Compte-rendu analytique par Mathieu Fleurance — Café Citoyen de Nantes (09/09/2010)
Animateur du débat : Mathieu Fleurance
» Politique et Société
Descendre dans la rue a-t-il un pouvoir sur la politique ?
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Compte-rendu analytique réalisé par Katell.
[ « ne pas sourire quand on manifeste... ? » ] « Quand on manifeste, c’est pour exprimer un mal-être... Ca aura une influence quand on réagira avec le cœur, sans la peur. Il y a beaucoup de gens qui ne le font pas. On est dans un monde où on a peur... (La peur est évoquée qui peut être un frein à l’action.) Moi j’ai des enfants, si je me mets en grève, j’ai une vie de famille... Si je prends ne serait-ce qu’une journée dans le privé, je suis grillé... La peur qui manipule toute prise de décision de manifestation et de grève... Ça fait des générations que ça dure. Et les manifestations, c’est quoi ? C’est des gens qui manifestent dans la rue, qui font de la musique, et qui sourient ! Quand le président voit ça, quand on voit ça, le mec qui sourit, on se dit qu’il n’est pas malheureux... non ? »
- « On ne devrait pas manifester finalement dans le cadre d’une démocratie. Si les gens étaient entendus, il y a eu des votes il n’y a pas longtemps où on a fait comprendre au gouvernement qu’on n’était pas d’accord. S’il avait pris compte de ça, on n’aurait pas eu besoin de manifester. Pour moi descendre dans la rue, c’est en extrême urgence, parce qu’on ne peut pas faire autrement. Tout ce que je voulais dire pour le moment, c’est important cette idée de monsieur, de dire que quand on ne sait plus quoi faire, on descend dans la rue parce qu’on n’a pas d’autres moyens dans la démocratie. »
- « En démocratie, on a un pouvoir de vote. Nous les femmes, on n’est pas tellement représentées, mais on a cette chance de voter depuis 44. Quand le vote est confisqué comme pour le “oui ou non à l’Europe”, et bien, il ne reste plus qu’une solution, puisqu’on ne tient pas compte de notre vote, il ne reste plus que la rue. »
- « Je crois qu’en France, on a un rapport particulier avec la rue. L’histoire de la France est faite de beaucoup d’à-coups, de renversements, on est un pays révolutionnaire, et cette culture fait qu’on reste dans la logique du rapport de forces, on n’arrive pas à dialoguer. Tant qu’on n’aura pas mûri en tant que démocratie, tant qu’on ne sera pas passé à une démocratie adulte, c’est-à-dire un rapport sain entre le parlement et l’exécutif... Un parlement qui aurait plus de pouvoir. Tant qu’on aura un syndicat, un gouvernement et un patronat qui négocient sans rechercher le “clash”, un rapport de forces mais plus dans la volonté de rechercher de compromis commun. Tant que les citoyens eux-mêmes ne seront pas respectés quelque part, il y a un vote, et qu’un gouvernement, un président prend des mesures sur lesquelles il ne s’était pas engagé, on restera dans cette culture-là. Forcément, il y a toujours des mécontents, et un besoin d’exprimer des choses dans la rue. De là à se demander s’il y a une influence ? L’histoire montre que ce n’est pas toujours le cas. On va tellement loin dans la confrontation, comme par exemple, pour le CPE, il y a eu des manifestations pendant deux mois, trois mois jusqu’à pratiquement faire dérailler les trains. On a été très loin. Finalement, il y a eu un retrait parce qu’on a eu un président qui avait vécu des malheurs dans les manifestations de 86 avec la jeunesse, qui avait peur du dérapage. Il faut en arriver là pour que ça ait une réelle influence ? C’est la peur de la violence “qui fait que”... La peur que ça tombe en conflit social. Actuellement, je ne fais qu’observer les derniers grands mouvements. La peur de perdre le contrôle du pays qui fait que les gouvernements arrêtent leurs projets. »
- « Je ne suis pas d’accord avec toi, moi. Je pense que si les gens descendent dans la rue, c’est qu’ils ont quelque chose à dire... La manifestation est aussi un espace d’expression. Si les gens descendent dans la rue c’est qu’ils ont besoin d’exprimer ce qui n’est pas pris en compte par le pouvoir. La parole du peuple s’exprime dans la rue. »
- « Oui mais c’est un rapport de forces. Est-ce que dans ce rapport de forces, le gouvernement va gagner ? Certes, il va y avoir un million, deux millions, par exemple sur les retraites, de manifestants, mais cela va s’essouffler peut-être... et alors ? Dans deux ans, le projet sera passé ? C’est étonnant de voir la réaction sur les retraites parce qu’on pense à 93, le gouvernement Balladur qui fait passer un projet de réforme des retraites pendant l’été, alors qu’il n’y a eu aucunes manifestations quasiment... Et pourtant ça reste une réforme d’ampleur puisqu’on a réduit de délai de prise en compte dans le privé. On est passé d’un délai de six mois pour le calcul de la retraite qui est une réforme plus grande qu’aujourd’hui encore... Aujourd’hui, ça réagit parce qu’il y a un contexte particulier, mais tant qu’on n’arrivera pas à être dans un cadre de démocratie adulte, comme par exemple en Finlande, dans les pays scandinaves, où on arrive à avoir cette culture de dialogue, on aura forcément un gouvernement qui ne cherchera pas le compromis et fera passer en force les réformes, et de l’autre, les gens qui seront très mécontents, et qui descendront dans la rue. »
- « C’est un exercice d’équilibriste que de traiter d’un tel sujet en période de crise et de manifestations sans évoquer effectivement le gouvernement qui nous serre les écrous. On n’est pas encore en dictature, je suis allé en Birmanie, c’est autre chose ! N’empêche que, on en est très loin, mais on y tend... Je discutais hier avec une femme de ménage qui aide une dame âgée au-dessus de chez moi, ça s’appelle Aide à Domicile, elle est payée au Smic, elle a trente ans environ, elle élève seule son gamin, et elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas se mettre en grève parce qu’elle a ses factures, ses emprunts... J’ai essayé de lui démontrer par A + B, que moi aussi quand j’avais son âge, j’avais un gamin à élever, j’ai fait des grèves illimitées, et que parfois j’ai emprunté à la banque pour payer mes factures, et ne pas me retrouver à la rue... Je me suis demandé pourquoi cette jeune femme n’était pas dans la rue, je me suis demandée pourquoi elle n’était pas dans la rue, elle a un boulot “de merde” , elle est pressurisée, et elle ne se sent pas concernée. Je ne fais pas de politique... Alors qu’est-ce qu’elle fait ? En dehors de ces heures de ménage et des moments où elle s’occupe de son gosse, elle écoute TF1, elle ne lit pas la presse, elle ne s’informe pas, et elle a bien reçu le message de l’oligarchie qu’elle n’a aucun pouvoir, et que si elle ne paye pas ses factures, elle se retrouverait sans abri. Et Je comprends qu’elle ait peur car quand j’avais son âge, on avait le plein-emploi, cela n’avait rien à voir effectivement... Ma question est : “Comment parler de tout cela sans faire référence à ce qui se passe actuellement, c’est très difficile”. »
- « Je voudrais revenir sur le sujet : est-ce que ça sert à quelque chose de manifester ? Je pense que la manifestation est un signe de vitalité de la société. Parce qu’après tout, quand on donne un blanc-seing pendant quatre ou cinq ans à un gouvernement, ou à une minorité ou à un parlement, c’est en quelque sorte, être enfermés pendant cinq ans sans savoir comment ceux qui ont reçu les attributions du pouvoir, sans savoir ce qu’ils vont faire avec ça ? Je pense qu’il ne faut pas nier la manifestation dans la rue parce que c‘est une manière de faire sentir qu’il y a encore du sang qui coule dans le corps (social), qu’il y a encore des possibilités d’échanger, de retourner les choses par ce moyen qu’est la manifestation, et c’est dommage qu’il n’y en ait pas plus. »
- « J’aimerais revenir sur ce qui a été dit sur le rapport de force. Le problème est qu’on n’est pas dans une vraie démocratie. Si les gens descendent dans la rue, c’est bien parce que le gouvernement ne fait pas ce pourquoi il a été élu, sinon, il n’y aurait pas de soucis. Finalement, le gouvernement n’attend que ça, comme là... Le monsieur tout à l’heure disait oui, les gens vont rigoler, le gouvernement aussi... C’est un peu ça... Le président qui dit qu’il n’en a rien à faire des manifestations, et a été le premier à dire “on va changer ça, ça et ça...” S’ils ont reculé sur le CPE, c’est parce qu’il y avait beaucoup de monde. C’est un peu le problème de la politique actuelle, c’est qu’ils se trompent de politique... Je ne vais pas faire de publicité pour d’autres partis, mais je pense que les gens actuellement confondent le pouvoir et le service. Quand on est élu, on est au service des gens, on n’est pas là pour décider ce qu’on veut, c’est pour faire en sorte que la société fonctionne bien, et là actuellement, on est dans un système où les gens sont dans leur tour d’ivoire, décident des trucs qu’ils pensent justes, ils ont réfléchi dans leurs têtes d’énarques, mais ils ne se rendent pas compte que ce n’est pas cela que les gens veulent, c’est ça qui crée le problème, c’est ce décalage. De toute façon, ça ne peut marcher que dans les rapports de force, si on est deux péquins à dire non... On est des animaux, si on ne montre pas notre force, de toute façon, on sera écrasés ! Ca me paraît indispensable, je ne dis pas que c’est bien... Par contre, il y a d’autres façons de faire de la politique, et si nous étions plus dans le dialogue comme dans certains pays, on n’en arriverait pas là. »
- « Je trouve un peu dommage, à mon avis, qu’on se dévoie du vrai sujet, voir si le fait de sortir dans la rue génère encore une influence bénéfique... Et là, je trouve que vous vous servez du sujet pour parler d’autre chose. Sous couvert de démocratie, à partir du moment où on n’est pas d’accord, on manifeste, on en vient au degré zéro de la démocratie. Parce que finalement, ce n’est pas accepter un pouvoir qui a été mis en place par le vote. On se fout de savoir qui a été élu, qui n’a pas été élu pour ce débat-là. On ne s’en fout pas en vrai...»
- « Le problème n’est pas de critiquer le gouvernement actuel ou pas, tu ne comprends pas. Je dis simplement, on cherche à expliquer pourquoi les gens vont dans la rue, c’est parce qu’il n’y a pas de dialogue. Et comme disait le monsieur, par rapport au rapport de forces, c’est parce que le gouvernement actuel fonctionne sur des rapports de force. S’il y avait une autre politique, c’est pas une question de partis, je m’en fiche des partis, c’est pas le problème... pourquoi on est obligés de le faire, c’est à cause de ça. Ces gens-là qui sont dans le pouvoir, qui ne sont pas dans le dialogue, qui ne sont pas dans le service, qui proposent des choses dans un certain consensus. Comme ils n’écoutent pas les votes, parce qu’ils décident tous seuls, et bien, c’est par la rue qu’on peut les faire infléchir. Dans un système qui n’est pas démocratique réellement, comme tu l’as évoqué, on n’est pas une démocratie adulte, la seule solution est le rapport de forces... Comme pour le CPE, il faudra que les gens quand les gens se mobilisent. Claudine a soulevé un problème : on maintient les gens sous la peur, les petites gens, ceux qui en souffrent le plus, qui se plaignent le moins et qui sont les plus influençables. Ils n’ont pas le recul intellectuel parce qu’ils regardent TF1 qui leur dit ce qu’il faut penser... Ca c’est le problème, mais à partir du moment où les gens sont sensibilisés, où beaucoup de gens descendent dans la rue, ça peut marcher... Je trouve ça regrettable, comme pour le CPE, ils vont reculer parce qu’ils vont se rendre compte, que oui, la rue, ça compte... Ils ont reculé pour l’école privée sous Mitterrand, parce qu’il y a eu des millions de gens qui sont descendus, et c’est pour ça que Mitterrand est revenu en arrière, sinon, il l’aurait fait. »
- « Je suis d’accord avec le propos qui était le tien tout à l’heure... En amont, on a quand même un problème, parce qu’on a en France des syndicats (qui sont insuffisamment représentatifs, ce qui est le pendant d’un gouvernement, par la puissance qu’ils représentent, ils ont un impact, qui permettrait éviter d’aller jusqu’aux extrêmes, dont les manifestations. La seconde chose, c’est qu’avant les manifestations, si on regarde les élections, on a quand même un taux d’abstention qui est énorme... Et il y a un grand nombre de personnes qui se disent incompétentes pour intervenir dans la politique. On peut prendre l’exemple des retraites, à part leur parler de 62 et 67 ans, ils sont incapables de parler des retraites, on n’explique pas... Je ne pense pas qu’on terrorise, ce n’est pas encore le cas, je pense qu’on endort les gens, on les met dans une sécurité consumériste, et un grand groupe de politiciens s’occupe du reste... Et effectivement, les gens du coup se désintéressent, avec un risque de violence, parce qu’il n’y a pas d’étape transitoire de dialogue. Les politiques ne font pas ce qu’il faut pour éviter cela, pour gagner du temps parce qu’en arriver à une baston, c’est quand même l’extrême. En amont de tout ce qui se passe, il n’y a pas suffisamment de gens qui sont partie prenante du système. Descendre dans la rue effectivement a un impact à partir du moment où le nombre fait basculer avec la peur. C’est marqué dans la Canard Enchaîné d’aujourd’hui, “Sarkozy a peur des jeunes”. Sarkozy a peur des jeunes, ceux qui ne sont pas salariés, les jeunes ne risquent pas leur salaire, leur emploi... On a avancé la date de rentrée universitaire en prévision des grèves. La bascule, elle est là pour moi. »
- « J’avais plusieurs réactions... Toi qui disais : on est un peuple révolutionnaire, on est issu de la Révolution, on n’est plus révolutionnaire depuis très longtemps... Qu’on le souhaite ou pas, cela regarde chacun. Ce que je déplore, ce que je ne comprends pas c’est qu’avec toutes les mesures prises en matière de droits sociaux, on ne soit pas tous dans la rue. Tous, sauf la poignée des copains du Fouquet’s ! On se demande comment on n’est pas tous dehors. Pourquoi on n’est pas tous dehors est la seule question qui se pose. Pourquoi ce peuple moutonnier se fait complètement bouffer, confisquer sa raison, sa réaction, sa colère... ? C’est vraiment la question que je me pose... Alors, est-ce que ça sert à quelque chose d’aller dans la rue ? Oui, l’histoire l’a prouvé dans tous les pays du monde. »
- « En fait vous vous trompez, je n’ai pas dit que ça servait à rien, j’ai dit que le sujet était de savoir si ça avait encore un impact. Je n’ai pas dit que votre colère n’était pas justifiée. Votre colère, je serai prêt à la partager avec vous, simplement, est-ce que ça a encore un impact ? On sait tous que si vous avez une baston dans un café, votre réaction peut être la violence ou non. Qu’est-ce qui a le plus d’efficacité, on n’en sait rien. Les deux ont montré leurs bénéfices... Le vrai débat est de savoir s’il y a un impact, et vous n’arrêtez pas de dire : “Non, je ne comprends pas qu’on ne descende pas tous dans la rue.” Mais le problème, c’est qu’à force de descendre tout le temps dans la rue au nom de la démocratie annule son sens, ça n’a plus de valeur, ça n’a plus d’effet spectaculaire, on en vient même au degré zéro de la démocratie, c’est une formule qui n’est pas de moi. Sortir parce qu’on n’est pas content, systématiquement, quand il n’y a plus d’autres moyens, comme tu disais tout à l’heure, mais il faudrait savoir quand est-ce qu’il n’y a plus d’autres moyens... ? Et on en arrive à un moment, où – c’est typiquement français – on n’est pas content, on descend dans la rue. »
- « Non, ce n’est pas ça. On l’a fait parce que la démocratie, elle permet quoi ? De voter, ce sont des élections... Je suis désolé, mais il y a eu un vote qui a été clair, qui a dit “on ne veut pas de ça”, et le pouvoir l’a méprisé... Je fais référence aux européennes, le résultat était clair ! Et les gens au pouvoir, qu’est-ce qu’ils ont fait, ils ont fait leurs petites magouilles, point barre... Il faut être débiles pour pas comprendre ça. Alors, toi, si tu as autre chose à proposer, alors OK, mais je ne t’ai jamais dit que descendre dans la rue, c’est juste parce qu’on est pas contents... Il y a des gens qui disent ça : “Oui, les manifestants, ils sont jamais contents !”. Si les gens le font, c’est qu’ils y croient, c’est qu’ils sont désespérés, et les jeunes qui n’ont rien à perdre... C’est pas parce que ça les amuse, y’a les casseurs, mais c’est pas la majorité... Je crois que si on fait ça, c’est qu’on n’a pas d’autres moyens. Alors, est-ce que c’est efficace ou pas, je dis, de toute façon, on l’a dit tout à l’heure, c’est un problème de rapport de forces, parce qu’ils ne comprennent que ça... “Je suis au pouvoir, je décide, vous fermez votre gueule”, forcément, dans ce contexte-là, ben, on l’ouvre, et puis c’est tout. »
- « Je voulais réagir, je voulais prendre un exemple très concret : on était un certain nombre à manifester samedi pour les Roms, et il y a eu en parallèle, en début de semaine un débat au parlement européen, et aujourd’hui, il y a une condamnation du parlement européen de la France, de la politique qu’elle mène... Donc, là, on a le débat de savoir qu’est-ce qui a le plus d’impact. Est-ce que c’est cent mille, deux cent mille personnes dans la rue ou la condamnation d’un parlement européen qui représente l’ensemble des peuples, qui condamne un de ses membres ? Je crois que dans l’histoire française, ça ne s’est quasiment jamais vu que la France soit pointée du doigt à ce point sur les droits fondamentaux, je pense que là, ça peut faire réagir le gouvernement aussi. En venant ici, j’ai entendu Éric Besson qui disait qu’il ne fallait pas accepter le diktat de la pensée européenne... Toute la subtilité est là, est-ce qu’on a juste comme levier d’action la rue ? Je pense qu’il y a aussi le parlement, s’il joue parfaitement son rôle, ce n’est pas toujours le cas, notamment en France... C’est le lieu où on exprime aussi. »
- « Sur un plan organisationnel, il y a un plan gouvernemental qui a été voté pour cinq ans... Un président pour cinq ans. Je pense qu’il ne devrait pas y avoir de contestation parce qu’on applique la politique pour laquelle ils ont été voter. Pardon, il y a une majorité qui a voté ! Si on analyse là le programme... Sur ce plan-là, il n’y a aucun gouvernement qui a tenu ses promesses de campagne. Aucun, ni le gouvernement de gauche, de droite, de centre, et il n’y en aura jamais parce les idées changent, les hommes changent, et pendant une législature. Et les circonstances ne sont pas non plus les mêmes, quand on est élu dans un contexte politique et économique international, et un an, deux ans après la situation change... Je crois que l’histoire nous a montré qu’on y peut rien, après la question est de savoir quel est le contre-pouvoir que les citoyens peuvent opposer pour ne pas se faire embarquer dans une galère... Quel est l’impact, le degré du nombre qui va s’exprimer. Je crois qu’aujourd’hui, la politique qui est faite correspond aux désirs de certains, non ? On ne peut pas le dire. Je ne sais pas, on ne sait pas [voyez les sondages] Les sondages sont manipulés, est-ce qu’il y a quelque chose de vrai ? [intervention : vous dites qu’ils sont manipulés quand cela vous arrange] C’est pour cela qu’à la fin, c’est la rue qui exprime un contre pouvoir, mais c’est la fin qui est efficace, et on ne peut pas dire si c’est vrai ou faux, que ce soit pour ou contre, mais c’est la rue qui peut opposer un contre pouvoir, qui peut changer la dérive ou la droiture de quelque chose, c’est le sujet de ce soir, c’est là-dessus qu’il faut se concentrer, savoir quel impact il peut y avoir. »
- « Les sondages, c’est une chose mais je crois que dans les votes qui ont été donnés... c’est ce qu’il y a de plus démocratique. Dans les sondages, les gens peuvent parler mais dans le vote, ils expriment des choses, les votes ont été clairs je pense. Mais bon, on ne va pas revenir là-dessus. Ce que je voulais dire tout à l’heure, forcément l’impact d’une manifestation, on ne peut pas le mesurer, mais si on prend un exemple qui traite d’actualité, par rapport à la lapidation de l’Iranienne, et bien, mine de rien, il y a eu des tas de gens qui se sont mobilisés, et j’entendais ce matin à la radio : “Oui, c’est grâce à madame Carlita... !”, moi, ça me fait rigoler, franchement... peu importe... l’important, et moi j’y crois beaucoup, s’il y a plein de gens qui descendent dans la rue, qui disent non, pour moi, c’est entendu, même si on dit que ce n’est pas important, alors qu’en fait il faut voir comment le pouvoir réagit... Donc, je suis désolé, dans la démocratie qu’on a actuellement en France, je ne vois pas d’autre contre-pouvoir. »
- « Le président, pour ne pas le nommer, avait dit dès fin juillet ou début août que le mouvement du 7 septembre – quelle que soit son ampleur – il n’en tiendrait pas compte, que tout était arrêté déjà, ce qui prouve qu’il nous a confisqué notre pouvoir de descendre dans la rue. Et d’un. Secundo, il y a les appareils des syndicats, mais les syndicats sont complètement coupés de la base et marchent dans la main avec le pouvoir, ils tiennent à leur pré carré pour quelques-uns, et même pour tous, c’est consternant mais c’est comme ça, le pouvoir corrompt, et on n’est plus du tout du côté de la base. Pourquoi est-ce que tout le monde dit dans les manifestants – je les connais bien – “on voudrait une grève illimitée”, on ne dit plus grève générale, ou l’inverse... je n’ai jamais compris la différence ! Mais à chaque fois, c’est un jour toutes les trois semaines... Ca ne sert à tien, tout le monde le sait, et la plupart des militants, parce qu’on est très moutonnier – pas moi, mais les autres attendent les mots d’ordre de leur syndicat, et si le prêtre ne dit pas qu’il faut jeûner ce jour-là, personne ne descend dans la rue, et ce sont des petites grèves parcellaires, un jour par ci, un jour par là, et ça ne mène nulle part. Il faudrait une grève générale en ce moment, mais ça n’arrive pas... Alors effectivement, le pouvoir de la rue, on l’a, mais si on est trop peu nombreux, il ne sert à rien ! »
- « Moi, je ne suis pas d’accord avec toi, je pense que le pouvoir de la rue, y prendre part, ça marche ! Parce que si on se tait, c’est sûr qu’on cautionne quelque part... Si on ne s’exprime pas... Après on se plaint et on a plus que les yeux pour pleurer, je suis désolé... »
- « Bonsoir, c’est une question d’actualité dans une actualité brûlante, et c’est dur de se dépêtrer de cette actualité. Moi, ce que je pense, c’est que manifester, utiliser la manifestation face à un gouvernement qui bloque, qui ne veut pas entendre ne mène pas forcément quelque part. Maintenant, moi je pense que ça dépend un peu des impondérables, on ne peut pas mesurer l’impact d’une manifestation mais on peut mesurer l’ampleur, le nombre des manifestants, c’est un point... Si un gouvernement, n’importe quel gouvernement, pas forcément celui-ci n’entend pas... La présence est là, l’action est là, c’est toujours plus patent qu’une absence totale d’action d’une population. Maintenant, c’est plus en terme de mobilisation, comme disait Claudine, pour l’instant un nombre de personnes sont mobilisées, mais ce n’est pas un nombre qui permet d’interpeller le gouvernement. Je prends l’exemple de l’Argentine en 2001, ils ont eu à faire à un gouvernement de gangsters, voilà, il faut le dire, qui a accessoirement appliqué à la lettre toutes les directives de l’OMC, et les gens sont descendus dans la rue, mais ils étaient un peu plus nombreux que nous, et il y a quand même eu une action parce que le pouvoir a été renversé, je ne connais pas les détails précis historiques... Voilà un exemple. Pour rajouter autre chose, c’est vrai qu’en France, on a une culture issue de la Révolution avec des camps qui se sont bien distingués à cette époque-là, plus ensuite un 19 et 20e siècles qui n’ont pas arrangé les choses, on pense alors à des pays comme l’Allemagne, et les pays scandinaves où il y existe une culture de la négociation entre toutes les parties... Mais pour revenir à ce que je disais à l’instant, je pense que c’est une question de mobilisation, et malheureusement une question de dégradation de la situation, comme il s’est passé en Argentine. C’est-à-dire que quand la situation va se dégrader, on n’est pas encore à ce point de rupture, à ce moment-là, je pense que là malheureusement, quand on descendra dans la rue, il y aura peut-être un effet, mais malheureusement cela aboutira peut-être aussi à des violences, on dit que la violence ne mène à rien, mais d’un autre côté, il y a beaucoup de choses qui se sont faites avec la violence, je ne prends pas parti, je constate simplement... je ne dis pas que la manifestation n’agit pas, je pense qu’elle agit, si elle n’existait pas, ce serait tout à fait différent, mais elle n’a pas l’impact nécessaire faute d’ampleur. La manifestation serait efficace s’il y a un mouvement général d’ampleur qui permette de passer à ce point de basculement. »
- « Pour rajouter à ce que tu disais Claudine, c’est que, moi aussi, je me rends compte qu’il y a plein de gens qui sont démobilisés de la politique, je ne vais pas faire de misogynie, mais beaucoup de femmes me disent : “La politique, j’y comprends rien...” Je suis effaré... On a ce retour-là : “Je suis incompétent”. Est-ce que c’est un effet des politiciens qu’on a actuellement ? Parce qu’ils ont tellement dégoûté les gens, et en plus, il y a un problème démocratique dans notre pays lié aux médias... L’emprise des médias sur la population est primordiale, et c’est ça qui sauve le gouvernement actuel, parce qu’il y a des tas de gens qui, en fait, par peur ou par démobilisation se désintéressent des problèmes. Moi, j’ai des amis qui ne sont au courant de rien, et quand on ne sait pas, soit on ne va pas voter, soit on fait rien, soit on se dit que ça ne sert à rien... Donc, je pense que le gouvernement actuel joue sur du velours... Alors, tu disais tout à l’heure, les gens ne vont pas dans la rue, et certains doivent se dire : “C’est pas si mal, j’ai ma petite auto, un boulot, etc., ça va pas trop mal...”, ils ne voient pas l’intérêt de descendre pour le moment, mais quand ils seront tous dans la merde, ce sera un peu trop tard. Je rejoins ce que dit le monsieur sur la mobilisation, c’est que les politiques actuels ont fait une politique qui consiste à priver les gens pour qu’ils ne descendent pas manifester, ils gagnent sur ce plan-là... il y a eu beaucoup de gens, mais il devrait en avoir beaucoup plus dans la rue. Je connais des tas de gens qui sont dans une merde pas possible, ces gens-là ne vont pas aller dans la rue, et c’est dommage parce qu’on n’arrive pas à les défendre... »
- « Je vais être un peu cynique mais je crois que le gouvernement sait parfaitement ce qu’il fait, c’est-à-dire, quand il y a une réforme dont il a conscience qu’elle est impopulaire, il calcule à l’avance jusqu’où il peut aller, et en disant, “de toute façon, il y aura des manifestants dans la rue, on le sait...”, mais, tout ça est anticipé, les manifestations du 7 étaient anticipées... En 2003, il y a eu deux millions de personnes dans la rue quand il y a eu la réforme, ça n’a rien changé... Et Chirac avait la hantise de l’accident d’Oussékine en 86, le meurtre de l’étudiant, c’est ça qui le faisait flipper, et il s’est rendu compte que les étudiants étaient en pointe sur le sujet, et c’est là qu’il a commencé à avoir peur... Et deuxièmement, je crois qu’il y a une culture de l’individualisme qui est très poussée aujourd’hui, qui fait que les gens ne sont plus concernés en dehors de leur pré carré, ne s’intéressent plus à la vie collective, et on le voit ici, – je ne sais pas combien d’invitations il y a eu – mais pour que les gens commencent à s’intéresser à un débat citoyen, il faut être mobilisé ! »
- « Je prends la parole juste deux secondes, petite question : vous avez pratiquement tous l’air de penser que la rue doit avoir un pouvoir sur la politique, qu’elle l’est ou pas. Tout à l’heure monsieur s’est dit vouloir faire l’avocat du diable en disant : “On a joué le jeu de la démocratie, il y a eu un vote, la majorité l’a emportée...” Est-ce que finalement, la rue, les syndicats, les gens qui organisent les manifestations ne sont pas finalement des corporations qui défendent leurs intérêts particuliers face à l’intérêt général qui serait défendu par la majorité élue par la démocratie ? Je pose la question. Je vais donner la parole à madame d’abord, et je vous donne la parole après... »
- « Je voulais vous parler de Pinson et Charlot, je ne sais pas si vous connaissez, c’est un couple de sociologues qui étudie la vie des gens très très aisés en France, ils ont sorti un bouquin cette semaine, et je les ai entendu à la radio, et ils parlent de l’oligarchie, que ce soit celle effectivement du président actuel, si en 2012, on a Strauss-Kahn, ce sera exactement les mêmes réseaux, et ce n’est pas qu’ils n’entendent pas ou ne comprennent pas les besoins du plus grand nombre, c’est que cela ne les intéresse pas, qu’il faut écraser le plus grand nombre pour aider les actionnaires à faire le plus de bénéfices dans le monde entier, et que plus rien ne nous appartient, tous les droits acquis en 36 par nos aînés n’existent plus... Donc, la seule chose qui nous reste, c’est la rue, c’est tout ce qui nous reste pour amener au débat ! »
- « C’est bien l’histoire du bouquin sur les riches, mais on va faire un bouquin sur les pauvres et sur les misérables, et les mettre bien en avant, et je pense que comme ça, ça motiverait beaucoup plus, parce que les discours des riches qui vivent très bien, ça n’a pas d’effet parce que tout le monde connaît. Tu me donnes l’occasion de revenir sur le sujet, tu reviens sur mes propos, comme “avocat du diable”, et je pensais que cette question de la rue et du vote, c’est un petit peu comme – nous avons deux types de cerveaux, un cerveau normal et un cerveau limbique, et c’est le cerveau limbique qui nous permet, quand on est dans la situation à la limite de la mort, qui permet de sortir de ce genre de situations des plus dramatiques – et la manifestation, pour moi, comme je le disais au départ est une manifestation de vie qui permet de sortir une population, un pays, une communauté, de la sortir de la mort dans laquelle elle s’est enfermée, volontairement ou on l’a aidé à s’enfermer. La consommation aujourd’hui, par exemple nous entraîne de cette manière-là... Et donc, la manifestation, c’est une preuve de vitalité, et on devrait la concevoir comme ça. »
- « Moi, je voulais juste revenir sur le thème de l’impact, et de ses mobilisations. Il y a quelque chose que je ne comprends pas, et qui se reproduit systématiquement : quand il y a une mobilisation d’une journée complète ou pas, sans même attendre de savoir quel impact va avoir cette mobilisation, on fixe déjà une nouvelle date pour une nouvelle manifestation. Là, elle a eu lieu hier, et on a déjà décidé qu’il va y avoir une mobilisation le 23... Finalement, on ne laisse pas les choses retomber, on ne se demande pas si la mobilisation a servi à quelque chose, c’est comme si on décidait d’emblée que la mobilisation n’a pas servi. Si on décide de retourner dans la rue sans se laisser le temps de discuter de quoi que ce soit, c’est comme si on disait, c’est un échec, on sait d’emblée que ça n’aura pas d’impact, alors on mobilise tout de suite, on regarde le calendrier, et hop, deux semaines après, on recommence... Je ne comprends pas pourquoi on procède comme ça. »
- « En fait, je ne pense pas qu’on mette une date pour mettre une date uniquement, on le fait pour maintenir la pression. Si on met une date, et qu’après plus rien, on peut dire alors qu’“il y a eu deux millions de personnes”, et on n’en tient pas compte... Donc, si on met une date quatre jours plus tard, et que l’on reconduit cette opération plusieurs fois, peut-être que ça va bouger, non ? »
- « Oui, par rapport à la manifestation d’avant-hier du 7, on s’est réuni le 8 à l’appel d’un syndicat, c’était ouvert à tous les syndicats et les appartenances politiques, et aux citoyens adultes émancipés, mais on était que quarante Place du Commerce hier à 18h30, alors que la veille, on était trois mille, quatre mille... On s’est dit qu’on allait se retrouver tous les deux jours à 18h30, mais on va se retrouver à quarante ! C’est ridicule, ça retombe comme un soufflet... »
- « Vous m’excuserez, je ne suis pas habitué au micro, et au niveau politique, je suis un peu limité aussi. Par rapport aux grèves, je pense que c’est surtout un droit à la parole en fait. On se dit que c’est autre chose, mais c’est beaucoup plus fort que ça, et c’est principalement un droit à la parole. On s’attend à ce qu’il y ait une action, et qu’il se passe quelque chose ensuite avec l’état, et pour moi, c’est d’abord le peuple qui parle, après il y a une action ou pas, mais le peuple donne son avis, voilà. Après, la France est un pays parmi les autres, et il se passe beaucoup de choses autour de nous, on peut s’inspirer d’autres pays, et nous, on essaie de régler des problèmes internes au pays, dans ce qui se passe entre nous, dans notre société française sans prendre suffisamment en compte ce qui se passe autour de nous, c’est un petit peu dommage. Je pense que l’état doit gérer des problèmes internes liés à la France, mais avec en toile de mire les problèmes internationaux... Il y a certainement des cartes à jouer dont on se doute même pas, avec l’ignorance de conflits qui sont en cours... On peut s’informer mais il y a certainement des conflits entre pays qui sont ignorés. On ne peut pas tout dire au peuple, ce n’est pas possible. Je pense que l’état doit prend des décisions aujourd’hui pour gérer des problèmes dans l’immédiat, et dans le temps, dans quinze ans, trente ans... Parce qu’on sait que dans trente ans, il y aura d’autres choses qui vont arriver, ils sont obligés d’en prendre conscience aujourd’hui. C’est pas possible qu’ils ne le fassent pas... [regarde le Grenelle de l’environnement !] Ce n’est pas définitif, le réchauffement climatique, c’est pas encore définitif... Je ne suis pas là pour faire de la polémique, mais ce que je pense, c’est que le président actuel, les présidents qui se sont succédé tentent de faire quand même quelque chose pour l’avenir, même si ça n’est pas forcément visible aujourd’hui... »
- « Bonsoir, je prends le train en marche, vous m’excusez... Je crois que le débat est quel est le pouvoir de la rue ? Il faut essayer de recadrer les choses, on est dans une société de communication, et le pouvoir de la rue, je pense que c’est essentiellement pour remporter la bataille de l’opinion, donc c’est un droit qui est important qu’on a en France, et qu’il faut maintenir, parce qu’il faut bien voir qu’il n’y a a pas beaucoup de pays où on peut manifester, je ne sais pas si on peut manifester en Chine, qui est la première puissance mondiale. [“Ce n’est pas qu’il n’y a pas beaucoup de pays où on ne peut pas manifester, c’est plutôt qu’il y’a quelques pays où on ne peut pas manifester” ]. Le problème, c’est qu’on est dans une société qui est extrêmement complexe, par exemple, l’histoire de la réforme des retraites qui nous préoccupe, moi, je travaille dans une multinationale où on a des restructurations sur restructurations, et la rue ne peut faire passer qu’un message relativement simple. Ce sont des slogans, des choses comme ça... Je pense que c’est difficile à faire passer au niveau de l’opinion. Je m’interroge, je pense que c’est bon de le faire, mais il faut à un moment arriver à faire passer un message un peu plus complexe, et ça, je ne sais pas comment on peut le faire aujourd’hui. C’est le gros problème, parce que la réponse est diverse, on le voit dans la mouvance politique à gauche, tout est dispersé, chacun détient une partie de la vérité, mais on n’a pas de véritable alternative crédible. »
- « C’est vrai que la réponse de la rue, c’est vrai que ce n’est pas une réponse politique, c’est beaucoup plus complexe que ça. C’est vrai que par rapport aux retraites, il y a plein de propositions à faire, et en dehors de ce que propose le gouvernement, mais ce n’est pas dans la rue qu’on va dire : “Il faut faire ci ça...” Et le problème des dates, c’est un rapport de force, point barre. Y’a une date qui a été choisie parce qu’on sait que le gouvernement va voter à ce moment-là, parce qu’on ne peut pas faire autrement... C’est évident que les gens savent bien que ce n’est pas en manifestant un jour, sachant qu’on a dit qu’il n’y avait pas assez de mobilisation, que ça va changer les choses. Je crois que le problème, il est là. Moi je pense que tant qu’on ne changera pas, la solution n’est pas dans la rue, ce n’est qu’un pis-aller pour être écouté, comme tu l’as dit, c’est pour que le peuple puisse être écouté parce qu’il ne l’est pas autrement. C’est vrai que si on demandait plus l’avis aux gens pour résoudre des problèmes dans des domaines particuliers, moi, je suis dans l’enseignement, ça fait vingt-cinq ans que j’y suis, on a dû considéré que je suis un gros nul parce qu’on ne m’a jamais demandé mon avis, donc je pense que si les ministres de l’éducation nationale prenaient plus en compte les gens qui sont concernés, ça irait un petit peu mieux dans notre pays, comme en Suisse avec les référendums, en France, cela peut être compliqué parce qu’on est un grand pays, mais je pense qu’il peut y avoir d’autres moyens de faire participer les gens que de faire des réformes “à la con”, “c’est comme ci, c’est comme ça”, et si ça marche pas “un pas en avant, deux pas en arrière...” Mais la rue, ça ne donne pas de solution, je suis d’accord. »
- « Les sociétés germaniques discutent, quand vous allez en Scandinavie, les choses sont plus apaisées, ça ne veut pas dire que c’est mieux, je fais un constat, c’est tout... »
- « Mais ça devrait être une initiative des hommes politiques, une autre façon de faire de la politique. Moi, la politique, je n’en fais pas depuis longtemps, mais j’ai rencontré des gens avec qui j’ai discuté, et Sarkozy, j’ai peur qu’il ne veuille pas discuter avec moi... Si ? Il serait prêt tu crois ? La politique, pour moi, c’est tenir compte des gens, alors que là, ce n’est pas du tout comme ça que l’on pratique. »
- « Tu as fait l’apanage de descendre dans la rue, et après, tu dis la rue n’est pas une réponse... »
- « Non, mais tu déformes mes propos. J’ai dit tout à l’heure que la rue, c’était le pis-aller, c’est-à-dire que quand on n’a pas de réponse démocratique, quand on n’est pas écouté dans les urnes, que les gens sont démobilisés politiquement, il nous reste que ça. Et pour moi, ce n’est pas la solution idéale... J’ai répondu à ta question ? »
- « J’ai entendu tout à l’heure quelque chose qui m’intéresse, j’aimerais que tu m’expliques qu’est-ce que c’est le “point zéro de la démocratie”, c’est un concept qui m’intéresse... »
- « Le degré zéro de la démocratie repose sur un constat, si la démocratie, c’est l’acceptation d’un vote public et général, on se doit d’accepter les conséquences et les conclusions de ce vote... Dire, on acceptera le président élu par la majorité, et on réfutera tous ces propos si on n’est pas d’accord avec ce qu’on pense, c’est le degré zéro de la démocratie... Quand on dit ça, il n’y a pas d’autres solutions... Tout à l’heure, tu as dit qu’on avait été pointé du doigt par le parlement européen... En vrai, je suis en accord avec votre colère, ce n’est pas du tout un désaccord à ce niveau, mais je pense que descendre dans la rue, c’est peut-être la solution la plus facile, et qui serait le témoignage d’une fainéantise intellectuelle, parce que dès lors qu’il y a un travail de fond, de journalisme à faire, on voit apparaître les solutions les plus pernicieuses envers le gouvernement, qui sont les plus efficaces... Effectivement, quand il y a un travail fort de journalisme, on est pointé du doigt et là, ça fonctionne... »
- « Ça me choque énormément ce que tu dis camarade ! Il n’y a pas les journalistes qui auraient le droit à la parole parce qu’ils sont capables d’analyse, toute citoyenne, tout citoyen est capable d’analyse, appartenant ou non à des partis, et on est tous capables de réfléchir, et quand on descend dans la rue, il y a souvent des réunions où on a réfléchi avant, et on fait des universités d’été... Et il y a plein de gens qui réfléchissent en France... Il y avait quinze universités d’été en même temps, de l’extrême droite à l’extrême gauche, toutes en même temps, deuxième quinzaine d’août, il ne faut pas croire que tout le monde se repose... Quand tu dis le mot journaliste, on a plutôt tendance à penser aux professionnels qu’aux intellectuels... Autrement, pour rester sur le sujet des médias. Il y a quand même ce gros problème, que nos médias ont été confisqués par notre chef d’état, et que maintenant, les médias –pas forcément ceux que les esprits éclairés, comme vous, écoutez – mais ceux dont la majorité silencieuse qui ne descend pas dans la rue est imprégnée du matin au soir... Il y a des gens qui mettent la télé à 6h00 du matin jusqu’à huit heures du soir, les femmes au foyer, les gens au chômage, les vieux de mon âge, ceux qui ne réfléchissent pas, parce que c’est la majorité... Ils sont gavés de ces médias qui sont tous à la solde du pouvoir, puisque le chef de l’état possède les médias, c’est quand même un grave problème de démocratie. »
- « Par rapport aux diktats, je pense qu’il y a des problèmes institutionnels qu’il faudra régler rapidement... On a été le pays de la séparation des pouvoirs avec Montesquieu, aujourd’hui, on a oublié de séparer les nouveaux pouvoirs médiatiques pour empêcher que des pouvoirs financiers puissent contrôler des pouvoirs médiatiques. On est un certain nombre de gens qui le disent. D’autre part, la forme du journalisme change, et je pense à Médiapart qui joue un rôle essentiel, s’il n’y avait pas Médiapart, on ne serait pas en train de parler de l’affaire Woerth. Il y aurait besoin d’un journalisme d’investigation comme il n’en existe peut-être plus. Troisième point, aujourd’hui, un gouvernement, à partir du moment où il engage une réforme qui déborde de son mandat, par exemple si un président est élu pour cinq ans, et si une réforme engage les générations futures, il devrait y avoir une obligation quasiment morale de passer par un référendum... Moi, c’est mon point de vue. Parce qu’il y a un président qui est responsable de ce qu’il peut gérer pendant la durée pendant laquelle il est élu, passée la durée du mandat, c’est toute la nation qui s’engage, et la nation dans une démocratie, c’est le peuple. »
- « Deux choses, par rapport à l’efficacité de la manifestation. Je voudrais parler d’une chose, c’est que descendre dans la rue, c’est aussi l’occasion de se faire casser la figure... Je parle en général, on peut assister à une certaine dérive, à une criminalisation de la contestation politique, et là, en l’occurrence de la manifestation. Je parle en général... Ensuite, une deuxième chose, je parle plus en particulier, en France, on a un rapport spécifique avec le pouvoir, qui est très personnifié, on a eu des rois pendant approximativement deux mille ans, on ne va pas rentrer dans les détails, deux empereurs, des militaires plus ou moins démocratiques... c’est vrai qu’on est dans un rapport de forces, mais aussi dans un rapport d’attente que les psychanalystes et sociologues auront étudié, peut-être un peu un rapport paternel, le peuple, les enfants... La personnification du pouvoir, voilà une question... Et pour revenir à la manifestation, n’y a-t-il pas aussi d’autres formes de manifestations avec des actions peut-être moins spectaculaires, plus sur le terrain, je pense aux associations. Je ne dis pas qu’il faut mettre la manifestation de côté, mais est-elle une forme exclusive de manifestation ou d’action ? »
- « Je voulais revenir sur les médias... C’est vrai que Médiapart a trente milles abonnés, c’est bien... en arrivant en voiture, j’écoutais Edgar Morin sur France Culture, alors comment faire passer la pensée d’Edgar Morin au peuple... Moi ma pensée, c’est du côté d’Hervé Kempf, Emmanuel Todd, et il est très pessimiste, c’est-à-dire que c’est la technologie qui définit la société, sous Jaurès on avait le papier, on a eu la télé sous Giscard... maintenant on a Internet, on a des moyens de communication mondiaux, on est dans l’événementiel pur, l’information dure huit, dix secondes, c’est ça, c’est une suite d’information, mais il n’y a plus de structure. On est dans un monde où – je ne suis pas pro-Sarkozy – Sarkozy est à la tête d’un navire sur lequel il ne peut plus rien faire. Plus personne ne gouverne quoi que ce soit puisque ce sont les multinationales qui font la loi, avec des ensembles comme la Chine ou l’Inde, je dis ça, sors du contexte mais moi dans le microcosme personnel où je suis, je vois que 89% des productions se passent en Chine, l’intelligence est là-bas, il ne se passe plus rien chez nous, on fait plus que du service et du tourisme. Bon, la rue est une réponse... Par exemple, par rapport à une problématique locale, je me bats sur une question qui s’appelle Notre-Dame-des-Landes, c’est un exemple, où typiquement, on n’arrive pas à faire passer le message. On est deux mille à manifester, mais les gens s’en foutent, le peuple s’en fout... Au-delà de la question écologique, c’est un non-sens économique, et comment faire passer le message ? On arrive à faire passer des messages à un moment donné sur un journal pendant une minute, trente secondes, et on passe à autre chose, alors c’est qui occupe l’écran... Je n’ai pas de réponse, c’est juste un constat. »
- « Bonjour je m’appelle Bénédicte, je ne sais pas si vous vous êtes présentés... J’adore ça l’auto-présentation... Je ne sais pas si vous avez parlé de ça, la première question, c’est, est-ce qu’on peut parler de démocratie quand la moitié de la moitié de la population a élu son président ? Et puis la deuxième question, c’est par rapport au consentement volontaire, c’est-à-dire, je ne sais pas si vous avez parlé de Chomsky mais globalement, les médias, ce n’est pas que Sarkozy possède les médias, c’est que les médias se trouvent bien dans ce qu’ils font. Et quand on parlait de ce qui se passe ailleurs, y’a plein de moyens de savoir, il n’y a pas que Médiapart, mais après, il faut le chercher. Mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas... Quelqu’un a dit que les Français étaient des veaux... c’est ça ? Je voulais savoir si vous en aviez parlé... »
- « Le degré zéro de la démocratie, pour revenir à cette notion que je ne connaissais pas... Je trouve que c’est un peu méprisant : “Vous avez élu quelqu’un, maintenant vous fermez votre gueule”, c’est ce que j’ai compris, c’est un peu ça... Qu’est-ce que c’est la démocratie. Elle a soulevé un autre débat... Et je pense qu’en France effectivement, on en est loin, et le problème des élections quand on regarde les pourcentages... Y’a le problème du vote blanc, tout ça pour dire qu’on en est loin. Mais on s’écarte du sujet, et pour revenir au problème des manifestations que tu as évoqué en parlant de NDDL, ça rejoint un autre problème. Moi, franchement, j’essaie d’en discuter au boulot avec des gens plutôt intellos, et vous savez ce qu’ils me répondent ? “Mais toi, tu habites à Rezé, toi ?”, et moi, “Oui, j’ai habité à Rezé...”, et là on arrête c’est fini, on ne peut plus discuter. Parce que les gens, à part l’avion qui passe au-dessus de chez eux, ils n’en ont rien à faire du reste... »
- « Je voudrais revenir sur deux choses... Pour l’histoire de Rezé, j’ai plein de camarades, plein d’amis pardon qui habitent au Corbusier, et on a encore fait une soirée samedi... Les amis dans les jardins partagés du Corbusier, les avions nous passent comme ça au dessus, et ces gens-là sont dans les luttes contre le projet à NDDL, et dans le collectif à NDDL, on lutte depuis des années, il y a des gens de l’ACIPA qui font la vigie devant le Conseil Général depuis plus de quinze ans, des gens de soixante-quinze ans, de quatre-vingts ans, moi je l’ai fait juste deux fois en hiver, c’est très dur... Jean-Marc Ayrault, il en a rien à cirer. Et là, c’est pas pour parler politique, c’est pour parler de la démocratie : on n’est pas du tout entendu. »
- « Un petit truc par rapport au fait de la rue, je pense que d’entrée de jeu, si tu avais eu huit millions de gens dans la rue, le problème aurait été réglé tout de suite. On a une masse critique, on a une violence critique, on le voit dans les conflits d’entreprises, on en est plus à sauvegarder les entreprises, mais à une espèce de chacun pour soi, où les mecs se disent : “Bon, combien je peux tirer si je fous le bordel ? Je prends mes trente mille euros, voilà...” On a deux problèmes, l’individualisation des comportements, et le modèle politique qui est obsolète aujourd’hui. Plus personne ne croit en nos politiques, moi j’y suis revenu parce que j’y croyais plus... on a des modes de fonctionnement qui sont obsolètes : des cumuls de mandat, les copinages, etc., les journaux en sont remplis ! Et la troisième chose qui renvoie à tout ça, on n’a plus de gens qui ont une vision de la société, une vision pour le pays... Il ne suffit pas de dire, on va gouverner cinq ans et on va changer la réforme des retraites, c’est d’avoir une vision sur le long terme. C’est donner un avenir au travers tout ce qui nous entoure, que ce soit l’environnement, l’éducation... On manque de souffle... On a une petite émergence avec des partis qui génèrent de nouvelles envies, mais les modèles classiques sont obsolètes pour moi. Ce n’est pas “Donnez-moi le pouvoir parce que je vais faire mieux”, c’est “Je vais prendre le pouvoir, pas parce que je suis le meilleur, mais parce que l’autre a échoué”... On ne va pas loin comme ça. »
- « S’il y a une autre intervention... On va peut-être en prendre une ou deux de plus, et après on va passer au vote pour le prochain débat. Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui veulent prendre la parole ? »
- « Pour résumer un petit peu ce qu’on a dit, je crois que l’influence de la rue est liée aussi à l’influence qu’à la politique sur notre environnement. Aujourd’hui, quelle est la perception des citoyens de la politique ? J’ai l’impression que c’est uniquement quelques-uns qui décident de tout. La politique, à la base c’est l’affaire de tous les citoyens, donc à partir du moment où les gens ont l’impression que le pouvoir, le sens politique ne leur appartient plus, aller manifester n’a plus de sens, parce que le résultat sera forcément très aléatoire. Comme je le disais au départ, il faut aller dans des situations quasiment extrêmes pour être sûrs d’obtenir satisfaction. Parce que le pouvoir officiel n’a quasiment pas de limite... Un gouvernement, aujourd’hui peut se dire que s’il n’y a pas neuf millions, dix millions de gens dans la rue, ce n’est pas représentatif. Comme je l’ai déjà dit, en 2003, il y a eu deux millions de personnes dans la rue contre la réforme des retraites, ça n’a rien changé, là, on a un nombre équivalent aujourd’hui... Le pouvoir sait comment gérer puisqu’il a déjà connu la même situation, il sait comment diviser les syndicats entre eux, il fera quelques concessions, et puis ça passera. C’est du Machiavel, c’est comment diviser pour mieux régner. »
- « Bonsoir, je n’ai pas trop pris la parole, je vous ai écouté. Ce que j’ai retenu, ce que j’ai envie de dire, le problème qui se pose, que vous avez tous soulevé, c’est qu’il n’y a plus de formation citoyenne, et que du coup, le sens du citoyen n’a presque plus de sens pour les gens, mais que la manifestation dans la rue peut servir à certains qui ne manifestent pas, et à prendre conscience d’une citoyenneté qui peut leur échapper. »
- « On va prendre une dernière intervention et passez au vote. »
- « Moi ce que je constate, c’est que d’après le bilan, que 30% des jeunes entre 25 et 30 ans n’ont pas de boulot, et ils n’ont aucun espoir d’en trouver... Il faut dire les choses clairement, actuellement, on forme des ingénieurs dont on n’est même pas sûr qu’ils s’en sortent. Moi j’ai des enfants, j’ai 48 ans, je suis ingénieur, j’ai fait une grande école, j’en suis au point de me dire, et de dire à mes gamins que ce n’est pas la peine qu’ils fassent une grande école, puisque de toute manière, le boulot technique, il part en Chine, c’est pas la peine... On met les gens à la porte à 52, 53 ans, alors cette réforme à 62 ans, c’est un coup de plus. On est tellement abrutis par ça... je ne suis pas chez France Télécom, mais moi, je vais vous raconter une anecdote, je suis en train de chercher du boulot en interne, on me propose de prendre un poste d’une fille qui s’est suicidée, qui s’est jetée du septième étage parce que son poste était transféré... Faut voir ! On n’y croit plus... Qu’est-ce qu’il fait Sarkozy ? Sarkozy prépare la com pour le journal de TF1, c’est tout ce qu’il fait !!! »
- « Juste pour rebondir sur ce que tu disais, c’est qu’effectivement, moi, je suis peut-être la plus âgée ici, j’ai 70 ans, et j’ai fait la grève en 68, j’ai eu des boulots merdiques jusqu’à 47 ans, et à 47 ans, j’ai enfin passé un Capes, j’étais enfin titulaire, mais n’empêche que même des boulots merdiques, on en trouvait, alors que maintenant, effectivement, les gens qui ont trente ans, ce n’est plus du tout la même chose, parce que même avec bac +5, ils ne trouvent pas de boulot, et c’est un vrai drame, et quand on a un chef d’État qui nous dit qu’il faut que les gens bossent jusqu’à 65 ans, c’est complètement bidon, c’est juste qu’il faut ne pas leur payer de retraites. Parce qu’il n’y a pas de boulot pour tout le monde, il n’y en a déjà pas assez, alors les gens vont bosser entre 35 et 45 ans en gros, puisqu’à 50 ans, on ne trouve plus de boulot, et avant 35 ans, on n’a pas assez d’expérience ! c’est un vrai problème, l’emploi.
Thèmes proposés pour le débat suivant et nombre de voix :
- Le jeunisme : 7 voix
- Quel avenir pour les médias citoyens face aux médias traditionnels ? : 17 voix
- Quelles sont les conditions pour qu’il y ait une vraie démocratie ? : 13 voix
Interventions
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