Compte-rendu synthétique par Céline Chabut — Café Citoyen de Saint-Denis de la Réunion (19/02/2013)
Animateur du débat : Céline Chabut
» Éducation
Procès de la violence, violence du procès
COMPTE-RENDU DU DEBAT
Etaient présents : Thérèse Baillif, Présidente du CEVIF ; Maître Léopoldine Settama, avocate et bâtonnière au barreau de Saint-Denis ; Céline Chabut, présidente du café citoyen l’Arcadie de la Réunion. + 13 participants.
- Rappel des chiffres : 75000 viols par an en France ; seule 1 femme sur 11 porte plainte ; 98% des violeurs restent impunis ; la plupart des viols sont commis par un proche, par un familier, dans des lieux connus de la victime et de l’agresseur. Le plus gros problème, après le viol, est la loi du silence, l’omerta.
- Problématique : lorsque la victime d’un viol a enfin trouvé la force de franchir le pas pour porter plainte et aller jusqu’au procès, elle s’attend à être entendue, défendue et soutenue par son avocat, et jugée équitablement par la cour. Le procès devrait servir à pacifier les choses, et devrait permettre à la victime de se reconstruire. Or, il consiste souvent, d’après les victimes, en une nouvelle mise à nu, une nouvelle violence où les femmes sont « livrées aux fauves ». C’est la violence institutionnelle. Comment pourrait-on changer les choses ?
- Comme en témoigne une victime, le procès donne en effet l’impression de faire subir aux victimes une double peine, voire une triple peine (après la déposition), comme si la première ne suffisait pas. Elle rappelle aussi, que bien souvent, les victimes de viol à l’âge adulte ont déjà subi des agressions sexuelles pendant l’enfance… Pourquoi alors faut-il rajouter de la violence lors du procès ?
- Les gendarmes sont souvent suspicieux lors de la déposition : selon certains, les femmes sont des aguicheuses. L’opprobre est jetée sur la fille, souvent systématiquement. Il faudrait sensibiliser le personnel. Le viol est un vrai problème sociétal.
- Quand on appartient à l’institution, on est soumis à la même loi que tout le monde ; comment un gendarme, un avocat, un juge ou un procureur peut-il s’autoriser à tenir des propos sexistes, misogynes ?
- Maître Settama tient à remettre les choses dans leur contexte : les gendarmes, quand ils reçoivent la victime, sont souvent dans l’incompréhension. La victime a souvent une attitude ambivalente envers son agresseur ; elle est dans une grande souffrance. Face à elle, les gendarmes ne sont pas formés pour recueillir les informations. La femme qui est « mal » s’enlise dans ses déclarations, et elle est enlisée dans sa situation. Donc, on a d’un côté : quelqu’un qui ne comprend pas (le gendarme), et de l’autre, quelqu’un qui est dans une grande difficulté de communication (la victime). Plus elle va tenter de se faire comprendre, moins elle va y arriver.
Or l’écoute, ce n’est pas donné à tout le monde. Il y a un besoin de formation pour apprendre à écouter autrui. Il faut reformuler les propos, pour que les gens se comprennent et se fassent comprendre.
- Comment se fait-il que parfois, les gendarmes n’enregistrent pas la plainte ?
- Maître Settama explique que la plainte est enregistrée en fonction d’une graduation dans les faits. La plainte est classée sans suite si la victime vit avec son agresseur.
- Comment se fait-il que pendant le procès, la victime soit encore humiliée ? Par exemple, la photo de son sexe mutilé est vue par plusieurs magistrats…
- Maître Settama rappelle que, comme dans toutes les professions, certains magistrats font preuve d’incompétence. Les hommes se montrent souvent plus compréhensifs que certaines femmes. Pourtant, tous les magistrats sont soumis à une déontologie, ils prêtent serment, et s’engagent à respecter la dignité des personnes. Mais cela n’empêche pas un manque de professionnalisme chez certains. Le travail de la défense consiste pourtant à défendre son client, mais pas à écraser l’autre. De plus, il faut bien remarquer que la profession est devenue mercantile, et que pour obtenir gain de cause, on dépasse parfois les limites posées par la déontologie.
L’instruction reste de toute façon un moment très violent. Par exemple, dans une affaire d’inceste, l’agresseur peut dire que sa fille l’a provoqué. L’instruction est parfois très éprouvante, même pour les avocats.
C’est pourquoi il a existé un pôle « avocat des victimes » au barreau de St Pierre, qu’il faudrait remettre en place. C’est un bureau d’aide aux victimes attaché au TGI. L’ARAJUFA intervient aussi, mais cela reste insuffisant.
- Comment faire pour que le plaignant se sente défendu par son avocat ?
L’avocat doit savoir porter la parole de la victime. On doit donc laisser le choix aux victimes de choisir leur avocat. C’est grâce à l’intuitu personae, c’est-à-dire la relation entre l’avocat et son client, que la parole de la victime sera portée. Il faut toujours rester vigilent et suivre la règle de la prudence : si ça ne va pas entre l’avocat et son client, la victime peut changer d’avocat.
- Le rôle du Président du tribunal est aussi déterminant : c’est lui qui fait la police de l’audience.
- L’avocat doit préparer le client. Il faut que la colère sorte. La victime a le droit de tout dire, tant qu’elle reste polie. L’avocat est là pour aider la victime : il lui rappelle ce qu’elle doit dire ; il la conseille sur sa posture, son élocution ; il l’aide à ne pas se sentir déstabilisée face à l’agresseur qui est souvent très manipulateur et dominateur.
- Il faut aussi un cadre sécurisé. La victime peut demander à ce que le procès soit fait à huis-clos (avocats, victime, agresseur, proches, associations – si la victime ou l’avocat le demande).
- L’expert psychologue : il met souvent en avant les maltraitances vécues par l’agresseur durant son enfance. Il est « gênant », selon Maître Settama, mais obligatoire, pour la victime et l’agresseur. Il peut donner l’impression que la victime se place toujours en position de retrait. Or le but est d’éviter la réitération de l’infraction, pas de chercher des excuses.
L’expertise permet aussi de comprendre le fonctionnement de la société, et de connaître le profil type des victimes.
L’expertise psychologique demeure cependant un affront au métier de psychologue, selon Maître Settama ; en effet, l’expertise dure 15 mn, une heure maximum…Comment, dans ces conditions, prétendre décrire le profil psychologique d’une personne ?
- On parle de la souffrance de la victime ; mais la violence du procès est aussi communiquée aux gens qui écoutent, ainsi qu’aux témoins à charge et à décharge, qui partent parfois fâchés contre la victime.
- L’avocat sert de canne à la victime ; et la victime doit communiquer avec lui. Elle peut et doit lui poser toutes les questions qu’elle se pose, notamment au sujet du déroulement de l’instruction. Plusieurs personnes soulignent l’extrême fragilité psychique des victimes au moment du procès, et leur grande méconnaissance du fonctionnement du système judiciaire. Elles ont tout intérêt à se renseigner sur le déroulement du procès, les étapes, le rôle de chacun des magistrats, les délais.
- Le procès n’apporte malheureusement pas une solution ad vitam. Le recours peut être une deuxième étape, et entraîner en cas de victoire une augmentation de la peine. De plus, la victime aura besoin d’un accompagnement thérapeutique, parfois au très long cours, pour se reconstruire psychologiquement.
- La victime doit convaincre. Il est très important qu’elle ait des amis acquis à sa cause près d’elle, qui la soutiennent, tout au long du procès.
Conclusion : Pour que le procès ne devienne pas un nouveau calvaire, il faut faire un gros travail d’écoute et de préparation de la victime.
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