Compte-rendu analytique par Marc Houssaye — Café Citoyen de Caen (15/05/1999)
Animateur du débat : Marc Houssaye
» Politique et Société
Quel avenir réservons-nous aux retraités ?
1 - Les retraités, c'est quand même une mine de savoir. Ce serait intéressant d'aborder la question des personnes âgées sous un angle différent de ce qui nous est montré actuellement.
2 - Les retraités sont actuellement considérés comme des anciens actifs. Si on les met à la retraite, on ne se sert pas énormément de leur capital potentiel, parce qu'on estime qu'ils étaient dans la logique du travail, et qu'à un moment donné ils ne peuvent plus fournir le travail demandé.
3 - On leur dit donc maintenant : "partez en vacances, c'est tout ce qui vous reste à faire".
4 - Moi, j'ai été confronté à ce problème il n'y a pas longtemps. J'ai eu beaucoup de mal à continuer certaines de mes activités. On reçoit par la poste énormément de courrier où l'on montre des personnes du troisième âge, des images éditées par des maisons de retraite ou ce genre d'organisme. On voit des personnes du troisième âge, c'est la façon dont on les nomme maintenant, qui sont heureuses. Elles sont presque au ciel. On leurs fait des maisons en pantoufles, et j'ai l'impression que derrière cela se cache une expression comme : maintenant restez en pantoufles et laissez la place à la jeunesse montante. C'est un peu ce que l'on ressent et ce que je ressens moi-même. J'ai bien peur qu'il y ait une lutte de génération, que si les vieux continuent à radoter, voire à penser même, cela pourrait faire de l'ombre à la génération montante. C'est peut-être faux ce que je dis. Peut-être que les statistiques montreraient que ces deux générations ne sont pas en compétition.
5 - Se pose ici un problème fort important, puisque c'est de la place des hommes âgés ou des femmes âgées dans la société que l'on veut discuter. Ce que je trouve intéressant dans la situation, c'est que l'on a un double mouvement complètement contradictoire. Un mouvement important qui va vers le progrès. Le progrès c'est toujours plus jeune! C'est à dire que l'on valorise de plus en plus le mouvement, la jeunesse, et on tend à dévaloriser de plus en plus les personnes âgées. Et le mouvement contradictoire c'est que notre société vieillit, et que le nombre de gens âgés est de plus en plus grand. Par conséquent on assiste à un mouvement contradictoire, puisque la société moderne se pense essentiellement en relation avec l'avenir, pas du tout avec le passé. Elle a tendance, on pourrait en discuter, mais je pense que c'est vrai, elle a tendance à dévaloriser le passé, dévaloriser ce qui est déjà fait. Et c'est à cause de cela, je crois en partie, au moins en partie à cause de cela, que l'on ne veut pas regarder les gens qui deviennent vieux aujourd'hui, en face, qu'on préfère les mettre dans un coin tranquille, où on ne voit pas qu'ils se décrépissent complètement. Cela montre aussi la relation de notre société au temps, et à la mort, par extension. Il y a plusieurs problèmes qui sont en jeu, mais je voulais seulement souligner le coté contradictoire qu'il y avait entre d'un coté la valorisation du présent et de l'avenir, qui est néfaste, en tous les cas, défavorable aux personnes âgées qui sont écartées et même regardées avec mépris, par leurs enfants ou par les gens plus jeunes, et d'autre part le fait que les personnes retraitées vont être de plus en plus nombreuses et donc vont avoir de plus en d'influence dans la société. Donc on pourrait dire qu'elles vont peut-être refuser l'image de la vieillesse qui est fournie par cette société? Ce que j'ai souligné c'est que ce sont deux directions opposées, encore que…
6 - En réaction à cela est-ce qu'il ne faudrait pas voir dans ce mouvement contradictoire une certaine forme d'exorcisme. Exorcisme de la vieillesse dans une promotion outrancière de la jeunesse pour justement réduire la portée de ce déséquilibre qui pourrait s'instaurer au sein de la pyramide des âges. Justement pour aller au-delà d'une population complètement vieillissante, ne pourrait on pas essayer d'exalter le plus possible la jeunesse pour contrebalancer ce déséquilibre?
7 - Je voudrais demander d'abord, je voudrais demander à tous, à partir de quel âge vous considérez-vous vieux? Parce qu'il y a toute une tranche d'âge qui est très malheureuse en ce moment, c'est les cinquante-cinq et soixante-cinq ans. Parce qu'il y en a beaucoup qui ont quitté le travail à cinquante-cinq ans, pour différentes raisons, et qui se trouvent encore très jeunes au point de vue intellectuel, enfin très jeunes, disons jeunes intellectuellement et physiquement, qui font des tas de choses, et qui ont du mal à trouver leur place justement. Ces gens, dont je fais partie, entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans, ne sont pas vieux. Ils ne sont plus jeunes d'ailleurs. Alors ce que j'aimerais savoir, c'est ce dont vous débattez ce soir. Qu'est-ce que c'est la vieillesse pour vous, à partir de quel âge vous vient-elle à l'esprit?
8 - Le problème c'est que la vieillesse ou le départ en retraite, pour tout le monde, c'est soixante-cinq ans. C'est le couperet. Alors il y a quand même des tas de travaux différents dans la vie. A soixante-cinq ans la société a dit cela. Je pense que je suis d'un âge modulable. Tout le monde n'est pas de cet avis, mais je pense qu'on pourrait en discuter quand même, parce que le paramètre âge est, à mon avis, insuffisant.
9 - Oui, ce que je voulais dire moi , c'était que de toute manière on est bien obligé d'envisager la vieillesse, la vieillesse cela existe, tout le monde va devenir vieux, tout le monde va mourir. Mais une des choses qui est frappante dans notre société, c'est que quelque part cette dimension du temps, on la nie. Et c'est vrai qu'à cause de cela justement on se trouve complètement démuni dans l'attitude qu'on peut avoir vis à vis des personnes âgées. Le problème de la retraite c'est un problème spécifique. Mais c'est vrai que ce que vous dîtes est exact pour la France qui est extrêmement bureaucratisée et légaliste, enfin je veux dire se fondant sur des lois ou ce genre de chose. Mais si vous allez aux Etats-Unis, vous avez des gens qui travaillent jusqu'à soixante-dix ans, sans problème. Il y a des gens qui trouvent cela bien et d'autres pas bien.
10 - Quel est le paramètre pour définir la vieillesse?
11 - Pour définir la vieillesse, je prendrais comme premier paramètre le paramètre biologique. On n'y échappe pas, on n'a pas le choix. Il y a des gens mieux conçus, qui ont plus de chance que d'autres, et qui sont moins usés par l'existence, que d'autres.
12 - On devrait avoir l'égalité pour cela.
13 - Mais je dirai le paramètre principal, je pense que ce n'est pas la biologie. C'est plutôt comme d'habitude, on en revient toujours à cela malheureusement, l'argent et le paramètre social. Les classes qui sont aisées peuvent se permettre deux choses: la première c'est ne pas aller à la retraite, continuer à travailler, continuer à gérer l'entreprise à travers le fiston ou autre chose, donc travailler jusqu'à soixante, soixante-dix ans. Les hommes politiques aussi restent en place très longtemps. Et le deuxième, à coté de ce coté social, c'es le côté financier. Les personnes qui sont bien en place, qui ont le pouvoir de l'argent continuent à travailler. Ils le font souvent. Ils peuvent aussi arrêter assez rapidement, parce qu'ils ont déjà l'argent, qu'ils sont rentiers, et peuvent alors profiter à fond de l'existence. C'est toujours pareil, quand on a le choix, c'est formidable la vieillesse, parce que l'on choisit de travailler et de faire une activité qui plaît ou d'arrêter tout et se consacrer à la peinture, à tout ce qu'on veut, aux joies de l'existence comme on dit. Et les gens qui n'ont pas les moyens de choisir, sont obligés d'attendre la date fatidique, imposée par la loi ou les conventions collectives.
14 - De nouveau, en reprenant une des premières interventions, il faut que l'on s'accorde sur la matière dont on parle, est-ce que l'on parle des retraités, c'est à dire la personne exerçant une activité productive et qui à un moment donné se voit mise à la retraite, ou alors tout ce qui nous attend un jour, c'est à dire le fait de vieillir, de perdre tous ses proches. Et puis l'avenir dans quel sens, c'est à dire socialement lorsque l'on aura perdu tous les proches, et qu'on sera de fait mis, comme il a été dit aussi dans une maison de retraite, on sera complètement éloigné, sans rapport affectif, ou alors l'inactivité économique qui est aussi une atteinte aux relations sociales.
15 - Dans le même sens, sur le choix de la retraite, c'est vrai, je me suis aperçu que le système n'est pas universel, puisque par exemple, en Amérique du Nord, on a jugé inconstitutionnel le fait d'obliger les gens à aller à la retraite. On a dit que le droit au travail impliquait qu'on ne puisse pas interdire à des gens de travailler s'ils le souhaitaient. Donc une mise à la retraite obligatoire a été jugée inconstitutionnelle, et l'employeur ne pouvait plus obliger la personne à prendre sa retraite. Si on a le choix, c'est quand même intéressant de se dire, moi, je ne me sens plus intéressée à travailler, ou je ne me sens physiquement plus apte à travailler, donc je prends ma retraite. Moi j'ai l'impression que je peux continuer mon travail, et je continue. Et ce qui m'inquiète beaucoup plus, ce que je disais à Madame, tout de suite, c'est que vu les plans de retraite qui sont actuellement envisagés on risque de devoir travailler pendant quarante-deux ans et demi pour pouvoir obtenir une retraite. Moi, j'ai trente ans et je commence à cotiser, cela veut dire que je vais m'arrêter de bosser à soixante-douze ans et demi. Est-ce que l'on peut encore parler de retraite? Est-ce que le problème qu'on pose aujourd'hui , l'idée de savoir ce que l'on fait des gens qui sont à la retraite et qui sont effectivement encore aptes à exercer une activité, est un problème que l'on va continuer à se poser. Car si on est tous à la retraite à soixante-dix, soixante-quinze ans, à cet âge là de toutes façons on ne demandera pas grand chose. On demandera à avoir de quoi manger, de quoi être soigné, de quoi voir ses petits enfants, mais on ne posera pas la question de savoir si on veut faire du sport. J'ai l'impression que le problème qu'on se pose actuellement, cette grande part de la population inactive, on va bientôt de toutes façons ne plus se le poser.
16 - Non cela n'a rien à voir avec cela; c'est juste pour dire que la perte des personnes âgées, en fait, dans notre société c'est un peu individualiste, donc on les met un peu de coté. Il y a le groupe des jeunes, le groupe des seniors et le groupe des personnes âgées. En fin de compte il y a des sociétés, comme en Afrique, en Indes ou dans d'autres pays où le patriarche, les personnes âgées en général, ont une place d'honneur. On les écoute; En fait ce sont des sociétés un peu différentes, notre société est très individualiste, c'est pour cela que chacun veut vivre sa vie et ne veut pas s'entourer du grand-père ou de la grand-mère quand ils commencent à fléchir et donc on les met dans des maisons. Je pense que c'est une question de constitution de la société.
17 - Les anciens, comme on les appelait avant, avaient un statut de référent, c'est à dire se permettaient de conseiller des jeunes qui ne savaient forcément où aller, alors que maintenant leur rôle est limité. On n'en voit plus l'intérêt.
18 - C'est vrai que maintenant la cellule familiale est un peu différente. Les grands-parents, on les met dans un coin dès qu'ils sont malades et on se dit: qu'est-ce qu'on va en faire ?
19 - J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de personnes qui assimilent une bonne santé et un épanouissement, au fait de continuer à travailler et je me demandais, si c'est justement l'identité qu'on peut se trouver dans le travail et si justement les questions des suicides à la retraite, les dépressions qui sont très importantes à l'heure actuelle, ne sont pas aussi l'expression d'un malaise sur le plan du travail. C'est à dire qu'à partir du moment où on ne travaille plus, on ne sait pas quoi faire à part s'occuper personnellement et cela sans apporter quelque chose à la société, sans se sentir utile à la société.
20 - Alors, on peut se demander s'il n'y a pas une contradiction entre vouloir allonger la période de cotisation pour prétendre avoir droit à la retraite, et le fait que dans la réalité on pousse les gens le plus vite vers la sortie, notamment avec la mise en place de préretraites, comme celles qu'on peut vivre dans certains secteurs de la fonction publique, par exemple à la poste. Les gens ayant cinquante-trois ans et demi et pouvant justifier de trente-sept annuités et demie de cotisation peuvent prétendre partir à la retraite. En ce qui concerne la valeur du travail en tant que tel, il est formateur d'identité, mais d'un autre coté y compris dans la période active, il me semble qu'il y a d'autres choses qui structurent l'identité, dans la société, notamment les actions de solidarité. Est-ce que la retraite ne doit pas être un moyen également de trouver des ponts entre les générations ?
21 - Dans une société où il n'y a pas de chômage, c'est vrai qu'il semble bizarre qu'on puisse interdire à des gens de continuer à travailler, puisque le droit au travail est en effet une valeur constitutionnel. Mais il y a un problème dans la mesure où ce droit au travail n'est pas assuré pour tout le monde. Avec le droit de propriété, on fait tous des sacrifices. Le travail étant rémunérateur et permettant d'accéder à des richesses, il est naturel que le travail soit partagé, y compris par ceux qui ont travaillé longtemps. Dans ce sens je trouve qu'il faut mettre en fonction la situation extérieure, notre rapport à la retraite et au droit de travailler. Par contre ce que j'attendrais de ce débat, lorsque l'on parle de l'avenir des retraités, c'est que l'on se demande si le retraité est une catégorie qui existera toujours. On peut se demander quel va être derrière cela notre rapport au travail, et est-ce que les retraités au sens où on l'entend actuellement existeront toujours. C'est bien le problème que nous vivons actuellement. A calculer en prévision de ce qui peut se passer au moment du baby-boom, donc quand les gens , nés en France après la guerre vont se trouver tous retraités, étant donné l'entrée de plus en plus tardive des jeunes dans le monde du travail, étant donné aussi le taux de chômage chez ces jeunes et les différences de pouvoir d'achat par rapport aux générations d'avant, il est clair qu'il y a des problèmes de calcul. Alors ou bien on en arrive à effacer la retraite par un accroissement du travail, jusqu'à la mort, quasiment, ou alors on en arrive à remettre en question le système. Il faut savoir si ce rapport du travail à l'individu doit toujours être celui qui régit nos vies.
22 - Je crois qu'il y a quelque chose qui est patent dans l'histoire, c'est que je pense que même si on perd des neurones et si on devient un peu gâteux, ce n'est pas pour cela que l'on devient inutile. Je pense que c'est très bien de partager le travail, mais finalement se séparer brutalement de gens qui peuvent éventuellement donner des conseils aux jeunes, c'est dommage. Cela s'est toujours fait dans l'histoire, il y a toujours eu des "Socrates" pour conseiller, n'est-ce pas, les jeunes. Il y a toujours eu quelque chose comme cela, et quand je pense à ce pauvre Monsieur MONTANIER qui est parti pour un autre pays pour continuer ses activités. MONTANIER finalement est parti continuer ses travaux de recherche, parce qu'il était trop vieux en France, mais il était considéré comme jeune aux Etats-Unis. Donc c'est un problème, j'en suis seulement à la retraite, je pense que la retraite est un problème sérieux maintenant, mais à mon avis c'est un faux problème si on regarde bien l'utilisation de toutes les compétences. Or il s'avère actuellement, dans les industries, qu'il y a une perte de savoir-faire dans tous les domaines et que cela vient probablement du fait qu'à partir du moment où les gens sont "mis au panier", confortablement dans leur maison de retraite, ils ne communiquent plus.
23 - Moi ce que je constate, ce à quoi nos hommes politiques devraient réfléchir, c'est que le pouvoir électoral du troisième âge n'est peut-être pas encore assez important. Il existe un ministère de la jeunesse et des sports, mais il n'y a pas un ministère de la vieillesse et du troisième âge, des activités du troisième âge. Et peut-être en fait je dirais aux gens qui sont retraités, ou en tous cas d'un certain âge, de se mobiliser, de faire du lobbying, chose qui existe un peu plus aux Etats-Unis, je crois.
24 - Pour répondre rapidement, il y a le ministère de la solidarité, qui logiquement s'occupe de l'aide sociale au troisième âge.
25 - Le référent c'est quand même la jeunesse, même si on est une population vieillissante, le référent c'est toujours la jeunesse, pour l'instant. Cela va peut-être changer, mais pour ce qui est l'optimisme, c'est quand même la jeunesse.
26 - Effectivement on espère tous que les progrès de la médecine vont être grandioses, même si parfois c'est le contraire. Peut-être que dans quarante ans ,à soixante-dix ans on sera beaucoup plus en forme et beaucoup plus apte que maintenant et qu'il y a vingt ou trente ans. On fait quand même des progrès.
27 - Donc l'espérance de vie augmente, on est mieux dans sa tête et physiquement, donc on espère que cela va continuer comme cela et que peut-être aussi par rapport au travail et au reste. Peut-être qu'arrêter de travailler à soixante-cinq, soixante ans sera un peu prématuré.
28 - Si je fais le lien avec ce qui a été dit, dans ce cas là , cela aggraverait le problème. Si on oblige les gens à travailler de plus en plus longtemps.
29 - Mais comme ils vivent de plus en plus longtemps et mieux, le problème c'est qu'ils vont peut-être avoir besoin d'une activité plus longtemps.
30 - S'il y a d'autres activités.
31 - Moi je trouve peu intéressant de parler en terme de classes d'âge, parce que la jeunesse, cela veut dire, je veux dire sociologiquement, que nous sommes soumis à une certaine temporalité. On est jeune, on est mûr. On est vieux, on meurt. Mais à l'intérieur de cette temporalité, il y a une telle diversité que prétendre parler d'une classe d'âge comme ayant quelque chose de très spécifique, n'a plus aucun sens. Je ne suis pas sûr que notre débat soit extrêmement intéressant. Par contre ce qui est intéressant, c'est de se demander, quelle place effectivement nous pouvons faire, quelle image, quelle société nous avons, alors que nous avons connaissance d'autres sociétés. Je crois que ce qui est caractéristique dans notre société, c'est que c'est la seule qui privilégie la jeunesse. Toutes les sociétés auparavant étaient des sociétés qui justement valorisaient le grand âge et qui se situaient justement dans une situation de vénération par rapport au passé et par rapport aux personnes âgées. Nous sommes la seule société, société moderne, basée sur la science et la technique, qui justement a rompu avec ce modèle. La question qui se pose, c'est jusqu'où irons-nous dans la rupture avec le contact, avec des rites naturels, disons, ou avec ce que j'appelle, ce qui est contestable, mais ce que j'appelle une société de type naturel. C'est vrai qu'aujourd'hui on a l'impression que cela ne s'arrêtera jamais. Si cela ne s'arrête jamais, on ne sait pas où l'on va, c'est un grand point d'interrogation. Si on dit comme moi que peut-être il y a quand même un mode de société naturel, donc un être naturel de l'être homme, à ce moment-là on doit s'interroger et dire dans quelle mesure, nous acceptons ce qu'on appelle le mouvement de la société moderne, et jusqu'où on veut qu'il aille et où on veut qu'il s'arrête. Je crois que c'est la question qui est posée effectivement quant aux personnes âgées. Parce que si on laisse les choses aller certainement il y aura une phobie totale de la mort et une négation de l'âge. Il y a un certain nombre de gens qui ont dans l'idée que c'est horrible de vieillir. Voir poser la question comme cela, en quoi la pensée qu'il est horrible de vieillir est-elle digne d'un être humain? A partir de ce moment-là on verrait une diversité totale selon les personnes, pas seulement selon les classes sociales. Il y a des inégalités totales y compris par rapport à la vieillesse. Vous avez des gens très riches qui meurent tôt, cela arrive, ce n'est pas parce qu'ils sont riches qu'ils vont vivre plus longtemps. Ils ont plus de chance quelquefois, mais, cela ne marche pas à tous les coups.
32 - Ils ont des chances de s'user moins au travail.
33 - Oui, d'accord, mais pour autant, même si on prend comme catégorie les riches et les pauvres, est-ce qu'on dira autre chose que des grosses généralités. Il faut faire payer les riches et il faut aider les pauvres. Une fois qu'on aura dit cela, est-ce que nous auront beaucoup avancés. Je crois que ce qui est intéressant, c'est le débat de société, c'est quelle société on veut. Voilà.
34 - Justement je me demande s'il n'est pas aberrant, lorsque l'on prend l'histoire de notre pays,- les retraites ont été créées dans les années trente, sous Edouard HERRIOT en 1932 si je ne me trompe pas et depuis soixante-sept ans la production de richesse de notre pays a été multipliée par six.- de vouloir augmenter le temps de cotisation alors qu'il y a tant de chose à faire dans notre société, notamment comme je disais déjà au point de vue des principes de solidarité entre générations. Mais est-ce que l'homme doit être utilisé pour se fatiguer pendant trente ou quarante ans de sa vie au travail? Est-ce que l'être humain doit être quelqu'un dont on doit profiter jusqu'à ce qu'il soit complètement usé?
35 - La dernière phrase est : il faut préparer l'avenir et la question posée au départ était de savoir quel était le devenir des retraités? J'avais compris qu'il y avait quand même une base forcément économique, parce que les retraités, il faut bien qu'ils vivent. Il y aura de plus en plus de personnes à l'âge de la retraite, qui auront besoin de ressources. Si on se reporte quelques années, quelques décennies en arrière,- les assurances sociales créées en 1929, la retraite étendue après la guerre -, il faut quand même aussi savoir que la retraite complémentaire ne date que depuis 1972, pour tout le monde, il y avait des accords particuliers avant. Et on a connu jusque dans les années 1970 une population hors du travail et sans ressources, parce que ces gens-là n'avaient pas cotisé. C'était l'essentiel de la politique pendant quelques temps, de savoir ce que l'on allait donner aux vieux Les préoccupations des bureaux d'aides sociales et du ministère de la solidarité, même s'ils ne s'appelaient pas comme cela à l'époque, étaient de savoir comment permettre aux personnes âgées sans ressources de vivre correctement. Puis on a vécu une période, en gros de 1970 jusqu'à aujourd'hui, où certains retraités vivent très bien. Il n'y a pas mal de retraités qui sont partis à la retraite sans avoir cotisé pendant très longtemps, mais qui ont bénéficié de points gratuits. Ainsi on se retrouve aujourd'hui avec des retraités, un certain nombre d'entre eux en tous cas, qui vivent assez bien. Puis il y a l'avenir, et l'avenir c'est la question qui était posée. Comment vont vivre ces gens-là? L'essentiel des retraites est actuellement toujours basée sur une ponction sur les actifs pour permettre aux retraités de vivre. En 1970, pour la caisse des cadres, mais je pense également pour les autres, il y avait à peu près 4 cotisants pour un retraité. On est arrivé aujourd'hui à 2,60. Le courage des hommes politiques, qui est encore quelque chose à trouver, fait qu'aujourd'hui ils ne bougent pas. On continue à prendre l'essentiel des cotisations sociales, cela est valable aussi pour la maladie, sur des salaires qui ne font que s'amenuiser. On n'a pas le courage de faire autre chose. Je me demande si dans l'avenir les gens travailleront jusqu'à plus soif.
36 - J'ai l'impression que tout le monde est à peu près d'accord, sur le fait que les vieux sont mis un petit peu de coté, en maison de retraite, sont mis un petit peu en marge, alors qu'auparavant il y avait quand même une culture qui apportait une reconnaissance de l'ancienneté et des personnes âgées qui étaient porteuses de connaissances de compétences etc.. Avec une valorisation de la jeunesse, l'allant, l'optimisme. J'ai l'impression que c'est une sorte de soubresaut que d'aller de l'avant pour oublier un passé en fait très présent encore pour aller au-delà. Effectivement cela viendrait d'un oubli. J'entends bien que ce qui a été fait avant, de cette société dont vous parlez encore de consommation, l'économie gérant énormément de choses, l'économie un peu maîtresse de tous les actes humains, et pour aller vers autre chose, prendre un peu le problème économique du S.E.L., sujet proposé aussi en début de séance.
37 - C'est vrai qu'à la base le problème est, quand on parle des retraites, économique. Dans les projections qui sont faites à horizon de vingt ans, même dix ans maintenant, quinze ans, il y a, a priori, les chiffres les plus mauvais. Un actif qui travaille pour trois personnes inactives, pas seulement des retraités, mais cela peut être des chômeurs, des étudiants. Donc cela veut dire concrètement que s'il faut 4000f par mois pour vivre, il y a une personne qui va devoir travailler pour environ 16000f, et on va lui prendre 12000f pour qu'il lui reste 4000F. On voit naître ce que certains appellent déjà un racisme anti-vieux. C'est à dire que ces gens qui ne produisent plus, nous prennent notre argent. De même qu'on voit quelquefois le racisme se développer quand il y a un manque de travail, il est toujours facile de se reporter sur des populations qui sont par essence "affaiblie", puisqu'elle représente un poids économiquement amoindri.
38 - Je trouve que vous êtes un petit durs quand même, lorsque vous dîtes qu'on vous prend votre argent. Vous n'oubliez qu'une chose, c'est que tous ces gens-là ont travaillé pour cinquante pour cent d'entre eux, eux-mêmes, pour payer des cotisations à d'autres. Je vous trouve donc un petit dur quand vous dîtes que l'on vous prend votre argent. Ces gens là ont travaillé dur, ont donné "x" années de leur vie, ont donné plein de temps de leur vie dans du travail, eux-mêmes pour cotiser pour les autres retraités. Alors soyez juste, ne dîtes pas ce mot-là.
39 - Il se trouve, en ce qui concerne cette logique, un film qui a très bien montré l'une des fins possibles, c'est Soleil Vert. Ce film montrait qu'en fait, les vieux à un certain moment, étaient emmenés gentiment dans une sorte d'hôpital, pour écouter de la belle musique. On leur mettait un petit gaz, et ils servaient de nourriture pour les vivants plus jeunes.
40 - Moi, cela me fait penser plutôt à la solution adoptée par les nazis pour éliminer toutes les personnes qui ne "fonctionnent" pas bien, handicapés ou personnes âgées. Mais je ne pense pas qu'on en vienne là dans la mesure où je crois profondément qu'on sait que l'on va devenir vieux, et que l'on peut s'identifier aux vieux. Ce n'est pas un problème de racisme, puisque c'est notre race aussi, c'est nous dans quelques années. Et deuxièmement, j'aurais bien aimé revenir, je crois que cela a un rapport sur les problèmes de la mort dans notre société. Je parlerai plutôt de peur que de racisme, une peur très profonde. Pourquoi on a peur de la mort aujourd'hui? C'est vrai dans les autres sociétés on croit que la personne qui meurt a été réincarnée. On croit que le petit enfant est un vieil ancêtre qui renaît, et c'est vrai qu'à partir de ce moment, pourquoi avoir peur, parce qu'il y a une certaine continuité. Alors que dans les sociétés où les croyances sont très faibles, en quoi croyons-nous après la mort? N'est-ce pas cela une question d'opacité, on a peur des personnes âgées car elles reflètent ce que l'on ne veut pas voir.
41 - Je voudrais revenir sur les cotisations. Je ne pense pas qu'on puisse dire, je ne pense pas qu'on le dise d'ailleurs que l'on prend l'argent aux jeunes pour les vieux C'est le système qui le veut, c'est comme une bicyclette, cela ne peut fonctionner que quand cela roule. Actuellement la bicyclette est en train de ralentir, et si cela continue comme cela, elle va se casser la figure.
42 - Effectivement, maintenant on raisonne sur le modèle présent et un peu passé, on extrapole dessus et on fait des péréquations. On dit "on va cotiser", "il en faut tant", mais jamais on n'a fait une philosophie de la société comme vous disiez, une société nouvelle, pour essayer de voir plus large et faire vraiment un modèle qui s'applique à une société à venir. Deuxième point que je voulais ajouter, c'est qu'effectivement la mort a une dimension actuelle qui n'est plus la même qu'avant et que la société où l'on s'accroche de plus en plus au matériel, fait que l'on a peur de se séparer de ses biens assez vite. Cette société où l'on s'incarne avec ses biens, est tout à fait antinomique de ce qui se passera au moment où l'on mourra. On anticipe, on voit l'anxiété. Une des marques potentielles de la vieillesse sont des gens qui se rendent malades à l'idée de mourir.
43 - Je voudrais réagir sur le système par répartition, se borner sur la possible déficience du système par répartition, c'est quand même omettre le fait qu'on peut aussi arriver à un système par capitalisation. Le système par répartition n'a jamais été un modèle unique. Il se trouve qu'en France, on est le dernier Pays Européen et avec l'Argentine le dernier pays au monde à avoir un système par répartition. Cela dit au niveau par exemple de l'équilibre de ce que l'on appelle les fonds de pension, en Angleterre, le système économique a totalement repris le dessus. C'est à dire que l'on n'a plus véritablement considéré les personnes âgées comme étant des personnes ponctionnant leur revenu sur les personnes actives, mais des personnes qui apportent un capital pour refaire fonctionner le modèle. A mon avis se borner au système par répartition, c'est également cautionner une certaine forme de désistement face au rôle des personnes âgées.
44 - Je trouve que maintenant il n'y a plus de préparation à la mort. On est coupé très vite des personnes âgées, et même, elles, qui va leur apprendre à mourir ?
45 - On peut les accompagner. Il y a les soins palliatifs.
46 - Oui mais c'est un soin.
47 - Elles sont seules effectivement.
48 - Notre société pour l'instant n'encourage pas cela., parce qu'elle est tellement accrochée à la vie et à l'enthousiasme qu'elle occulte complètement cette vision là.
49 - En fait je rejoins ce qui a été dit, on est dans une société qui valorise la jeunesse. Je vais revenir sur un coté plus philosophique sur l'image que nous renvoient les vieux. Et de là en fait on se rend compte qu'on parle surtout d'une manière économique. On dirait que ce qui vous intéresse, c'est combien vous aller avoir, combien vous aller toucher. L'argent, toujours l'argent. C'est vrai c'est important quand même. Mais c'est l'image que nous renvoient les vieux, parce qu'on a peur de vieillir, dans une société qui valorise surtout la jeunesse. Regardez les crème anti-rides aussi bien pour les hommes que pour les femmes. On a peur de vieillir. Et pourquoi? Peut-être la peur d'être inutile? Parce qu'on valorise trop ce qui est beau, avoir une belle image, celle de l'être divin, on revient toujours à cela. Et donc même quand on fait le coté peur de la mort, même quelqu'un qui ne pense pas du tout à cela, de son vivant on est endoctriné pour garder une image neuve.
50 - On parle de modèle. Quand on parle de modèle aujourd'hui, on parle de modèle qu'on construit dans la tête et qu'on va appliquer. Or je crois quand même que les modèles qu'on construit dans la tête et qu'on va appliquer, ne sont pas très fiables, ce sont des hypothèses. Par conséquent je suis un petit peu étonné. Quelqu'un a dit tout à l'heure "allez de l'avant". C'est vrai qu'aujourd'hui on considère comme une évidence qu'il faut aller de l'avant, qu'il faut progresser; Mais moi je dirais que ce n'est pas sûr du tout. Faut-il progresser ou au contraire faut-il retourner? Cela ne veut pas dire régresser, mais retourner, un peu comme on retourne chez soi, comme on retourne dans sa maison, comme Ulysse revient chez lui après un long périple. Je crois qu'on est conditionné, dans cette société contemporaine, le discours contemporain ou médiatique nous conditionne à penser que nécessairement il faut évoluer, aller toujours plus loin. Mais qu'est-ce que cela veut dire aller plus loin? On ne sait pas où on va. On construit des modèles, mais encore une fois, ces modèles chaque fois qu'ils ont été mis en place, la réalité s'est révélée très différente de ce que le modèle avait proposé; Je reviens à la question dont je parlais tout à l'heure, à savoir qu'il existe des sociétés que je qualifie de naturel, je mets les guillemets quand même par rapport à cela. Et nous nous sommes dans une société qui tend à s'éloigner toujours plus de la nature. La question qui se pose, que je me pose, c'est dans quelle mesure ne devons-nous pas prendre garde à ne pas être fascinés par l'avenir? Parce que l'avenir est profondément incertain, et il sera toujours incertain. Par contre, ce qui a été réalisé et pendant des millénaires par les sociétés humaines, nous pouvons le voir. Cela ne marchait peut-être pas parfaitement, mais cela marchait aussi tant bien que mal avec un certain équilibre. Par ailleurs je suis un petit peu, je me méfie beaucoup des politiques économiques ou sociales. Parce que cela veut dire que l'état fait des lois, qui justement font que cela donne le cadre à la retraite ou à d'autres choses. Je pense que peut-être notre société moderne fonctionnerait peut-être mieux si, contrairement à cette tradition, à la fois proprement française mais aussi depuis le New Deal aux Etats-Unis en 1933, on essaie de faire moins intervenir l'état dans le domaine de la société. Laissez d'avantage les gens se débrouiller, ce qui effectivement implique une certaine prise en charge, mais qui peut-être après tout ne serait pas une si mauvaise chose.
51 - Tu fais référence à quelle période quand tu parles de société ancestrales. Revenir , ce serait revenir quand ?
52 - Mais non, parce que revenir cela ne veut rien dire, revenir à une période. Simplement c'est penser, revenir c'est penser qu'il existe peut-être, je le crois, quelque chose de naturel dans l'existence humaine manifestée entre autre par l'âge, et que quelque part la société technicienne et scientifique moderne tend à nous faire croire que nous sommes immortel ou tout puissant. Et ce que je dis simplement c'est qu'il ne s'agit pas d'arrêter le progrès scientifique et technique, ce serait absurde. Il faut simplement avoir une vigilance et essayer d'exercer un contrôle, de telle sorte que l'humanité de l'homme ne disparaisse pas. Parce qu'en un sens si on dit on est pour le progrès, pour le progrès indéfini, cela veut dire qu'on idolâtre quelque chose qui est complètement indéfinie. Quand on croit en Dieu, on croit en Dieu. Au moins il y a un catéchisme et il y a des doctrines qui vont avec. Tandis que lorsque l'on on croit au progrès, à quoi on croit? On croit à l'indéterminé, on croit à l'avenir et on y croit d'une manière aussi aveugle qu'on croit en Dieu. Par conséquent on présente comme quelque chose de rationnel ou comme lié aux sciences ou aux techniques alors que cela ne l'est pas du tout, et que l'attitude rationnelle est justement le contraire, essayer d'examiner et à croire et à faire ce que l'on a mesuré qu'on était capable de faire. Cela impliquerait certainement une attitude très différente de l'attitude générale dans laquelle nous baignons et que je crois nous aveugle. Elle nous trompe. Et après tout, la fonction de lieu de réunion comme celui-là, c'est justement ne nous rendre compte qu'on n'est pas obligé de fonctionner dans le discours ambiant; C'est ainsi qu'en même temps cela nous ramène à notre responsabilité individuelle, et que la société après tout elle est notre produit, elle n'est pas fabriquée par les politiciens. La société, elle est fabriquée par nous.
53 - C'est l'état. En fait les gens se décharge sur l'état.
54 - Ah ! certainement, je crois qu'en France il y a une certaine tradition.
55 - S'il faut prendre en charge la grand-mère, on est content quand l'état s'en charge.
56 - Oui je voudrai abonder dans ce sens parce que c'est vrai que les sociétés techno-scientifiques ont eu tendance à passer d'un schéma circulaire à un schéma linéaire. C'est à dire qu'avant on pouvait quand même dans la notion divine repasser de Dieu à l'homme et de l'Homme à Dieu. Le problème c'est quand on passe par la notion de progrès : où est-ce que l'on va retrouver l'homme au bout de la chaîne? C'est à dire on est passé sur une ligne, une ligne indéterminée qui finalement n'a pas de fin et qui va être un processus d'accélération constante qui va mener les personnes les plus âgées à être de plus en plus rapidement hors du coup puis que le processus a tendance à accélérer. Et à mon avis justement le gros problème des sociétés techno-scientifiques c'est qu'elles ne donnent pas de fin ni de croyance et que par là il y a tout un pan de la population qui se retrouve relégué en bas du progrès, en bas de la civilisation de façon exponentielle.
57 - Qu'est-ce que vous appelez croyance ?
58 - La croyance, je la définis en fait par une certaine forme d'inaccessible, si vous voulez. On avait placé Dieu en dehors du monde, en dehors de la sphère des hommes, ce qui permettait de donner une cohérence à l'ensemble. Le problème c'est que là, on met l'homme vers la fin, c'est à dire comme point d'aboutissement d'un processus complètement limité. On a rendu le processus sans fin.
59 - On est passé de quelque chose de relativement facile à quelque chose de complètement indéterminée.
60 - Il n'y a aucune limite au progrès. Qu'est-ce qui va limiter le progrès de l'Homme s'il est à la mesure de chaque chose? S'il se prend comme référent à chaque fois?
61 - Aux Etats Unis, il y a déjà une sorte de compartimentation. Dans certains coins des Etats Unis, notamment en Floride, il existe des villes créées uniquement pour les personnes âgées. Les jeunes ne sont pas les bienvenus dans ces villes. Pour revenir à la mort et aux rites liés à l'enterrement, je trouve que dans notre société, tout est feutré, tout est caché, et que l'on ne se rend pas compte de la mort. J'ai vécu en Grèce et la mort n'y est pas cachée, en tout cas dans les villages. Des affiches sont collées partout dans le village. Une invitation en masse est suggérée, tout le monde peut venir à l'enterrement. Les gens peuvent venir voir le mort. Les enfants ne sont pas choqués.
62 - Pourrait-on voir cela dans une grande ville? Dans un H.L.M.? Ce n'est pas possible de montrer la mort comme cela. Le mort n'est pas perçue de la même façon dans différents pays. Je crois qu'il y a une décence en tout et particulièrement dans ce domaine.
63 - Je pense que dans nos société la mort est tabou. On a ainsi peur de la vieillesse. Est-ce raisonnable de cacher la mort de la grand-mère à un enfant?
64 - Je voudrais revenir sur la notion de progrès. On avait avant les progrès scientifiques, je pense, une idée de continuité. On avait alors moins peur de la vieillesse et les traditions faisaient que l'on était avec la famille jusqu'à la fin de sa vie. On s'occupait des vieux. Les progrès scientifiques ont amenés une vieillesse comme une finalité. La vieillesse, c'est la fin, un point c'est tout. C'est plutôt à mon avis ce qui fait que les gens ont peur de la vieillesse. On ne possède pas de réponses à certaines questions.
65 - Il y a quand même quelque chose que je trouve formidable, c'est l'allongement de l'espérance de vie. C'est quand même le progrès qui a permis de faire progresser l'espérance de vie. La notion de retraite est aussi importante.
66 - Je voudrais revenir sur les propos concernant la mort. Effectivement, la peur et la prière de la mort sont caractéristiques de notre société d'autant plus que les gens qui évoluent dans notre société n'ont pour objectif de finalité que la consommation de produits. Ce qui explique une chose : les vieux, dès les prémices de leurs vieillesses, n'arrivent pas à produire, à consommer. Le mort, ici, c'est avant tout celui qui ne consomme pas et qui ne produit pas. Celui qui est jeune, qui produit, qui consomme, est la personne représentative de la société actuelle. Alors vers quel modèle tendre pour essayer de modifier cette situation qui est loin d'être acceptable lorsque l'on a une certaine idée de l'Homme. Sans Dieu, maintenant, on est un peu tout seul. Je pense qu'il va falloir que l'on se prenne en main. Qu'est-ce qu'il faudra imaginer pour le vingt et unième siècle? L'Homme ne sera pas seulement un producteur, un consommateur mais quelqu'un qui veut se construire et se réaliser, posséder un tas d'activités qui développent toutes ses facettes et ce jusqu'à ce qu'il puisse découvrir pourquoi il est là. Cela pose des questions philosophiques, économiques et sociales, un remaniement total de la société.
67 - Je voulais dire que les vieux consomment quand même. Les maisons de retraite, c'est économiquement très important. Ils ne consomment pas directement, c'est plutôt à leurs insu. Et que dire des traitements exorbitants pour les personnes âgées?
68 - Je ne pense pas que les vieux coûtent trop cher à la société étant donné le peu de retraite qui leurs sont laissé.
69 - Il a été dit que les personnes âgées coûtaient chers. Je crois qu'en fait, les personnes âgées sont une richesse extrêmement importante dans la mesure où ils transmettent un certain nombre de choses à la génération qui les suit. La société dans laquelle on vit oublie ce message et il y a un respect qui s'est perdu pour une classe d'âge qui nous a précédé qui serait de bon ton de réactualiser.
70 - Pour revenir aux maisons de retraite, je crois qu'une quantité énorme d'argent est demandée aux personnes âgées qui ne vivent pas forcément dans des conditions très bonnes. Le confort et les tarifs dépendent des établissements mais ils sont souvent alarmants.
71 - Je voulais intervenir par rapport à la mort en disant qu'il y a une expression consacrée aux personnes qui meurent de vieillesse, c'est "mourir de sa belle mort". Or, actuellement, mourir de vieillesse pour le commun des mortels signifie mourir ignoré de tous ou presque. Si de plus, par souci de décence, on le camoufle et le cache plus ou moins aux plus jeunes de la famille, ces personnes âgées perdent leurs magnificences, leurs statures, la création de leurs vies. Et lorsqu'il a été abordé tout à l'heure la mort dans les petits villages et les manifestations qui s'y rapportent, je crois justement qu'elle y était plus authentique de par la reconnaissance témoignée auprès du mort, de ce qu'il a effectué dans sa vie, de sa place dans la grande chaîne de la vie.
72 - Dans le temps, les grands-pères et les grands-mères vivaient sous le même toit que les enfants. Plusieurs générations vivaient ensemble. Tout le monde maintenant se disperse. Toute les familles sont éclatées. Tout le monde doit se débrouillé maintenant. Ce dont j'ai peur, avec votre discussion, c'est que vous en veniez à l'euthanasie.
73 - Ecoutez, nous disions que les gens n'étaient pas assez respectueux envers les personnes âgées et qu'aucune reconnaissance ne se voyait. Je ne vois pas en quoi nos propos concluent à l'euthanasie.
74 - Vous disiez que les vieux coûtent très chers.
75 - Il est vrai mais une société devrait être capable selon moi d'assumer tous les coûts de chaque personne que ce soit pour les vieux comme pour les jeunes.
76 - Il est vrai que les personnes célèbres qui meurent ont un tout autre statut. Elles sont élevées. Mais des personnes comme nous n'ayant aucune célébrité n'accéderont jamais à ce niveau de reconnaissance. On tend je pense quand même à l'immortalité et c'est pour cela que l'on a peur de la mort et de la vieillesse.
77 - Je crois que l'on a constaté ce soir des défaillances dans un système. Personne je pense n'est intervenu pour conclure qu'il faut supprimer les vieux. Bien au contraire, supprimer les aberrations que nous constatons. Je voudrais revenir sur les cérémonies tournées vers la mort. C'est vrai que c'est consécutif à la disparition de la famille, aux modifications des systèmes d'habitation. Les constructions d'Hérouville-Saint-Clair sont orientées vers un certain modèle de la famille, capable de tenir dans un appartement classique. Ma mère, dans les derniers temps de sa vie coûtait 22000 francs par mois. Il y a quelques années, ce n'était pas pris en charge. Que devenait ces gens là lorsqu'ils ne pouvaient se permettre de tels frais. Si l'état ne modifie pas la situation actuelle, je crois que l'on arrivera à des débordements dans quelques temps.
78 - C'est vrai que nous, Français, nous sommes habitués à ce que l'Etat intervienne en posant des lois, en réglementant. Peut-être que si l'on déréglementait, cela permettrait de trouver des solutions. J'ai rencontré des personnes aux Etats-Unis qui m'ont dit qu'ils venaient d'avoir un enfant et qu'ils lui avaient alors ouvert un compte en banque pour qu'elle puisse plus tard aller à l'université. Nous sommes habitués à ce que toutes ces structures soient amenées par l'Etat. A partir du moment où l'on sait que l'on doit se prendre en charge, on fait attention.
79 - La position exactement inverse que vous prenez est condamnable. Le modèle américain n'est pas un exemple idéal. Mais on n'a pas besoin d'avoir un état omniprésent non plus.
80 - Aux Etat-Unis, ce qui prime, c'est l'argent et cela aux dépens de l'être. Doit-on tout connecter à la bourse? L'Homme n'est qu'une valeur marchande actuellement.
81 - Arrêtez de dire "la bourse". La bourse, ce n'est ni plus ni moins qu'un intermédiaire entre vous et le monsieur qui est à côté. Ce n'est pas une entité au dessus de l'humanité. Ce n'est pas un entité propre, voyons!
82 - Qu'est-ce qu'il faut faire au delà de la critique que nous avons effectuer.
83 - Si de nos jours, il y a un mouvement favorable aux fonds de pension, c'est parce que précédemment, il y a eu une prise de conscience des effets néfastes de la politique inverse. Le système de retraite par répartition, appliqué au fonctionnaires et aux salariés, ne fonctionnait pas du tout pour les indépendants. Il y a un pragmatisme à trouver entre les ce système de répartition et les fonds de pension.
84 - Je vais revenir au débat qu'il y a eu Lundi dernier ( Le Lundi 10 Mai 1999 débat commun entre le Café Philosophie et le Café Citoyen sur le thème "La politique est-elle un métier" ). Quand les élites sont fermés et ne peuvent pas être au contact avec le peuple, les politiques actuelles arrivent à des résultats pareils.
85 - Ce qu'il faudrait, c'est que chacun, au lieu de voter aveuglément ou de se laisser embobiner, réfléchisse, discute et donc propose.
86 - Où sont actuellement les fonds placés par les caisses de retraite? La plupart sont placés dans l'immobilier.
87 - Un retraite a 67% d'obligations d'entreprises et 28% dans l'immobilier.
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