Compte-rendu synthétique par Élisabeth Rodot — Café Citoyen de Argentan (13/12/2001)
Animateur du débat : Élisabeth Rodot
» Politique et Société
Peut-on contester, doit-on revendiquer le droit de naître différent ?
L’arrêt de la Cour de Cassation en date du 17 novembre 2000, dit « arrêt Perruche », a condamné le corps médical a indemniser un enfant né handicapé, au motif que celui ci était légitimement fondé à faire reconnaître son préjudice. A travers cet arrêt se pose le problème du droit de naître différent.
La médecine est fortement mise en cause dans cette affaire : Les pouvoirs publics (justice) ne lui reconnaissent pas le droit à l’erreur. Le progrès de la médecine est tel que les futurs parents s’attendent à ce que toute anomalie soit toujours détectable. Si ce n’est pas le cas, le médecin est considéré comme coupable et responsable de l’ erreur. Les médecins sont également placés dans une position inconfortable lorsqu’il y a détection d’une anomalie : Comment annoncer avec certitude aux parents un risque potentiel, comment rester humain dans un discours technique, comment infléchir ou non une décision éventuelle d’avortement… ? Les pouvoirs publics ont aussi mauvaise conscience et cherchent systématiquement, sous la pression des plaignants, à réparer financièrement le préjudice validant ainsi la tendance procédurière de notre société.
Cet aspect du problème ne doit pas faire oublier la dimension humaine du droit à la différence. On peut dire que de tous temps les sociétés ont eu tendance à rejeter les individus ne correspondant pas à la « norme ». Dans les sociétés archaïques, les enfants les plus faibles étaient exposés aux intempéries, s’ils y survivaient, ils étaient intégrés.
Aujourd’hui des formes de marginalisation existent toujours : les enfants au visage déformé par la maladie sont rejetés par leur village en Afrique, dans les sociétés occidentales, la personne handicapée est mise à l’écart ou, si elle côtoie les autres, subit un regard culpabilisant. Cette forme d’exclusion par rapport à une norme touche même les personnes les plus vulnérables : clochards, vieillards, malades…
Nous nous sommes interrogés sur la notion de norme : Nous vivons dans une société où chacun doit être productif sous peine d’être éliminé ou marginalisé. Pourtant l’exemple de Stephen Hawking prouve bien qu’un individu souffrant d’un lourd handicap peut avoir sa place dans la société. Comment peut-on avoir un regard normatif sachant que toute espèce est évolutive et que la richesse se situe dans la diversité. La norme est donc réductrice. Nous avons parlé du degré du handicap qui conditionne les possibilités d’intégration et nous avons nuancé les points de vue suivant qu’on parle de handicap mental ou de handicap physique.
Nous nous sommes interrogés sur le sens de la filiation. Bien souvent les parents projettent sur leur enfant un idéal dans lequel ils se retrouvent. Ainsi cherchent-ils, dans cette société de progrès scientifique, un modèle qui les rassurent. La conjugaison de ces phénomènes ne conduit-elle pas à l’eugénisme ? Le comble de cet idéal n’ est-il pas représenté par la technique du clonage qui cherche à reproduire à l’identique un nouvel enfant parfait ? Au contraire certains d’entre nous affirment que l’enfant qui naît n’appartient qu’à lui-même et que personne ne peut s’arroger le droit de décider pour lui. « Au nom de quels principes les pouvoirs publics, les scientifiques, les parents pourraient-ils ou devraient-ils intervenir sur le développement de la vie d’un être différent ? ». Quelqu’un explique par un exemple que les gens qui ont touché du doigt le mystère de la vie et la tendresse que peuvent donner les enfants handicapés, possèdent une profondeur et une humilité remarquables.
La société ne doit pas se contenter de réparations financières mais doit surtout œuvrer pour une plus grande intégration de chacun. Il faut essayer d’immerger les enfants à problème dans une autre matrice socioculturelle que la famille ou l’institution ( le quartier, le voisinage…). Il est nécessaire de recréer du lien social autour de nous et que chacun essaie de porter un regard différent sur les handicapés qu’il peut côtoyer. La société n’est pas une abstraction mais la composante d’une multitude d’individus qui ont toute latitude pour agir et regarder autrement la vie sous toutes ses formes. Chacun est responsable de la situation collective et peut, par prises de conscience, modifier ses comportements.
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