Compte-rendu synthétique par Élisabeth Rodot — Café Citoyen de Argentan (10/04/2003)
Animateur du débat : Élisabeth Rodot
» Religion et Spiritualité
La laïcité est-elle une chance ?
La laïcité est toujours une question d'actualité : l'évolution de notre société, et notamment la place grandissante de l'islam, nous conduisent à nous interroger à nouveau sur cette notion. Quelles valeurs véhicule-t-elle ? Ce que nous avons acquis au cours de l'Histoire est-il aujourd'hui menacé ? Plusieurs élus se sont demandé s'il fallait garder la loi de 1905, entérinant la séparation de l'Église et de l'État : pour mieux intégrer la population musulmane et éviter les influences étrangères, il serait bon que l'Etat puisse aider à financer la construction des mosquées. La loi de 1905 n'est-elle pas obsolète ? S'il faut redéfinir le concept de laïcité, vers quoi le faire évoluer ?
Un petit point historique nous a permis de rappeler que ce système, qui exclut les Églises du pouvoir politique et de l'enseignement, est le fruit d'un combat acharné qui commence avec la Révolution Française et dure presque un siècle et demi. S'appuyant sur les valeurs des Lumières (apparition de la notion d'Individu, de Citoyen), clairement engagés à gauche, les militants de la laïcité ont peu à peu réussi à ce que soient radicalement dissociés les domaines spirituel et temporel. La religion est renvoyée à la sphère privée, tandis que revient à l'État et à lui seul la gestion de la chose publique (et en particulier de l'éducation).
Bien plus qu'un simple système d'organisation politique, la laïcité est surtout une philosophie. Elle permet l'avènement d'un certain idéal démocratique basé sur les notions de liberté, de tolérance, d'égalité. Chaque individu accède au libre-arbitre car l'État lui garantit la liberté de culte et de pensée. Chacun est respecté dans sa différence. Elle prend en compte la diversité de la population et garantit un climat de paix sociale en instaurant pour tous un socle de valeurs communes sur lesquelles bâtir notre vivre-ensemble. Inversement, la laïcité a aussi été une chance pour les religions : sous le rapport de force qui les a cantonnées au domaine spirituel, elles ont été contraintes d'évoluer et offrent maintenant un visage moins dogmatique.
Cependant, ce qui paraît définitivement acquis est peut-être encore menacé. Le combat est-il terminé ? Qu'est-ce qui menace aujourd'hui la laïcité ?
La place des religions dans notre société n'est pas toujours claire : vouloir maintenir une société laïque ne doit pas mener à un raidissement anticlérical caricaturant les religions. Il faut se méfier d'une diabolisation de celles-ci, et d'un ostracisme qui n'auraient pour effet, à terme, que de renforcer les rangs des intégristes. Il faut se méfier aussi de verser dans un intégrisme laïque qui serait en contradiction avec les valeurs inhérentes à la laïcité elle-même.
Par ailleurs, comment respecter la liberté de culte quand celle-ci est en contradiction avec les lois de la République ? Comment faire comprendre à une jeune musulmane qu'elle doit enlever son voile pour ses papiers d'identité ou à l'école, sans qu'elle ait l'impression qu'on porte atteinte à sa liberté religieuse ? C'est le genre d'interrogation qui soulève en permanence la question de la laïcité et qui nous permet de réfléchir sur les valeurs que nous voulons réaffirmer.
Enfin, un nouvel absolu a pris la place de la religion, tout aussi dangereux pour l'esprit critique et la liberté de penser des citoyens : l'idéal néo-libéral. En effet l'idéologie de la société de marché est en train d'enfermer les esprits dans une pensée unique (voir le vocabulaire du management américain qui envahit insidieusement la sphère des outils conceptuels utilisés par les cadres de nos entreprises ou de nos grandes écoles), l'idée d'égalité s'est transformée en laminage des différences, la liberté s'est réduite à celle de consommer. L'idéal laïque se trouve menacé par cette logique de formatage mise en œuvre par les marchands.
En conclusion, le combat pour les valeurs défendues par la laïcité est loin d'être terminé. Il nous appartient de trouver quelle forme il faut aujourd'hui lui donner, en tenant compte des données sociologiques de ce début de 21ème siècle. Il nous appartient de dépasser les vieux clivages qui ne sont peut-être plus pertinents et de savoir discerner quelles sont les véritables menaces qui pèsent actuellement sur nous. Croyants et incroyants ne peuvent-ils pas se retrouver pour défendre ensemble une certaine dignité de l'homme ?
Thèmes proposés pour le Café Citoyen du jeudi 24/04/2003 :
- Comment définir la culture ?
- Savons-nous encore rêver? Thème retenu
- Le pouvoir de l'image ?
- La Ville : entre métamorphoses et uniformisation
- L'Art et la Science
Interventions
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