Compte-rendu analytique par François Toutain — Café Citoyen de Caen (21/02/1998)
Animateur du débat : François Toutain
» Politique et Société
L'indépendance de la Justice
1 - Le problème de l’indépendance de la Justice concerne surtout le Parquet, le Ministère Public. Le fait que les magistrats du siège soient indépendant du gouvernement est une tradition déjà bien instaurée en France. Mais qu’en est-il du parquet ? Doit-il avoir des liaisons avec le gouvernement ? En somme, il faut se demander si on souhaite que le parquet devienne un pouvoir. La récente proposition de loi du Gouvernement nous amène à nous interroger sur ce point.
2 - La question de l’indépendance de la Justice ne concerne que le problème des délits et des peines. Pour le reste, il y a des juges indépendants - ceux-ci n’étant pas du tout tenus par l’Etat -qui jugent des affaires civiles. Cela fonctionne. Pourquoi, dans ces conditions, se choquer lorsqu'on parle d’indépendance au niveau pénal. Cela me surprend énormément. On a peur que le Politique n’intervienne dans la gestion de la Justice : c’est-à-dire que l’on craint que le politique ne dise d’intervenir dans telle affaire plutôt que dans telle autre. La Justice doit-elle répondre à une opinion du peuple que Justice soit faite. Il me semble que l’on doit exercer la justice non pas en fonction d’une émotion d’un moment, mais, par rapport à quelque chose d’abstrait qui doit répondre à des critères qui sont codifiés.
3 - Si, comme aux États-Unis, on procédait à une élection des Juges (élection qui serait le pendant de l’indépendance, qui donnerait un statut démocratique aux Magistrats), ces derniers s’en trouveraient soumis, comme les politiques, à des conséquences indirectes du fait qu’ils soient élus, c’est-à-dire la volonté de séduire. On pourrait par exemple avoir des juges très difficiles, élus dans des moments où les gens ont plus besoin de vengeance que de Justice. Il faut donc peut-être écarter ce système d’élection. Il faut cependant voir qu’un juge peut avoir beaucoup de pouvoirs tant par les retombées médiatiques qui vont résulter d’une mise en accusation de quelqu’un, que par la possibilité de le limiter dans sa vie en le mettant en préventive. Le juge a donc des pouvoirs assez importants et, s'il n’ y a aucune contre réaction à ce pouvoir d’un individu sur un autre, il y a possibilité d’une dérive. En effet qui s’assureraient de la qualité des juges et de leur non-corruption personnelle ?
4 - Le problème de l’indépendance n’est pas forcément celui de la qualité des juges. On peut dissocier les deux. La façon dont sont choisis les juges peut être totalement dissociée du problème.
5 - Ce serait leur indépendance dans l’action uniquement, et leur choix éventuellement pourrait ne pas être indépendant. Mais c’est cependant un peu identique : actuellement, on peut dessaisir un dossier mais si on « dénomme » quelqu’un, si on nomme à une autre place une personne chargée d’un dossier, ce sera pareil. Il y aura la même ingérence du politique dans les affaires du juge. Il y a une mécanique à trouver qui permette de s’assurer de l’intégrité du juge et, en même temps, de sa surveillance possible, de sa révocation lorsqu’il a failli.
6 - Si les juges d’instruction ne sont pas indépendants, c’est qu’on estime qu’instruire une affaire doit répondre à une volonté du gouvernement. Or, il est peu sûr que ce soit cela la justice.
7 - Les juges d’instruction sont indépendants. C'est le ministère public qui confie une affaire au juge d’instruction. Le problème concerne l’intérêt pour agir. En matière de corruption, par exemple, c’est uniquement l’Etat, par le biais du Ministère public, qui peut agir.
8 - Les politiques sont élus et créent des Lois. Les juges, parce qu’ils seraient totalement indépendants, et non soumis à la volonté politique, pourraient très bien décider ne pas appliquer une loi, de toujours déclarer innocent une personne condamnable de par la loi en question. Ce serait une indépendance-falsification du procédé démocratique. Si on crée des lois et que, par la suite, les juges ne les appliquent pas, c’est un peu comme si le législateur faisait cela pour rien. Il y a aussi un intérêt technique à ce les magistrats du parquet (qui requièrent les choses contre la personne qui faute) soient plus ou moins engagés par l’instance politique, elle-même élue. Si les politiques veulent plus de sévérité de la part des juges en votant une loi plus sévère dans tel domaine, et si, derrière ils n’ont les moyens de la mettre en application, ce serait faire sortir les problèmes de sécurité de la personne du champ d’application de la politique. A quoi bon voter des lois si derrière il n’y a pas des juges qui sont un minimum acquis à ces lois ? Ces dernières ne seraient pas appliquées. À moins bien sûr que les juges soient tellement honnêtes et droits qu’ils oublient leur propre interprétation et vision de ce que doit être la loi pour appliquer ce qu’on leur dit d’appliquer. En somme, il faudrait des juges robots capables d’appliquer les lois même s'ils ne sont pas en accord avec elles.
9 - Y-a-t-il besoin d’une structure étatique pour rendre la justice ? C’est un débat qu’a connu la France au cours du XIXe siècle et qu’avaient essayer à leur niveau les Communards en tentant d’élire des juges indépendants qui n’avaient de comptes à rendre qu’à leurs mandants. Ces juges étaient éligibles et révocables à tout moment. Je ne sais pas si cette solution serait souhaitable aux vues de la société moderne. Nous buttons toujours sur la même question : comment mettre en place des juges qui soient véritablement au service du citoyen ?
10 - Le magistrat rend le jugement « Au nom du peuple Français ». Il est en effet important de le redire : la justice est rendue au nom du peuple.
11 - Quelle est la crédibilité des juges au bout d’un certain temps ? Il y a un contre-pouvoirs à trouver, c’est incontestable. On devrait pouvoir sanctionner les juges qui font mal leur travail. En effet, certains juges peuvent prendre une certaine liberté dans l’application des textes de loi. Il y a un côté impunité par rapport la structure. Y-a-t-il une sanction claire ? La révocation est-elle utilisée ? Il y a deux choses : le contrôle en amont et le fonctionnement des juges. Lorsqu’on fait bien son travail, très bien ; dans le cas contraire, que fait-on ? Ce serait bien d’apporter des solutions plus précises que des mutations. Le fait qu’il n’y ait pas de sanctions bien établies peut choquer le citoyen. S’agissant de savoir si le contre-pouvoir doit être lié aux citoyens ou aux politiques, cela est très difficile de se prononcer. Il semblerait que l’on se dirige vers un concept de « Conseil de la Haute Magistrature ». Actuellement, les procureurs sont nommés par le Garde des Sceaux. Avec l’avènement de ce conseil qui nommerait les officiers du ministère public, on décalerait le problème d’un échelon puisque l’organe est lui-même nommé par le politique. Juger les citoyens est une des missions les plus difficile. Comment savoir si un juge a bien donné la bonne ou la mauvaise sanction ? Qui peut le dire ?
12 - Les textes !
13 - Certes, mais il y aussi l’appréciation de l’événement, ce que ne prend pas en compte les textes. Il faut donc avoir une souplesse pour appliquer les textes tout en pouvant les adapter aux cas particuliers
14 - La charge n’est-elle pas trop importante pour un seul homme ? On a parlé pendant un certain temps de la collégialité.
15 - Le problème du mauvais juge peut être comparé à celui du mauvais professeur. Le mauvais instituteur peut gâcher la carrière scolaire d’un élève, cela a donc des conséquences importantes sur l’individu. Pourtant, lorsque l’on a un mauvais professeur, au pire sera-t-il muté. Le mécanisme que l’on pourrait inventer pour le mauvais instituteur ou le mauvais professeur, on pourrait ensuite l’imaginer pour le mauvais juge. Il y a un niveau différent puisque cela touche la liberté des gens, mais après tout, lorsque l’on a une bonne scolarité on assure aussi sa liberté.
16 - Ce qui différencie le magistrat des autres fonctionnaires, c’est qu’il est investi d’un pouvoir moral sur la société. Le rôle du juge est d’examiner des faits et, en fonction de ceux-ci, d’établir une sanction. Et c’est ici que la responsabilité du juge est très lourde. On a eu la sagesse de supprimer la peine de mort, ce qui évite les erreurs judiciaires telles que celle contée par Gilles Perrault dans Le pull-over rouge.
17 - On se rend compte que dans les pays qui ont aboli la peine de mort, celle-ci était déjà abolie de fait par les juges, qui ont une certaine avance par rapport au politique qui suit les mentalités et les opinions. On commence par avoir une longue période pendant laquelle la peine de mort n’est plus appliquée, avant de se rendre compte que l’abolition va effectivement devenir une loi. Ainsi est illustrée la possibilité énoncée précédemment pour les juges de faire une loi. (Intervention n° 8)
18 - Il faut surtout se demander si on veut ou non que le Parquet intervienne selon les volontés du gouvernement.
19 - S'il y a une politique qui est volontairement menée, il est normal que le gouvernement agisse sur la partie de la justice qui dirige et oriente les dossiers pour dire si l’on poursuit ou pas. Si, face à l’impression de magouilles que ressent l’opinion, un gouvernement ayant proposé un programme tendant à combattre les magouilles et à donner une vertu aux politiques arrive au pouvoir et que les anciens politiques aient instauré l’indépendance, ces gens nouveaux qui désirent poursuivre les non-vertus précédentes ne pourraient plus agir sur la justice. Derrière cette volonté pressante de l’indépendance de la justice, on peut se demander s’il n’y a pas un souci des politiques actuels de s’assurer pour l’avenir de ne pas être poursuivis pour des choses faites actuellement. Il peut y avoir une arrière-pensée à l’indépendance de la justice alors que ce système fonctionne ainsi depuis longtemps de cette façon. L’indépendance pourrait être un moyen de bloquer toute clarification de la vie politique.
20 - Il y a des vertus à l’intervention du gouvernement : ainsi l’actuelle impulsion à l’encontre des réseaux de pédophilie, position somme toute progressiste. Au contraire, nous voyons bien que la justice des magistrats indépendants est assez conservatrice.
21 - Il doit y avoir un contre contre-pouvoir et c’est ce que font actuellement les journaux. Quand la machine politique intervient par abus sur la machine judiciaire pour empêcher telle action, il peut y avoir un contre-pouvoir des journaux, qui en étalant l’affaire, font en sorte que les politiques se calment sur ce point-là. On peut penser à un mécanisme de régulation autre que donner l’indépendance pour lutter contre ce genre d’actions.
22 - Cette action des médias reste cependant limitée. Prenons l’exemple de l’affaire des H.L.M. de la Ville de Paris. Les médias en ont parlé, ce qui n’a pas empêché l’étouffement de l’affaire.
23 - Certes, mais les politiques se sentent dès lors mal à l’aise.
24 - On peut également parler de l’indépendance des médias vis-à-vis du monde politique.
25 - Dans une véritable démocratie, je ne vois pas bien quel corps constitué aurait le droit de prétendre à une réelle indépendance. On peut revendiquer une certaine autonomie. Mais si on est indépendant, on ne fait plus partie du processus démocratique ; On est un pouvoir à côté. Or, l’Etat doit toujours définir le cadre dans lequel les citoyens et les corps constitués évoluent.
26 - Le fait que le Ministère public amène des personnes devant les tribunaux, de manière indépendante et autonome, avec un aspect négatif, ne veut pas dire que ces personnes seront jugées par des magistrats agissant de la même. Quand bien même le ministère public en arriverait à inculper tout le monde, cela ne veut pas dire que tout le monde sera condamné. Je ne vois pas le danger d’un ministère public composait de magistrats totalement indépendants.
27 - On ne s’insurge pas outre mesure, même si il y a indépendance entre l’exécutif et le législatif, de voir que ce sont plus ou moins les mêmes personnes que l’on retrouve dans ces charges. Il est normal qu’il y ait une autonomie, une liberté d’action dans les domaines qui leur sont propres mais il faut qu’ils restent liés, de par le fait qu’ils participent tous à la vie politique en général. De plus, même s’il y a indépendance sur le papier, la justice ne va lever un impôt de façon solitaire. Il y aura, de toute façon, un exécutif qui lui donnera un budget. S'il y avait indépendance totale, le politique pourrait dire : « Budget justice : zéro. ». L’indépendance totale n’est donc pas possible, sauf à trouver un moyen de choisir les juges, de les rémunérer d’une façon totalement indépendante de l’autre système. S’agissant du législatif et de l'exécutif, on ne se pose pas la question. Ils sont indépendants, mais il y a beaucoup de relations. Il faut que la justice soit dans le même cas.
28 - On ne peut pas se permettre de se poser le problème de l’indépendance de la magistrature uniquement par rapport à leurs pairs.
29 - Si on crée une indépendance entre justice et exécutif, et que parallèlement à cela, l’exécutif est en phase de construction d’un exécutif plus vaste - l’Europe - et que la justice soit soumise à des directives européennes, on saute par dessus la dépendance transversale : la justice ne serait toujours pas indépendante via l’Europe et la justice européenne, qui est liée à l’exécutif européen. Quand on regarde le pays en soit, on peut tout à fait créer une indépendance, mais noyée dans un monde qui se crée (internet, justice internationale…), la justice aura beaucoup de contraintes : l’indépendance tant par le financier que par l’environnement est un leurre.
30 - L’indépendance est dangereuse, car elle transforme la justice en bras armé des grands lobbies internationaux.
31 - Tous les pays de la Common Law fonctionnent avec des juges indépendants du début à la fin, et la justice pénale de ces pays est regardée avec beaucoup de satisfaction, à un tel point que l’on s’en est servie pour créer la justice internationale. L’indépendance des juges - tant du siège que du parquet - est une des garanties fondamentales d’un jugement impartial, indépendant.
32 - Parler de l’impartialité de la Justice est osé : on a en effet toujours dit que selon que vous êtes puissant ou misérable, ce n’est pas la même justice.
33 - On se référait, il y a quelques instants, au système américain. Est-ce que le système judiciaire y est indépendant ?
34 - Le cas américain est particulier : les juges et les procureurs sont élus et répondent donc aux volontés de l’opinion publique.
35 - Il serait aberrant d’adopter en France ce système d’indépendance à l’américaine car la justice y est devenue un véritable business.
36 - Les juges américains sont dépendants de la population.
37 - Une jeune anglaise a récemment été condamnée par la Justice américaine. Suite aux manifestations de l’opinion, elle a été libérée par les juges. Ils sont tellement liés à l’opinion qu’ils lui cèdent dans bon nombre de cas.
38 - (Suite de l’intervention n°31) Lorsque je parlais des systèmes utilisés dans les pays de common law, je ne visais par les États-Unis mais plutôt les systèmes anglais et canadien, où tout le monde est indépendant. Une personne arrêtée par la police va passer devant un juge indépendant qui décidera s'il y a assez de chefs d’inculpation pour que cette personne puisse être déférée devant une cour, elle-même indépendante. Personne ne se plaint de cela. En France, la dépendance du parquet vis-à-vis du gouvernement pose problème du fait qu’il y a des affaires politiques non jugées.
39 - On parle de la corruption politique qui retentit sur la Justice. Rien ne dit qu’une Justice indépendante ne serait pas gangrenée elle-même par la corruption. C’est plus le procès de la corruption que celui de la dépendance de la Justice qu’il faut faire.
40 - Aux Etats Unis, nous l’avons dit, les juges sont élus. Il n’est pas sûr qu’ils soient pour autant indépendants du fait des lobbies et autres groupes de pression.
41 - Indépendance et corruption : on peut se demander si l’indépendance n’entraîne pas forcément la corruption dès lors qu’il n’ y a personne pour surveiller son activité. Si les hommes politiques actuels sont corrompus, c’est parce qu’ils sont indépendants. Raisonnement : A priori, ils ne sont pas indépendants, puisqu’ils sont élus par les gens. Or, actuellement, on constate une alternance gauche / droite : Aucun moyen ne nous est donné pour leur dire que l’on ne veut plus d’eux, le vote blanc n’étant pas reconnu. Nous allons voter pour le prestige. En somme, ils sont indépendant, ce qui peut éventuellement amener la corruption dans ce domaine.
42 - La devise de la République est « Liberté, Egalité, Fraternité. » Le principe d’Egalité signifie que nous sommes tous égaux devant la loi. Le problème est que les textes pénaux sont très souples. Le vol est, par exemple, puni d’une peine privative de liberté allant de 1 an à 10 ans. Le juge a donc un pouvoir énorme. Ceux qui prônent une relation hiérarchique forte entre le gouvernement et le parquet se basent sur le principe d’égalité : pour éviter des différences de poursuites, pour des infractions égales, entre des personnes se situant dans l’est ou dans l’ouest de la France. La dépendance hiérarchique permet d’avoir la même justice partout en France. Or, on peut contester à cela que les juges qui rendent la justice sont indépendants : cela est donc aléatoire de toute façon. La dépendance est un moyen pour le gouvernement de dire comment la loi doit être appliquée.
43 - L’indépendance peut permettre de rendre une justice en rapport avec les textes et non en fonction d’un gouvernement, qui en fonction de l’opinion publique, serait tenté de mettre l’accent sur telle ou telle chose.
44 - Imaginons un scénario catastrophe dans lequel les juges se mettent à prononcer des choses sans aucun rapport avec les lois. Qui les arrêterait ?
45 - En prime abord, les Cours d’appel. Puis la Cour de Cassation.
46 - Oui, mais ce sont toujours des juges. Le système devient totalement indépendant.
47 - Prenons un exemple : un homme est arrêté pour alcoolémie au volant. Le juge lui donne du sursis. Peu après, il prend le volant d’une amie pour la garer 200 mètres plus loin. Contrôle de gendarmerie. Le juge a dû lui supprimer son permis. Le texte était si rigide que le juge ne pouvait faire autrement.
48 - L’indépendance du parquet n’y changerait rien.
49 - Certes, cependant, il faut laisser aux parquetiers la possibilité de décider de l’opportunité des poursuites selon les circonstances, selon la région, selon le comportement social des personnes… Donc, il faut qu’ils soient indépendants.
50 - Il ne faut pas, en tout état de cause, que la loi soit trop rigide et ne laisse aucune marge de manœuvre aux magistrats.
51 - Plutôt que l’indépendance, pourquoi ne pas envisager une plus grande dépendance, pour une grande surveillance, des trois pouvoirs les uns vis-à-vis des autres ?.
52 - En tout état de cause, les directives ne doivent pas être trop rigide.
53 - Oui, car il faut une justice qui protège sans être, pour autant, omniprésente ; ce qui est la caractéristique d’un Etat totalitaire.
54 - Je pense que l’indépendance n’est pas possible. Il y a l’indépendance vis-à-vis du Gouvernement, l’indépendance financière du fonctionnement de la justice, et l’indépendance par rapport au cadre de loi, donc vis-à-vis du législatif. Même si la justice est indépendante par rapport à l'exécutif, elle doit toujours fonctionner par rapport à un cadre, qui est issu du législatif ; or, le législatif, c’est le politique élu par les citoyens. Cela veut-il dire que s'il y a indépendance entre l'exécutif et la Justice, il y aura un changement de la situation ? C’est peu probable puisque le politique aura toujours l’arme financière pour limiter l’action judiciaire. Le seul moyen d’être réellement indépendant, ce serait de s’auto-financer. En somme, le législatif pourra toujours, même si il y a cette indépendance Exécutif / Justice, rédiger une loi dirigiste pour influer sur l’appareil justice. Partant de là, il est impossible pour la Justice d’accéder à cette indépendance puisque le cadre légal gère toute son activité.
55 - En effet, il y aurait une tendance du politique, si jamais l’indépendance était réalisée, à restreindre le champ des lois de façon à conserver une forme de dépendance. En somme, le juge serait obligé d’appliquer cela : ce qu’on lui donnerait d’une part, on le récupérerait ailleurs. Il semblerait que l’indépendance de la Justice doive concerner plutôt le domaine financier. Par exemple, pourquoi ne pas permettre à la Justice de faire une demande de sa propre enveloppe budgétaire. Il faudrait, qu’au moins, les magistrats aient la possibilité d’énoncer leurs besoins. Ensuite, le système du financement fera que le budget adopte ou pas cette proposition, mais, au moins, il y aura eu cette demande préalable ; ainsi, les citoyens verront si cette indépendance est réelle : la justice a demandé tant, l’Exécutif lui donne tant. Il y aurait ainsi une possibilité de comparaison et d’interaction sur le juge. De plus, par rapport à la séparation des trois pouvoirs, ce que l’on voulait éviter, c’est qu’une personne concentre entre ses mains la possibilité de rendre une loi, de l’appliquer et de juger les personnes. En somme, elle n’était pas une séparation fonctionnelle d’un groupe qui doit rester un mécanisme d’ensemble de fonctionnement de la société. L’indépendance théorique, si elle est acquise, sera largement contrebalancée par la dépendance du budget et du cadre légal.
56 - Dans la constitution de la Cinquième République, il y a deux pouvoirs : le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, et il n’est mentionné qu’une « autorité judiciaire ». Le terme pouvoir n’est pas utilisé concernant la Justice. Cela montre donc la subordination du judiciaire à l’Exécutif. En somme, proclamer l’indépendance irait à l’encontre des objectifs des constituants, ce qui impliquerait une révision constitutionnelle.
57 - J’ai envie de dire, suite à l’intervention n°55, que je n’ai pas envie que le judiciaire soit du politique. Il n’y a plus de justice quand elle devient politique. Le fait de mettre l’accent sur des choses que l’on estime importantes pour se faire réélire, pour répondre à des besoins des citoyens… perd tout à fait l’intention d’impartialité de la justice. La justice ne doit pas répondre à des critères politiques : il faut justement garder cette indépendance. S’agissant de l’existence d’un pouvoir judiciaire : je ne crois pas que ce fut une bonne idée de la part de Montesquieu de dire qu’il y a trois pouvoirs. La justice n’est pas un pouvoir. Elle ne répond qu’à des règles que les citoyens ont votées puis codifiées. Les juges ne sont là que pour appliquer ces règles de manière la plus impartiale possible. C’est tout. Maintenant qu’en France, on trouve des juges conservateurs, on peut le changer. Mais le fait que la justice soit indépendante et réponde à l’application des lois, ce n’est pas un pouvoir : c’est juste une administration qui doit être impartiale.
58 - On tourne autour de la question qui est, quelle Justice démocratique correspond aux besoins de notre époque. Lorsque Montesquieu rédige son Esprit des Lois, il s’était inspiré à l’époque de la justice telle qu’elle existait dans le pays qui passait pour le plus évolué : l'Angleterre.
59 - C’est Locke qui avait, le premier, dit cela et Montesquieu l’a repris.
60 - (suite de 58) La question que se posait donc Montesquieu était : quelle justice serait vraiment efficace dans la société dans laquelle on est ?
70 - Il est vrai que, dans l’acte de justice, on doit avoir une indépendance totale, c'est-à-dire que deux personnes soient jugées avec les mêmes chances, le même sérieux. La justice pourrait avoir, cent mille choses à voir, on pourrait imaginer que les tribunaux s’occupent des chamailleries dans les cours de récréation…, Il faut à un moment limiter et donner des priorités. À mon avis, donner une priorité est de l’ordre du politique, de l’ordre de la vision qu’on a de la société, et des choses qui sont plus importantes que d’autres. Si on a plutôt envie, comme c’est le cas actuellement, de mettre les policiers sur les excès de vitesse, et bien, on agit en conséquence et les juges auront à juger des excès de vitesse. C’est une orientation politique du terrain d’action de la justice. Il faut que ce terrain d’action soit étendu et que le Parquet puisse dire qu’il est plus important actuellement de nous battre contre cela. Même si derrière, c’est vrai, une fois que l’on a décidé de l’orientation prise, il faut que le juge soit indépendant pour rendre sa sentence.
71 - Pourquoi parle-t-on de l’indépendance de la justice ? S'il n’avait pas de problèmes politiques, on n’en parlerait même pas. On a un système qui n'est pas si mal, mis à part certaines brebis galeuses, et ce problème de sanction. Il est vrai que c’est le problème de la corruption des politiques la base de tout.
72 - C’est en effet un problème du politique et non pas celui de la Justice qui fonctionnait jusqu’alors très bien.
73 - Il faudrait faire un code de déontologie des hommes politiques, comme les autres professions. C'est-à-dire qu’il y a des attitudes qu'un conseil disciplinaire réprimanderait face à des actes d’un politique qui n’a pas été vertueux.
74 - D’une certaine façon, les politiques sont jugés par leurs pairs qui sont seuls habilités à lever l’immunité.
75 - C’est vrai qu’un code de déontologie pourrait amener à changer l’attitude des politiques. En effet, ils sont indépendants puisqu’ils sont entre eux, et que les citoyens n’ont pas moyen de leur dire que cela suffit.
76 - Qui jugerait, dans cette hypothèse, les politiques ?
77 - Ils seraient jugés par leurs pairs. Ce serait un conseil disciplinaire.
78 - Cela se fait déjà en principe. Mais l’idée du code déontologique est intéressante puisqu’il y aurait un cadre : telle faute, telle sanction. Il est certain que le politique n’est actuellement jugé que s’il a fait des malversations ou usé de son pouvoir. Ce code pourrait permettre d’éviter les tentations. Il faut se demander qui jugerait.
79 - Ce pourrait être la justice qui serait la garante.
80 - Il y aurait les deux. Tout comme l’avocat qui passe devant son ordre et qui se fait retirer sa fonction…
81 - Je ne suis pas favorable aux jugements internes aux corporations. Il en faut une partie, mais elles ne sont pas totalement indépendantes.
82 - Suivant les majorités, et ce système, on verrait beaucoup de remises en cause vis-à-vis des personnes du camp adverse. Il y aurait donc un problème purement politique à l’intérieur de la Justice.
83 - Justement, cela fait un contre-pouvoir extraordinaire.
85 - Certes, mais si tout le monde s’attaque au point de vue déontologique en dénonçant des argumentations bancales, la vie politique serait catastrophique.
86 - Il faudrait instituer une sorte de diplôme pour être capable d’être un homme politique. Cela éviterait d’avoir des incompétents au pouvoir.
87 - Ce procédé est anti-démocratique !
88 - Même quelqu’un de peu diplômé peut avoir une honnêteté et une intégrité sans faille.
89 - Cela permettrait de choisir des personnes compétentes.
90 - Qu’est-ce qu’une compétence en politique ?
91 - Ce code déontologique est cependant très intéressant. Maintenant, il faut voir si cela n’est pas anticonstitutionnel si les politiques étaient jugés par une commission mixte Justice / politique. Est-ce cela peut rentrer tel quel dans l’actuelle constitution.
92 - La déontologie est là pour protéger la personne qui utilise. Le médecin qui commet une faute peut passer devant le conseil. Mais il existe une autre sentence, c’est que l’on aille par soi-même voir un autre médecin. C’est pareil pour le politique : lorsqu’il a déçu, on devrait pouvoir aller voir un autre homme politique. Ce n’est pas ici de la déontologie. Celle-ci est faite pour éviter que le politique lèse l’électeur. (Suite des interventions concernant le code de déontologie ci-après.)
93 - Il faut faire attention que le code de déontologie ne fasse pas obstacle aux droits collectifs.
94 - Au départ, nous sommes partis sur l’idée de donner de l’indépendance à la Justice. On se rend compte que c’est peut-être meilleur d’avoir des contre-pouvoirs qui se mettent en place pour limiter les actions. Donc : un code de déontologie ; les médias ; et un troisième que je propose et qui est d’agir sur le moyen électoral qui est aussi un moyen de sanction. Du fait de la totale indépendance des politiques, nous avons toujours les mêmes personnes. On peut ou bien proposer le vote blanc, qui pourrait donner une grande gifle aux politiques traditionnels s’il était reconnu, ou bien proposer que la population puisse donner son avis, par un vote ou par un moyen qu’il reste à créer, sur une personne qu’elle souhaite ne plus voir comme homme politique. A contrario du mauvais boulanger, un homme politique, pour peu qu’il ait des moyens financiers conséquents, on peut le voir tout le temps. Même si nous votons blanc, il va continuer à faire de la politique. Il y a donc un problème de la force de l’élection en soi. Donc il faut soit donner une valeur au vote blanc ou proposer un système permettant de l’exclure du monde politique.
95 - Le problème n’est pas de reconnaître ou non le vote blanc mais de permettre des espaces d’autonomie au sein de la société davantage aux contre-pouvoirs (dans les quartiers, aux syndicats dans l’entreprise).
96 - Les deux systèmes peuvent tout à fait coexister.
Fin des discussions à 19 heures.
Interventions ne concernant pas le débat sur l’indépendance de la justice à proprement parler mais le Code de Déontologie :
- Il est possible que « La Nouvelle Arcadie » propose aux citoyens, lors d’une réunion de rédiger une « Charte des Politiques » qui pourrait servir de base de réflexion pour d’autres travaux.
- L’association « Le Contribuable » pourrait être intéressée par ce débat. Elle lutte contre tous les gâchis.
- Cependant le politique, comme les autres, peuvent se tromper. La faute du médecin n'est pas comprise dans le code déontologique. Il ne faut pas confondre les tâches de choix de vie qui ne nécessite aucun diplôme - choisir sa vie, tout le monde droit de s’exprimer à ce sujet - et l’administratif. On peut condamner le fait de dépenser des sommes énormes pour telle construction, alors que l’on devrait mettre l’accent sur tel aspect social. Par contre, le politique ne peut être condamné du fait que le prix de la construction ait doublé sauf à prouver la corruption de l’homme d’Etat.
- On peut condamner un homme politique pour certains de ses agissements. Mais il faut éviter de le condamner pour ce qu’il pense. C’est par rapport à la loi fondamentale - la Constitution - que l’on doit juger un politique.
- L’intérêt du code serait de juger un politique par ses pairs, qui savent ce qui était faisable.
- Le code de déontologie peut être bénéfique par rapport aux personnes qui veulent faire carrière et les faire prendre conscience qu’on ne fait pas de politique pour faire carrière mais qu’on est élu et qu’on représente un ensemble de citoyens.
- Ceci me fait réaliser que cela contribuerait l’idée que faire de la politique est un métier. On doterait la politique d’une déontologie comme si c’était un métier.
- Il ne faut pas se leurrer, beaucoup de personnes font de la politique dans cette optique et ce n’est pas plus mal. Ils se spécialisent, ils prennent de l’expérience.
- Je ne crois pas que le code de déontologie soit obligatoirement lié à la profession. Avant d’arriver au débat de la professionnalisation ou non de la politique, ce document aurait le mérite clair de juger un politique par ses pairs en partie et par les citoyens (donc une commission mixte politique / citoyens). Cela constituerait une pré-étape porteuse d’exemple avant le jugement pénal. En effet, les médias pourraient divulguer ce fait. Cela permettra donc d’exclure provisoirement la personne du système politique. Même si un politique passait outre, il serait sanctionné par le public. Ce serait un symbole important.
De plus, pour mettre fin à cette alternance droite/gauche, il faudrait créer un système qui permette d’intéresser de nouvelles personnes à la politique.
- Il faut faire attention à ce code lui-même et savoir qui l’applique. Le politique épinglé attaquera probablement en diffamation.
- Le politique prête d’abord serment par rapport au code.
- Le conseil de déontologie décidera qu'untel n’a pas respecté la déontologie. S’en suivrait une procédure pénale pour vérifier cela.
- Non ! à partir du moment où il prête serment, il accepte de passer devant le conseil de discipline.
- Certes, mais le conseil peut avoir des arrière-pensées. Le jugement par les pairs peut être déterminé par une volonté de faire disparaître un homme.
Il est proposé d’organiser un débat consacré à l’éventuelle création d’un code de déontologie.
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