais revenir à un niveau plus individuel et plus psychologique. La violence est issue d’une émotion qu’est la colère. Par rapport à cela, il faut bien distinguer les deux choses, c'est-à-dire l’expression authentique de la colère, qui vient parce que la fonction de cette dernière est de réagir par rapport à une menace sur son intégrité physique ou sur son intégrité morale. Si on ne peut pas être entendu dans sa colère, il y a, à ce moment-là, la possibilité du passage à l’acte qui est la violence. Simplement, on voit bien que chaque fois que la violence se manifeste, c’est qu’il y a eu des choses qui n’ont pas été comprises, qu’il n’y a pas eu reconnaissance de la colère de la personne, et qu’il n’y a pas eu de changements mis en place. En effet, pour en arriver à la grève, dans une société démocratique, il y a d’autres moyens pour se faire entendre. Il me semble que la violence s’inscrive là où, justement, les règles habituelles n’ont plus cours ou ne sont pas respectées. D’où toute la problématique, qui serait pour lutter efficacement contre la violence, de trouver de nouveau les moyens de se faire entendre.

16 - En somme, les gens qui n’ont pas les moyens de se faire entendre, remettent en cause les lois, à propos desquelles ils s’aperçoivent que les personnes haut placées ne respectent pas plus. Ce serait une réaction à une violence de la loi. La corruption, par exemple, est une violence de la loi et donc on y répondrait dans le domaine où on peut agir.

17 - Quand il y a violence, il y a toujours la loi du plus fort qui s’installe à la place des règles démocratiques.

18 - On pourrait définir ainsi la notion de violence : c’est une manifestation émotionnelle qui va se caractérisée d’une manière contrastée, importante, donc, finalement excessive.

19 - Il est intéressant d’examiner les stades de violence tels qu’ils sont interprétés par les forces publiques. Ces dernières apportent des définitions de la violence pour connaître quel type de réaction envoyée en contrepartie, pour ainsi effectuer une réponse graduée. Si ma mémoire est bonne, il y avait des niveaux de violence. Le niveau I correspond à la manifestation banale. Il y a un niveau II, caractérisé par un trouble de l’ordre public, où il pouvait y avoir des gens qui crient, klaxonnent… Nous passons ensuite à la violence envers les personnes et les biens (stade III). Il y avait, au stade IV, la manifestation contre l’ordre public où la violence était plus fortement marquée. Symboliquement, une personne qui s’attaque à un agent de police, par exemple, même en dehors de toute manifestation, nécessite une contre réaction plus forte parce que ce n’est pas seulement un trouble violent, mais une violence contre l’ordre public, contre son représentant. Cela finit par l’émeute et la révolution.

20 - En somme, plus la violence est organisée, plus cela devient quelque chose d’important.

21 - Je ne pense pas que j’aurais fait la même classification que la police. Son but est de maintenir l’ordre public et, donc, elle gradue les atteintes en fonction de la violation à l’ordre public qui est plus ou moins grande. Je pense, pour ma part, que la violence doit se définir par rapport à la victime de la violence. Si cela n’atteint personne, a priori, il n’y a pas violence. Une violence, c’est quand quelqu’un est atteint. Donc, soit c’est une violence morale, physique ou verbale envers une personne, soit c’est une violence par rapport à une entité plus grande, donc ce sera une violence par rapport à l’État…. Je pense que les violences dont on parle dans les banlieues sont des violences par rapport à l’ordre public simplement. Cela me paraît beaucoup moins grave que les violences dont on a entendu parler, notamment le meurtre de l’épicière. Ce sont deux mondes différents, même si les causes peuvent être identiques. Je suis peu sûr que les personnes qui sont violentes soient conscientes du but de leur expression.

22 - Le fait que cette classification soit effectuée de cette façon montre bien que, pour le pouvoir en place, la violence est un grand danger. Pour preuve, notons que le degré maximum de violence est celui qui s’exerce contre l’ordre public, contre « la loi ». Il y a, quelque part, une volonté de marquer que lorsqu’on s’attaque à la loi, il n’y a plus de société possible.

23 - Je crois qu’il faut distinguer violence et extériorisation de la violence, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il y a la violence qu’on voit tous les jours, ainsi le meurtre de l’épicière, et cette violence plus latente qui est la non-écoute de l’autre tout simplement. Celle-ci est une violence au moins aussi importante, parce que c’est la cause historique de l’extériorisation de la violence. Je crois que cela vient vraiment de cette non-prise en compte des désirs des gens. Cela est peut-être un problème structurel d’une société qui vit aussi sur la compétition et l’individualisme. Notre mode de vie social ne peut être que violent. Pour la suite, est-ce que l’on va extérioriser cette violence ou la garder pour soi, je crois qu’il y a deux choses. À partir du moment où il y a compétition, il y a violence, parce qu’il y a des forts et des faibles, et ceux-ci vont se sentir « violentés » par les forts. Vont-ils se révolter et créer une manifestation physique de ce sentiment de violence ou non ? Pour moi, la violence est en amont de l’extériorisation, elle est avant le fait de brûler une voiture. Après on a une réaction. C’est le phénomène physique de l’action et de la réaction. Il y a une action de violence et on réagit par toutes les formes possibles, dont une autre forme de violence, plus palpable.

24 - On revient à une définition plus juste de la violence. En fait, c’est un message que la personne essaie de faire passer vers un destinataire. C’est donc un moyen de communication. Il y a une origine et un destinataire. Si on considère que c’est un message, on revient effectivement aux deux types de violence : les faits divers (voitures brûlées…) sont un message d’une personne qui est dans une détresse psychologique sans nom. Il y a aussi la violence de la personne qui rentre chez elle le soir et qui, à la question de sa femme, répond qu’il ne fait pas la tête. C’est plus individuel, mais ça peut être considéré comme un acte violent. C’est aussi le message que moi je vais faire passer en disant que j’ai passé une journée difficile. Revenons sur les manifestations de la violence dans une société. Je m’interroge de savoir, si dans une société idéale, on aurait toujours des actes de violence. Ayant considéré les deux modes de violence, violence « fait divers » et violence « mode de communication », je pense que, malgré tout, dans une société idéale, on aurait forcément une violence. Donc, société idéale, au sens démocratique du terme, ne rime pas avec absence de violence.

25 - Je suis d’accord avec cela. La violence est un élément fondamental de la vie. On peut aussi considérer que la naissance constitue la première violence. Il y a beaucoup de gens qui réfléchissent sur ce problème de la violence, notamment dans l’éducation nationale. Toutes les semaines, ont lieu des réunions sur ce thème. Ils commencent par dire que la violence la plus importante est la violence institutionnelle, violence qui est établie par des lois, des normes vraiment trop rigides. Les jeunes ne peuvent pas forcément comprendre cela et donc ils sont atteints dans leur volonté de s’exprimer et réagissent par une autre violence. La violence serait donc juste une sorte de jeu de ping-pong de la naissance à la mort.

26 - Qu’il se glisse de la violence partout, oui. Mais dire que la violence est tout et qu’elle est message, je ne pense pas qu’il faille aller jusque là. Par contre, qu’il y ait de la violence lorsqu’on se fait renvoyer de son emploi, dans la vie de tous les jours, nul doute. On est obligé de faire la file pour ses courses… On peut imaginer qu’il y a de la violence partout. Mais quand on dit que la violence est un mode d’expression, il faut quand même garder une idée d’agression répréhensible derrière cette notion. La violence peut porter un message, certes. Mais quand on frappe un chat dans la rue, il n’y a aucun message. C’est de la violence gratuite. Quand on braque une banque, on a aucun message à faire passer sinon « donne-moi l’argent »!

27 - Je suis assez d’accord avec cela. Il vient d’être fait allusion à l’agression. Celle-ci est vis-à-vis de qui ? Vis-à-vis de celui qui braque la banque, ou vis-à-vis de celui qui a fait en sorte que la personne braque la banque ? On a toujours l’impression que la violence est dans l’acte. Pour moi, elle est avant l’acte. Elle est une réaction par rapport à une agression préliminaire. On ne brûle pas de voitures gratuitement. Je ne suis pas persuadé que les jeunes des banlieues brûlent des voitures gratuitement.

28 - Je pense que cela renforce l’idée que c’est souvent, et même pratiquement, tout le temps un message. Celui qui va braquer une banque le fait parce qu’il est dans le besoin financier.

29 - Quand on donne un coup de pied au chat, ce dernier n’a rien fait. C’est peut-être quelqu’un d’autre qui aura provoqué l’acte.

30 - On dit qu’on pratique un sport pour extérioriser une violence. On a une violence en soi. Je pense qu’il y a des gens qui voient une belle voiture et qui ont envie de la rayer. C’est gratuit et cela leur a procuré un certain plaisir.

31 - Il y aurait donc une violence sous-jacente dans la nature humaine qui ne serait pas forcément synonyme de message.

32 - Sans doute, mais je pense que cette violence est infinitésimale. Je pense qu’il y a très peu de gens sur Terre, ou je suis très naïf, qui sont vraiment violent gratuitement au sens objectif du terme, sans aucun a priori .

33 - Dans la colère, il y a une force, et il est des cas où cette force peut être positive. C’est avec la force de rébellion qu’on fait les révolutions et il y a des révolutions qui sont nécessaires. A été évoquée la violence institutionnelle. Je pense que la première violence est ici, et ce, à partir du moment, où nous sommes dans une société où les lois ne sont pas parfaites. Quand on parle de société idéale, si effectivement les lois étaient parfaites, ce seraient des lois au service de l’Homme et non pas des hommes au service d’une loi. À partir du moment où la loi est au service de l’homme, si elle n’est pas bonne, on la change. Ce qui peut la faire changer, c’est la force de rébellion qu’il y a dans la manifestation de la violence.

34 - C'est-à-dire qu’en fait la loi, qui est d’abord votée par les personnes, ne correspond pas à une violence. Les choses changent, la loi reste la même et donc devient violente vis-à-vis des gens. Ensuite, nous avons après une contre-réaction vis-à-vis de la loi. La société est violente dans beaucoup de cas.

35 - Le stress de la vie est également une violence. On dit d’ailleurs, « ce matin je me suis fait violence pour aller travailler ».

36 - Donc la violence fait bien partie de la vie et on ne pourra pas l’enlever, même dans une société idéale.

37 - Il y a un autre aspect. Dans violence, il y a viol, dans le sens acte de force sur quelqu’un qui ne peut se défendre. En ce qui concerne les violeurs, nous savons bien que, quelque part, ce sont des gens qui ont peur d’une certaine forme de sexualité « normale », et qui donc, s’attaquent à des gens sans défense. Là, il y a toute la question de l’objet, toute la question du rapport de force qui s’établit d’une façon différente par rapport à « j’ai un pouvoir sur cette personne et j’en profite ». Tout ce qui est abus de pouvoir peut être assimilé à un viol.

38 - J’ai l’impression que la violence nait d’un phénomène quasi physique. Il y a une différence de pressions, et il se crée alors quelque chose. La violence se crée parce qu’il y a des chefs dans toute forme de société et des gens qui « subissent ». La violence nait par la différence sociale, la différence de classe. Dans une société idéale, pour qu’il n’y ait plus de violence, il faudrait qu’il n’y ait aucun chef ou que tout le monde, d’un même consensus, ait décidé que les choses se passe de telle façon. Or, c’est toujours la décision d’une majorité et, pour la minorité, la décision de la majorité est une violence. Même si on prend comme postulat que la majorité peut avoir raison, ceux qui n’étaient pas d’accord, analysent le résultat de leur vote comme une violence. Il y a violence dès lors qu’il y a quelqu’un qui décide, et quelqu’un qui subit une décision.

39 - Encore que pour qu’il y ait un persécuteur, il faut qu’il y ait une victime. S'il n’y avait pas de victime, il n’y aurait pas de persécuteur, il n’y aurait pas non plus de sauveteur. Au delà de ça, il faut peut-être apprendre - pour chacun de nous et puis aussi, au niveau de la société, la responsabilité de toutes les instances éducatives - quoi faire avec sa propre violence, avec la colère qu’on a en soi. Françoise Dolto disait : ne frappez jamais un enfant parce qu’il y aurait abus de pouvoir (par rapport à la taille…). Elle dit que lorsqu’un enfant nous a poussé à bout, l’idée est de prendre un coussin et de dire à l’enfant : regarde comme j’ai envie de te taper. Cela permet aux parents de vider leurs accès de violence sans toucher à l’enfant. Peut-être y-a-t-il ici des choses à trouver ; trouver des exutoires, des façons de libérer cette énergie de façon totalement improductive, ou productive, sans exercer sa violence contre des personnes.

40 - Pourtant, dans cet exemple précis, est-ce que, après avoir frappé le coussin, l’enfant ne se sentira pas plus fort ?

41 - En général, ça les calme net.

42 - J’ai cette impression, du fait que la fessée a, quand même, pour but la souffrance et donc la peur de la fessée. Si l’enfant ne souffre jamais et, s'il sait que les parents frapperont le cousin, je ne vois pas quelle leçon il va tirer. Si on dirige la répression vers un objet autre que celui qui doit être réprimandé, je ne suis pas sûr qu’on est atteint le but.

43 - Il vaut voir que, quand on donne une fessée à un enfant, en général, on ne lui donne pas autant de fessée qu’on a de violence en soi. Si on tord le coussin violemment, on exprime une violence que pourra voir l’enfant. On ne met pas toute sa force dans la fessée, alors que c’est le cas contre le coussin. La violence visuelle, si vraiment on montre tout ce qu’on a de violence sur le coussin, peut avoir la même vertu éducative.

44 - Je suis peu sûr qu’on arrive à extérioriser tout ce qu’on a en soi sur un objet autre. Si on a déjà la conscience de prendre un coussin plutôt que de s’extérioriser contre l’agresseur, c’est qu’on a déjà fait un pas vers la non-violence.

45 - Ce qui est important, c’est que là, nous sommes dans le passage symbolique. C'est-à-dire que le coussin, qui ne va pas en souffrir, est un acte symbolique. C’est important parce que cela permet, dans une relation éducative, de montrer à l’enfant que lui aussi, il peut symboliser des choses, condition nécessaire pour accepter les codes et les conventions, en particulier la lecture et l’écriture, et, au delà de cela, les lois de la société. Casser une soupière n’est pas faire du mal à la personne, mais c’est un acte symbolique qui montre que cela suffit.

46 - On pourrait donc dire, en utilisant ce raisonnement, que les jeunes qui brûlent des voitures font un acte symbolique dirigé contre l’État.

47 - Je voudrais savoir, à ce sujet, si ces jeunes s’attaquent aux « 2 cv » ou uniquement aux « Mercédès ». Si c’est un acte symbolique, on va brûler ce qui symbolise la voiture du puissant. Or, étant donné que toutes sortes de véhicules sont visées, je ne vois pas le côté symbolique. Pour voir dans leur action du symbolisme, il faudrait que ces jeunes s’attaquent à quelque chose de beaucoup plus gros que la voiture de « monsieur tout le monde ». On va brûler une Mairie….

48 - Il est vrai que le seul symbole est constitué par la destruction de quelque chose d’important. Cependant, la destruction de choses institutionnelles existe, notamment des abris bus, etc… À Alençon, a ainsi été brûlé un gymnase, c'est-à-dire quelque chose qui était destiné aux jeunes.

49 - Je ne suis pas sûre que, dans des violences comme cela, il y ait quelque chose de symbolique. Il y a « la haine », « la rage » qui est là, et qui s’exprime sans qu’il y ait eu médiation. Il n’y a pas de parole. Ce n’est pas raisonné, et c’est cela qui est dangereux.

50 - Je pense que l’acte de violence est un accessoire au désordre. Dans une manifestation qui prend de l’ampleur, l’acte de violence va de paire avec la manifestation. Même si dans une manifestation, les personnes se disent calment, il suffit qu’il y ait des C.R.S. en face, pour que la violence apparaisse.

51 - Oui, d’ailleurs, les C.R.S. ont souvent ordre de ne pas être visibles, parce que les autorités savent qu’ils sont un agent moteur de la violence.

52 - Les C.R.S. ont ordre de ne pas être visible dans une démocratie. Dans une autre forme de pouvoir, la dictature par exemple, leur but est qu’ils soient toujours visibles.

53 - Ils ont conscience que se montrer est déjà une violence, et qu’en retour, il y aura une autre violence.

54 - Est-ce que ne pas se montrer, c’est dire tout va bien, ou est-ce que se montrer, c’est dire tout va bien parce que si jamais ça va mal, on va être méchant. Il n’y a qu’en démocratie que ces agents ont ordre de ne pas se montrer, et pourtant ils ont la même fonction dans tous les régimes.

55 - Oui, leur rôle est d’assurer le calme public.

56 - On peut dire que la violence est quelque chose de profondément humain. Les luttes de pouvoirs, c’est également humain. Cela a toujours existé et existera toujours.

57 - Oui, mais c’est naturel également. La mort est la plus grande des violences. Maintenant, le fait de se servir de la violence comme mode de communication, oui, c’est humain.

58 - A été employé le terme de mort. Quelqu’un a dit tout à l’heure, que la violence n’existe que par ce qu’il y a quelqu’un qui se sent violenté. Ne peut-on pas penser que c’est notre « sur-sécurité » qui nous fait penser qu’il y a violence partout ? Nous n’avons plus tellement cette conscience quotidienne de la mort, et donc, de ce fait, nous avons peut-être l’impression d’être « surhumains ». On emploie donc tout ce que l’on veut pour extérioriser ce qu’on veut dire, dont la violence. Ainsi, par exemple, les deux jeunes qui ont tué l’épicière dernièrement n’avaient pas consciences du fait qu’ils tuaient. Je ne suis pas persuadé que ce fait se soit vérifié il y a cent ou deux cents ans, où vraiment la mort était partie intégrante de la vie. Une femme avait six enfants, elle en perdait trois. On considérerait cela comme une horreur de nos jours, mais, à l’époque, c’était normal. Donc, est-ce qu’on ne ressent pas la violence parce qu’on vit dans une société trop aseptisée et, où on a l’impression que tout est violence ?

59 - La violence du moyen-âge, par exemple n’est pas la même que celle d’aujourd’hui. Il est intéressant de se fier au passé pour en tirer des enseignements. On peut aller jusqu’à se demander si la violence d’aujourd’hui n’est pas voulue. Pour preuve les nombreuses émissions télévisées.

60 - Les personnes, à trop voir les actes de violences à la télévision, ne ressentent plus vraiment les actes de violence.

61 - La résolution 661 des Nations-Unies est une forme de violence. Elle tue 6000 enfants par mois en Irak. Or, l’O.N.U, c’est nous.

62 - Vous parliez de la violence à la télévision comme spectacle. Il est vrai que le rapport entre le spectateur et le spectacle n’est pas un rapport de dialogue, donc cela laisse libre cours à la violence. Or, le dialogue, à mon avis, est là pour empêcher la violence.

63 - Il y a actuellement une volonté de banaliser de la violence.

64 - Les Nations-Unies, ce n’est pas nous. Ce n’est qu’un intermédiaire d’intermédiaire d’intermédiaire résultant d’un rapport de force entre États membres. Cela ne représente pas la population mondiale. Outre cette parenthèse, j’ai l’impression que la violence se caractérise par son immédiateté. Dès lors que c’est une violence permanente, elle tend à disparaître. Au moyen-âge, par exemple, la violence était omniprésente. De ce fait, les personnes n’avaient pas l’impression qu’elle existait. La violence s’atténue avec la permanence.

65 - Il y a une exception notable à ce que vous dites, c’est la violence psychologique. On sait bien qu’un seul traumatisme dans la vie d’un enfant ou d’un adulte est surmontable. Par contre, une série de traumatismes répétés en permanence fait des dégâts considérables. Pourquoi arrive-t-on à se blinder avec les images ? que se passe -t-il ?

66 - Quelle est la différence entre une violence vive et immédiate, et une violence froide et prolongée ? C’est probablement ce que j’appelle la violence froide, c'est-à-dire la violence récurante et qui est quotidienne, au travail…

67 - Cela dépend de quel point de vue on se place. S'il y a quelque chose qui m’agace et que je donne un coup de pied dans un caillou, ce n’est pas la même chose que si je donne un coup de pied au chien. De mon point de vue personnel, j’ai donné le même coup de pied. Du point de vue du chien ou du caillou, les choses sont différentes.

68 - Pour moi, la violence des fictions, des films, n’est pas perçue comme de la violence, parce qu’on n'a pas la notion de la mort. Un documentaire m’a frappé. Il est d’une banalité affligeante quand on la compare à n’importe quelle série américaine. C’est pendant la guerre à Stalingrad, on voit un Russe qui épaule et un Allemand qui tombe. C’était pour moi d’une violence beaucoup plus forte que toutes les séries dans laquelle il y a cent morts. Là, on a conscience que l’homme ne va se relever, contrairement aux scènes des films. Pour moi, s’il n’y a pas de rapports directs à la mort, il n’y a pas de violence réelle. Ce qui est dangereux, c’est qu’on a l’impression de l’instrument de violence, le fusil…, devient inoffensif.

69 - Vous pensez donc que le meurtre de l’épicière n’a absolument rien à voir avec les séries américaines.

70 - Si, dans le fait qu’on considère que pointer une arme sur une personne n’est pas dangereux.

71 - Il y a des personnes qui ne vont réagir devant des films en disant, c’est une fiction. Mais, il y a aussi des personnes qui rentrent dans le film inconsciemment. C’est personnel.

72 - Il y a une troisième catégorie de personnes devant un film : celle des personnes qui vont se demander quels effets aura ce film sur les adolescents.

73 - L’effet pervers de cela, c’est de considérer que l’arme de mort fait partie du quotidien.

74 - Pourquoi montre-t-on des scènes horribles dans les dessins animés et coupe-t-on les documentaires lors des journaux télévisés ? Montrer des charniers au « 20 heures », c’est réel. Montrer un charnier dans une fiction est moins choquant.

75 - On a pu voir, notamment lors des récents attentats en France, des images de personnes blessées ou mortes, tournées sans le consentement des intéressés. Il n’y a aucun scrupule du réalisateur. Dans une fiction, on place la caméra pour montrer telle chose. Le documentaire n’échappe pas à cette logique ; on montre pour provoquer une réaction. Ce n’est pas du cinéma vérité. On a un message tronqué qui est déjà interprété.

76 - Il y a des scènes qui peuvent être certes coupées dans les journaux télévisés. Cependant, il y en a qui peuvent également être allongées ; et ce n’est pas toujours la réalité, pour preuve le charnier de Timisoara.

77 - Cependant, même si c’est un montage, il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agissait de véritables cadavres. Le choc était là.

78 - Je trouve que le "20 heures" est « léger ». Il n’y a aucune volonté de faire voir les choses. Il est bien de suggérer qu’il a pu se réaliser des massacres à un moment donné, mais montrer, comme on a pu le faire durant la guerre du Viêt-nam la photographie de la petite fille brûler au napalm, c’est autre chose. Le "20 heures" est « léger », car on coupe tout ce qui est important et qui peut permettre de prendre conscience des horreurs commises quotidiennement.

79 - Pour être informé, je ne crois qu’on ait besoin de voir la personne agonisant. Les journalistes vont, bien sûr, être tentés de faire de l’audimat, mais, quand on est rédacteur, je pense qu’on se dit "je ne vais pas montrer la mort de cette personne".

80 - Sauf si la personne se nomme Ralhed Khalkal.

81 - On emploie beaucoup le terme de « médiation ». Or, pour régler un conflit, qui mieux que les personnes concernées peuvent le faire ? Les hommes politiques sont trop éloignés des réalités quotidiennes pour pouvoir y faire quelque chose. La résolution du problème de la violence de la banlieue ne pourra passer que par une table ronde entre personnes intéressées.

82 - Certes, mais, encore faut-il que ces jeunes qui brûlent des voitures sachent ce qu’ils veulent exactement.

83 - La table ronde me paraît inadaptée au règlement du problème. En effet, il faut raisonner mondialement. Ce que nous connaissons dans les banlieues, c’est le résultat de problèmes au niveau mondial.

Fin des discussions à 19 heures.

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