Compte-rendu analytique par Marc Houssaye — Café Citoyen de Caen (19/06/1999)
Animateur du débat : Marc Houssaye
» Politique et Société
La place des petits partis dans la vie politique
1 - Ma préoccupation première vient du fait que dans un pays considéré comme démocratique, lorsque viennent les élections, on peut être amené à penser que chacun à le droit à la même voix, au même temps de parole, à la place occupé dans les médias. Or, on a pu le voir à l'occasion des élections européennes, c'était un petit peu tout sauf cela. J'ai regardé une émission à la télévision traitant des élections européennes. Chaque semaine un parti était invité. La dernière semaine, tous les petits partis étaient réunis. Déjà, on peut se demander pour quelles raisons on a le droit de les mettre ensemble, de faire un vaste mélange par rapport aux "Grands Partis". Ensuite, on a pu voir des choses aberrantes. La femme responsable du Parti Humaniste parlait et avançait sur une rue de Paris. Il y avait donc un travelling de la caméra. A un moment, sur une colonne Morris, l'on pouvait voir une pièce de théâtre jouée à cette époque intitulée : "Ma femme est folle". Un zoom sur cette affiche a été fait pendant l'interview de la femme. Je me suis dit que cette démarche était anti-démocratique d'autant plus que les commentaires étaient effectués par l'ancien directeur sportif du P.S.G. , Charles Biétry qui ne doit pas connaître grand chose en politique et qui se moquait radicalement. On avait donc un commentaire caustique sur les ambitions des "petits". Cela montre une complaisance marquée des médias pour les partis traditionnels. Tout le monde a le droit au même temps de parole. Ceci est effectivement respecté mais on ne tient pas compte de toutes les tribulations des gros partis qui donnent ainsi plus de présence médiatique.
2 - D'un point de vue médiatique je ne sais pas s'il est plus légitime d'avoir un temps de parole qui soit égal en fonction de sa taille ou quelque soit sa taille. Plus que l'aspect médiatique, ce qui m'a choqué c'est l'aspect organisationnel des émissions. Le fait qu'un parti n'ait pas assez de bulletin, faute de budget, pour se faire élire, c'est un petit peu le serpent qui se mord la queue. C'est donc plus l'aspect structurel des élections qui m'a choqué même s'il semble assez lamentable qu'un parti dit en opposition avec les forces traditionnelles soit qualifié de secte ou de quelque chose comme cela. Il y a un battage médiatique qui peut être néfaste à la vie politique.
3 - Je me demande ce que reçoivent les petits partis par rapport aux gros au niveau des subventions. Il est évident que moins on a de budget moins l'information peut être diffusée.
4 - Je suis d'accord sur le fait que les partis ne soient pas assez représenté du point de vue médiatique. On devrait tous leurs donner le même temps de parole. Le problème se situe dans le fait que l'on comptabilise seulement les prises de parole sur les médias publics. Il ne faut pas oublier qu'un gros parti, ayant beaucoup plus de moyens financiers, aura plus de moyens pour être présent sur une chaîne privée; sans parler des corrélations possible entre les directeurs de certaines chaînes et quelques partis politiques. Alors il est vrai que du point de vue financier les "petits partis" ont moins de pouvoir mais il y a aussi une discrimination du point de vue relationnel.
5 - Pendant des campagnes, le temps de parole pour tous les candidats est identique. Cependant, il me semble que les subventions accordés aux partis politiques sont proportionnelles à leurs importances.
6 - Je ne pense pas qu'il y ait d'une part un organisme qui donne la parole et d'autre part les partis qui l'utilisent. Je pense que le problème est plus profond. Pour un petit parti, il faut quand même une certaine disponibilité pour les interventions, les déplacements, etc. Il faut des gens employés à temps plein pour assurer la présence médiatique du parti. Les moyens limités forcent les "petits partis" à se cantonner soit à un domaine géographique particulier soit à un domaine politique restreint. Je ne pense pas qu'il y ait une identité médiatique qui censure véritablement. Mais du fait de sa petitesse, de son manque de moyens, le "petit parti" n'a pas le même investissement, la même disponibilité qu'un "gros parti". Les têtes de listes sont rémunérées et ont assez de moyens pour pouvoir faire de la politique une activité à part entière. Est-ce qu'un petit parti a ses moyens là ? Je ne pense pas.
7 - En ce qui concerne le temps de parole : en se basant sur une heure, les candidats qui ont des représentants au parlement se répartissent la première demi-heure, les autres se répartissent la demi-heure restante. Les partis perçoivent ensuite dix ou onze francs par électeur et c'est là que l'on peut se demander s'il faut parler pour les européennes de parti politique mais parler de liste. On peut se demander si la première préoccupation n'est pas une recette pendant cinq ans plutôt qu'un résultat électoral. C'est le travers des lois qui peut permettre à des gens n'ayant aucune chance de se faire élire d'obtenir un financement. Cela peut être le cas de sectes, de personnes personnellement intéressées. La différence avec les législative, c'est que c'est la tête de liste qui reçoit l'argent et qui en fait ce qu'il veut.
8 - Ce dont vous parlez ce sont des subventions accordées selon les résultats. Il faut bien les distinguer des remboursements de campagne. En l'occurrence, l'absence de bulletin de certains partis dans des bureaux de vote est due à ces fameux cinq pour cent. Les gens seraient sûr d'avoir les cinq pour cent, ils n'auraient aucune peine à débourser ne serait ce que pour l'impression des bulletins. Quand la campagne est financée par des moyens personnels, c'est une grande restriction. A mon avis, même s'il existe des personnes qui se présentent pour obtenir ces dix ou onze francs par électeurs au cas où ils auraient plus de cinq pour cent, il faut selon moi que tout le monde soit sur le même pied d'égalité pour financer une campagne. Il y a des comptes de campagne qui sont établis, ce n'est aucunement de l'argent qui va passer dans une secte ou dans la poche personnel de quelqu'un. On pourrait même envisager qu'une imprimerie s'occupe des bulletins de tous les partis. Tout le monde aurait la même police, le même papier. Alors qu'actuellement il y a une différence nette entre les partis jusqu'au niveau des affiches. On peut voir du papier glacé, de la couleur, etc.; Il y des partis ayant des bulletins de riches et des partis qui n'ont même pas les moyens d'avoir un bulletin dans tous les bureaux de vote. Cela pose un problème de démocratie.
9 - Effectivement, avec ce que j'entends là, il y a deux problèmes. Comment un "petit" parti peut devenir "gros"? et comment peut on se préserver des gens qui cherchent à tirer profit des fonds publiques? A partir du moment où l'on se pose ces questions, on est amené à se poser la suivante : A partir de quel moment a-t-on le droit de dire un tel a le droit ou n'a pas le droit de se présenter? C'est un problème de démocratie. Je crois que c'est un petit peu facile de juger les gens à priori surtout que les grands partis à, mais c'est une opinion personnelle, ne nous ont pas montré qu'ils étaient des gens très honnêtes.
10 - Tout le monde, notamment les publicitaires commerciaux comme les grosses firmes de produits alimentaires, sait que plus l'impact est alléchant plus on achètera. Maintenant quel est l'impact de la publicité sur les hommes politique. La publicité politique est-elle porteuse à la manière d'un produit commercial?
11 - Je trouve qu'il y a eu un manque d'information pour les informations européennes.
12 - Je crois qu'il faut reconnaître tant au point de vue politique qu'économique les limites de la publicité. Je crois que la véritable question est : est-ce que les partis qui se présentent correspondent véritablement aux différentes opinions des gens? Est-ce que la chasse et la nature, pour prendre cet exemple, correspondent à une réalité? Mais un parti qui peut avoir peu d'importance à un moment peut en acquérir parce que ses idées se développent. C'est pour cela que les Verts se sont développés. Autrement dit un parti qui n'arrive pas à faire fructifier ses idées de façon que cela devienne un mouvement social important disparaîtra.
13 - Alors dans cette optique : à partir de quelle moment peut-on déterminer qu'une idée est viable parce qu'elle a été confrontée à un nombre suffisant de personnes? Prenons un exemple pratique. Nous avons une idée et nous voulons que plein de gens soit au courant de cette idée. Comment mettre au courant les autres? Les idées avec un bon plan marketing sont beaucoup mieux perçues que les idées qui en sont dénuées.
14 - C'est certain. Cela dit, on ne peut pas conclure directement de la quantité de dollars investit à la quantité de voix qui puisse en découler.
15 - Non, mais on peut conclure sur l'impact. De là à voter pour la chose la plus représentée de façon publicitaire. Du nombre de gens qui se pose la question et qui savent que tel parti existe certainement.
16 - Il y a différentes sortes de publicité; les journaux, les interviews, etc. Je prétends que le journaliste accompagnant l'interviewé est toujours un peu goguenard.
17 - Je ne pense pas que l'on puisse ignorer l'influence de l'argent et de la technicité sur la politique. Manifestement, avec le système actuel, sans argent il est très difficile de communiquer ses idées. On parlait tout à l'heure de la barre de cinq pour cent en dessous de laquelle le remboursement de la campagne n'était pas possible. Il est évident qu'une telle réglementation n'a de but que dans l'élimination des marginaux. Les gens qui font des lois émanent évidemment de gros partis et de ce fait se protègent ; pas forcément d'une façon contestable d'ailleurs car l'émiettement en politique ce n'est pas bon.
18 - J'ai l'impression que vous partez du principe que l'information fabrique l'esprit du citoyen. Je crois que si économiquement cela est en partie vrai, dans le domaine politique cela est faux ; car il suffirait de trouver assez de moyens pour manipuler les esprits. Je pense qu'à l'heure actuel si l'on veut s'informer sur tous les partis politiques existants on peut trouver toutes les donner. Le citoyen doit prendre en charge son information. On ne se contente pas de recevoir l'information. On la recherche, on la critique, on la discute.
19 - Vous supposez dans votre argumentation que la conscience citoyenne est établie. C'est une voie dans laquelle nous pourrions nous aventurer. La conscience citoyenne est-elle si bien ancrée en nous comme vous semblez le dire?
20 - Je pense que le plus gros parti est celui des abstentionniste. Effectivement les gens réfléchissent parfois mais j'ai l'impression qu'ils ne se trouvent pas représentés par une direction politique particulière. Le vote blanc n'est pas reconnu non plus et je trouve cela dommage. Ils pourraient au moins aller voter blanc.
21 - Moi, je trouve que les abstentionnistes ne forment pas un parti car l'abstentionnisme provient souvent d'une désinvolture ou d'un je-m'en-foutisme. J'ai pas l'impression d'un dynamisme chez les abstentionnistes. Je voulais prendre la parole pour parler des petits partis. Souhaitons nous qu'un petit parti prenne le pouvoir? Si l'on regarde l'histoire politique de notre pays, à chaque fois qu'un petit parti prenait le pouvoir, c'était souvent la catastrophe. Les partis fascistes, ou extrémistes de gauche, ou révolutionnaires, ont fait plus de massacres que de bonheur. Les partis plus stables sont je trouve les partis les plus démocratiques car ils négocient les volontés de changement. Devons nous donner la chance aux petits partis de devenir grands?
22 - A priori, le débat n'est pas de savoir si les partis doivent prendre le pouvoir. C'est l'élection qui en est la réponse. Nous sommes plutôt sur la campagne et avant. On a parlé de conscience politique et c'est vrai que la personne qui va voter est dans l'esprit de citoyenneté. Ce que je crois quand même, c'est que l'on n'oublie pas la vie de tous les jours ; et la vie de tous les jours, c'est la consommation. On reçoit des pubs tous les jours dans la boîte aux lettres. On possède des réflexes. Et le jour où l'on doit être citoyen, on ne peut pas se libérer d'un coup de nos réflexes de consommateurs. Même si on a une attitude un peu plus réfléchie, je pense qu'il y a tout un tas de mécanismes qui font que l'on va fonctionner partiellement comme un consommateur. Il a été dit tout à l'heure qu'avec les cinq pour cent il y a une sorte de blocage. Il est peut-être nécessaire pour la vie démocratique pour ne pas se retrouver avec la pagaille. Mais là, on résonne en terme de campagne. Mon idée serait de donner aux gens qui s'expriment les moyens de s'exprimer ; et de façon équitable. Sinon, on ne pourrait jamais savoir si un petit parti deviendra un jour un grand parti. La sanction ensuite, c'est le vote. A mon avis cette barre des cinq pour cent, tout comme le phénomène du vote blanc non reconnu, sont les principales causes du blocage par les hommes politiques du monde politique. Ainsi la remise en question de ces politiques qui appartiennent à un système statique est évitée.
23 - Lorsque vous parlez de l'impact de l'information sur la masse molle, je suis d'accord avec vous. Je crains qu'il y ait une masse molle assez importante. Les groupes qui se constituent tels que ceux de ce soir sont à mon avis en très grande minorité. J'ai assisté à des préparations de campagnes. J'ai assisté par ailleurs à des présentations de plans marketing au sein de mon entreprise. Je n'ai pas vu de différence. Le langage était tout à fait identique. Le grand meeting pour les Européennes organisé par le Parti Communiste était un grand spectacle. Et ces campagnes de style marketing ont de plus en plus de poids. L'émergence d'une diversité de partis politiques s'est vue, après la guerre en tout cas ; et la prise du pouvoir par une minorité est fortement dangereuse. On voit actuellement une coalition. Si un petit parti venait à se retirer, il n'y aurait plus de majorité étant donné le morcellement des voix. Cela veut donc dire que des partis très minoritaires peuvent imposer leurs voix. Je ne crois pas que ce soit très bon.
24 - Mon intervention est peut-être en marge du sujet. C'est à propos de la masse molle des gens. J'ai l'impression qu'avant le vote, les gens ne sont informés que par la publicité dans leurs boîte aux lettres. Et pour la plupart des gens, la pub pour Continent, les papiers pour les élections, c'est du pareil au même et tout se retrouve à la poubelle. Mélanger la politique avec le commerce, à mon avis, ce n'est pas bien. Les gens ont le devoir de s'informer avant les élections.
25 - Effectivement, nous avons tous des réflexes de consommateurs. Cependant, nous avons une vie sociale qui ne nous permet pas de pouvoir réfléchir. C'est un train de vie et beaucoup de gens le suivent. Nous ne pouvons pas nier que les informations passant au 20 heures sont les informations reçues par le plus de personnes. Parallèlement, nous n'avons pas une belle image des politiciens parce que leurs magouilles ne nous incitent plus à leurs faire confiance. D'un autre côté, ils nous apparaissent comme "indéboulonnables". Et le bilan, c'est que l'on ne fait pas grand chose. Le moyen pour changer cet état ne me saute pas aux yeux malheureusement.
26 - Comment concevez-vous votre rôle politique, votre responsabilité citoyenne, le fait que vous ayez la possibilité de voter?
27 - Il est évident que la propagande est efficace. C'est indiscutable. Le problème se situe au niveau de la maniabilité des foules. Le terme de masse molle ne me plaît pas du tout car je pense que c'est prendre les gens pour des c… . Même s'il y a une grande propension à l'"influençabilité", je pense que la majorité des personnes réfléchissent et sont citoyens. On réduirait la politique à l'action d'une personne ou d'un seul groupe qui se contenterait de manier les autres par l'intermédiaire de l'information.
28 - D'ailleurs aux États-Unis, il y a beaucoup de milliardaires qui commencent à faire de la politique.
29 - (fin de l'intervention 27) De plus, l'influence de la télévision s'est fait ressentir dans la politique. Il ne suffit pas pour moi d'avoir de l'argent pour influencer le citoyen. Je crois qu'il existe toujours chez le citoyen une capacité de se réveiller. Le fait même déjà de ne pas aller voter ou de voter blanc, ce qui est encore mieux.
30 - J'ai quand même l'impression que les gens s'investissent. Cependant, nous pouvons nous demander pourquoi il y a un tel dénigrement des partis. Je m'investis dans des associations et autour de moi, j'ai des personnes qui s'impliquent aussi. Mais dès que je leurs parle de partis, il n'y a plus personne. Cela ne les intéresse pas parce qu'ils ont l'impression que leurs opinions ne comptent pas. Mais peut-être qu'en employant la technique du Cheval de Troyes, ils réussiront à se faire entendre. Les gens croient qu'ils sont obligés de la boucler dans un parti..
31 - Prendre la défense de la masse en disant : "Ils ne sont pas si stupide que cela", je trouve cela un peu trop compatissant. Le problème, c'est celui-ci : les gens ne voient pas qu'ils ont le choix. C'est justement parce qu'ils ne sont pas bête qu'ils ne vont pas voter. La politique n'a plus d'intérêt. Ils n'y prêtent plus attention. Ce que la politique leurs offre ne leurs convient pas. Et c'est tout.
32 - J'irai dans ce sens. Apparemment, s'abstenir, pour la plupart des gens, c'est faire parti de la masse molle et voter, c'est être actif. Je trouve cela faux. Pour le problème des bulletins non présents dans certains bureau de vote, je me demande comment le fait de marquer le nom du parti qui ne possède pas de bulletin sur un papier blanc aurait été perçu.
33 - Pouvons nous clairement définir la différence entre les gens qui s'abstiennent de voter et les gens qui vont mettre une enveloppe vide. J'estime que les gens qui ne se déplacent pas se moquent de la politique.
34 - Est-ce que ce ne serait pas la politique qui se foutrait de nous ?
35 - Dans l'ensemble, parce qu'il y a des abstentionnistes de tous les bords, cela veut dire qu'il faut une autre règle du jeu.
36 - Moi, je ne voit pas l'intérêt de s'abstenir ; parce que ce sont d'autres personnes qui choisissent à notre place.
37 - Dans certains pays européens, le vote est obligatoire. Il n'y a plus cette grosse masse de gens qui ont tous leurs raisons de ne pas aller voter. La légitimité des gros partis serait forcément remise en cause si l'on obligeait les gens à voter. 20% de 47% de votants, pour un parti qui se veut gros, ce n'est pas énorme. Je crois que c'est une solution. Être abstentionniste, mettre une enveloppe blanche, c'est dire que l'on est pas d'accord. Mais c'est tout. Et si le plus gros parti arrivait à 9% des voix, cela interrogerait beaucoup.
38 - S'il existe tant d'abstentionnistes, c'est qu'il n'existe pas un panel représentatif dans les partis. Le vote obligatoire, notamment en Belgique, c'est en fait un leurre. L'amende pour ceux qui ne vont pas voter est d'équivalence 10FF. De plus cette amende n'est jamais mise en recouvrement parce que la mise en œuvre reviendrait plus cher. Il n'y a guère que dans certaines professions où le vote est intéressant. Pour s'inscrire à un barreau, pour exercer le métier d'avocat, etc.. C'est restrictif mais ce n'est pas si innovant. Par contre, la reconnaissance du vote blanc serait beaucoup plus motivant. Cela obligerait les citoyens à faire une démarche, élément primordial de la démocratie. Cela permettrait de ne pas laisser la porte ouverte à des interprétations dangereuses qui consisteraient à dire : "Personne ne vote, donc pourquoi continuer les élections?". Cela inciterait chaque personne à prendre conscience de l'état statique de la situation.
39 - La semaine dernière, je ne suis pas allé voter. Je peux même vous dire que l'on était cent vingt dans le même cas ; nous étions en mariage. On peut imaginer quand même que s'il y avait eu une sanction suffisante, les choses se seraient déroulées autrement. On ne peut pas imaginer d'obligation sans sanction.
40 - Au départ, nous parlions d'argent et de politique. S'il y a bien quelque chose de véhiculé dans cette mouvance actuelle, c'est la mise en cause des hommes politiques. Cela veut dire que les gens qui relèvent de cette opinion ont une certaine responsabilité. Par ailleurs nous tous qui sommes ici qui avons tendance à dire que les hommes politiques sont pourris, est-ce que l'on n'aurait pas intérêt à assurer une alternative? Si effectivement la politique est reliée à l'argent et que l'information lui appartient, alors qui paye pour nous dire que la politique est pourrie? Je pense que la majorité des hommes politiques que nous avons élu ne sont pas corrompus. Certains le sont. Mais le fait de supposer que tous le sont, cela me fait penser à une période politique antérieure bien précise.
41 - Mais pourquoi une telle avidité du pouvoir?
42 - Ce n'est pas l'avidité du pouvoir qu'il faut sanctionner, c'est l'abus. Il faut appliquer la loi. Cette critique du régime démocratique parlementaire a fondamentalement fait le lit des régimes totalitaires après guerre. Ce que je veux dire, c'est que l'opinion très répandue selon laquelle la politique est pourrie s'accompagne d'une paranoïa.
43 - Il est évident que toutes les dictatures se sont mises en place alors que les régimes étaient déliquescents. C'est donc très mauvais de dire que tous les politiques sont pourris. Mais nous pouvons affirmer cependant que le système est vicié. La politique n'est plus là pour assurer des idées mais pour affirmer des carrières et des gens qui ont choisi comme métier la politique. On ne défend plus une idée, on défend sa carrière.
44 - C'est vrai qu'il n'y a pas dans la population l'idée dominante du "tous pourris" ne serait ce que parce que lors des assemblées nationales, on connaît 10% des députés seulement. Les gens font je pense la distinction entre le bon député du coin et la politique générale. Les médias qui sont à mon avis les frères de ces hommes politiques, font le point sur des affaires judiciaires, des magouilles politiques; et cela participe à l'engouement général du "tous pourris". L'ambiance générale n'est pas de dire : "ils sont tous pourris", la population n'est pas dupe, mais de dire les politiciens sont incompétents. Les partis extrémistes et fascistes utilisent plutôt le "tous pourris".
45 - Moi, je ne pense pas qu'ils soient si incompétents que cela. Je dirais qu'ils ne se risquent pas à perdre le pouvoir. Les hommes politiques ont perdu beaucoup de pouvoir depuis trente quarante ans. Ce qui dicte le pouvoir, c'est aussi les marchés financiers. Il y aussi un autre point : au Liban, il y a eu à un certain moment 32 partis. Cela était impossible à gérer. Et l'idée que tout le monde soit représenté devient impossible à mettre en pratique.
46 - Je pense que les gens ont assez d'entendre des discours d'hommes statiques. Les politiciens ont appris un métier d'acteur, jouant du verbe et du geste, et la télévision est un formidable outil pour eux. Le mot séduction est à placer ici.
47 - Je voudrais revenir sur une chose. Je crois que l'on est à peu près d'accord sur le fait que lorsque l'on a trente partis, c'est très difficile à gérer. Pour qu'un parti politique soit convenable, je pense qu'il faut que ce soit de grandes idées qui s'expriment. Le problème n'est pas lié à la dictature des petits partis éventuels. Dans un système démocratique, les petits partis d'aujourd'hui peuvent devenir les grands de demain. Le problème est le suivant : les gros d'aujourd'hui resteront les gros de demain et les petits resteront petits. Or, le système démocratique veut que les idées évoluent et soient en adéquation avec la volonté de la population. Le danger actuel, c'est que les petits partis soient inhibés et n'aient pas la chance de se développer.
48 - La désertion des bureau de vote vient du fait que l'on considère la politique comme un produit. On a employé des termes qui correspondent plus au système marchand qu'au système politique. A mon avis, quinze jours avant les élections, on devrait interdire les publicités politiques afin de laisser les gens réfléchir eux-mêmes.
49 - Vous employé le terme marketing dans un sens péjoratif. C'est aussi un moyen d'informer, non ?
50 - Mais dans cette logique, l'idée n'est pas mise en avant. C'est le slogan, tel parti fait plus que tel autre parce qu'il a une nouvelle formule miracle qu'il faut tout de suite essayer.
51 - L'information politique est importante aussi. Le traité de Maastricht, je ne l'ai jamais eu bien que l'on m'ai fait voté pour cela. Le référendum sur la Nouvelle Calédonie, aucune information ne m'a été donné. L'information citoyenne doit être présente. C'est important, même sous forme de tracts.
52 - On se soucie toujours des bases d'une société démocratique. L'installation de la politique aux États-Unis, le fédéralisme, etc., se sont préoccupés de cela. La démocratie repose sur le fait que le citoyen prend en charge son information. D'où l'importance accordée à l'éducation. Le souverain en démocratie, c'est le peuple.
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