Compte-rendu synthétique par Marc Houssaye — Café Citoyen de Caen (18/12/2002)
Animateur du débat : Marc Houssaye
» Politique et Société
Existe-t-il des limites à la liberté d'expression ?
La question qui nous préoccupe, nous pouvons la faire remonter aux débats sur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DHCC), lors de la Révolution Française (note 1). Article XI de la DHCC du 26 août 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ». La liberté d’expression se trouve donc depuis ce jour encadrée par la loi.
Aujourd’hui, des exceptions au principe de la liberté d'expression existent donc, pour assurer la protection des personnes, des groupes et des valeurs (Le libellé et la diffamation, la réputation, la pornographie, surtout enfantine, la propagande haineuse) et la protection de l'État. Un citoyen dans la salle remarque en effet que « les idées peuvent être aussi douloureuses qu’un coup de poing ». Un autre affirme que « les idées ne sont pas dangereuses, seules leurs applications le sont ». Pour contourner le problème, posons-nous les questions suivantes : « En quoi une idée peut-elle être dangereuse ? ». « Et dangereuse pour qui ? ».
Premier pan de la question qui amorça le débat : la condamnation de propos racistes. La loi Gayssot, du 13 juillet 1990, tend à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (note 2). Tant qu’il s’agit de réprimer des actes racistes ou xénophobes, le problème ne se pose pas. Il se pose lorsqu’il s’agit de l’expression d’opinion.
Dans ce cadre, doit-on voir la liberté d’expression comme un instrument au service de la vérité ? Afin d’établir la vérité, il faut examiner et comparer toutes les thèses, aussi bien les mieux établies que celles qui paraissent les plus étranges. Même si toutes les idées ne sont pas justes, le public saura à terme faire la différence, car il a plus de chances de parvenir à la vérité si tous les arguments ont été échangés et infiniment moins si le pouvoir politique a entrepris d’exposer une vérité officielle. Nous présupposons ici une confiance absolue dans la capacité du public à discerner les théories vraies et négligeons le fait qu’il peut diriger son jugement de façon irrationnelle. C’est donc sur le fondement d’une hypothèse contraire que la liberté d’expression est limitée dans certains domaines. La diffamation, la publicité mensongère, la publicité pour certains produits comme l’alcool ou le tabac, sont réprimées ou limitées parce qu’elles peuvent durablement tromper le public ou en tout cas assez longtemps pour que le mal soit fait.
L’expression d’une théorie raciste ne se confond pas avec une injure raciste. Celle-ci peut certes reposer sur une théorie raciste et consister d’ailleurs en partie dans l’expression de cette théorie, mais elle s’en distingue en ce qu’elle est proférée avec l’intention de blesser et qu’elle peut y parvenir. Elle est donc interprétée comme un acte et réprimée comme telle en raison de causalité avec d’autres actes. C’est ce qui explique le traitement de l’injure : sans doute y a-t-il des cas où la victime n’en ressent aucune souffrance. Néanmoins, le législateur suppose qu’un individu moyen en souffre — la souffrance présente alors un caractère objectif — et surtout que l’injure est de nature à entraîner d’autres conduites, des actes de discrimination ou de violences physiques. Les intérêts individuels apparaissent donc dignes de protection dès lors que l’atteinte qui leur est portée par l’expression de certaines opinions se combine avec une atteinte à l’intérêt collectif que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen appelle l’ordre public.
Il y a ainsi des lois pour punir les écrits portant atteinte à un secret qui doit être préservé (le secret professionnel ou celui qui intéresse la défense nationale), ceux qui causent directement un dommage à un particulier (la diffamation ou l’injure)...
Pour autant, l’opinion en elle même est-elle blâmable, ou plutôt : la blâmer permet-t-elle de la supprimer ? Certes non. Et des citoyens dans la salle pensent que « cacher sous le tapis » ces opinions revient à renforcer l’idée qu’une part de vérité cachée s’y dissimule. Pire, comment convaincre une personne de l’absurdité de ses propos si le débat ne peut avoir lieu, si l’échange ne peut se réaliser, bref si l’on met ce citoyen à l’écart, dans une voie de garage ? Se pose ici la question de notre capacité à accepter une remise en cause irritante de nos convictions les plus chères. Douterions-nous assez de nos propres convictions pour faire en sorte de ne pas se laisser tenter par des opinions contraires ?
On aborda aussi le révisionnisme. Sujet délicat tant cette notion peut être perverse. La remise en question de doctrines politiques politiquement fixées n’est pas dangereuse en soi. Que serait devenu Galilée sans cette recherche de la vérité historique ? Pour autant, le révisionnisme peut basculer vers la contestation des dogmes humanistes (remettre en cause la condamnation du racisme par exemple) voire le négationnisme. Nous ne saurions tout de même pas remettre en cause ces enseignements humanistes qui ont si bien pénétrés notre société.
Nous ne pouvions débattre de la liberté d’expression sans évoquer la censure. Censure qui prendrait de multiples formes aujourd’hui. Notamment dans le langage politiquement correct qui montre notre difficulté à fabriquer par nous-même notre propre opinion personnelle sans avoir recours à ce qui est reconnu comme juste de penser. Le politiquement correct s’apparente donc à une forme d’autocensure. Autocensure infléchie par le fait qu’une opinion fait office de vérité. Nous ne pouvons aujourd’hui qu’inviter le citoyen à s’engager dans une réflexion personnelle. Non qu’il faille se couper des opinions des autres. Bien au contraire. Mais se méfier d’une opinion prise comme argent comptant.
Note 1 : Sieyès, ses réflexions ne perdant jamais de vue la mise en pratique, et Robespierre, homme d’idéal, impulsèrent de vifs débats sur la liberté d’expression. Citons Marat aussi : « La liberté de tout dire n'a d'ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d'elle-même et son triomphe est assuré. ».
Note 2 : En 1972, le délit d'opinion entre dans le juridique avec la loi Pleven. Ce texte créait l'incrimination de "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence" raciale et punissait plus sévèrement la diffamation et l'injure raciale. Il permettait en outre aux associations de se porter partie civile. Dernièrement, la proposition de loi adoptée du député Lellouche, vise à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste et à renforcer l'efficacité de la procédure pénale.
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