Compte-rendu synthétique par Céline Chabut — Café Citoyen de Saint-Denis de la Réunion (25/06/2014)
Animateur du débat : Céline Chabut
» Éducation
L’ILLETTRISME À LA RÉUNION : POURQUOI AUTANT DE RETARD ?
Compte rendu du café débat de l’Arcadie
25 juin 2014 au café culturel La Cerise, Saint-Paul
L’illettrisme à la Réunion
Présentation de Michel Latchoumanin, Professeur des Universités en Sciences de l'Education, Docteur en Psychologie, Directeur du centre interdisciplinaire de recherche sur la construction identitaire (CIRCI) et ancien Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines.
L’histoire de l’illettrisme
C’est à la fin des années 70- début des 80es, en Europe, que le choc pétrolier entraîne toute une série de bouleversements. On découvre alors qu’il y a des « nouveaux pauvres ». Des associations caritatives comme Emmaüs, ATD Quart Monde, se rendent compte que la pauvreté augmente à cause du chômage. Ce sont les premiers à s’inquiéter. Ces associations posent alors le problème de l’illettrisme aux responsables politiques. ATD Quart Monde nomme cette difficulté « illettrisme ».
La Création du GPLI (Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme) fait son apparition à la Réunion.
Du jour au lendemain, plus de 300 000 cas sont recensés. Ce sujet devient alors une cause importante. Ainsi, des actions et structures se mettent en place à partir de 1977 avec le but que dix ans plus tard, le problème soit derrière nous.
Nous pouvons alors citer par ordre de création :
- l’AREP : Association Réunionnaise d’Education Populaire, créée en 1963.
- les OISI : Outil d’Identification des Situations d’Illettrisme, 1963.
- ARPA : Association Réunionnaise de Cours pour Adultes, dix ans plus tard, en 1972.
- ANLCI (ex GPLI) : Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme, créée en 1996.
- Les « Cases à lire », dont la première structure date de 2011 sur l’île. On compte 40 cases à lire aujourd’hui dont 14 associations. 16 communes en bénéficient à la Réunion.
L’illettrisme à la Réunion
Le bilan, aujourd’hui, à la Réunion, montre un phénomène étrange. Selon l’INSEE, plusieurs facteurs en sont la cause ; néanmoins, après réflexion, aucune de ces raisons ne peut suffire à expliquer l’augmentation de ce phénomène.
Le taux d’illettrisme en 2007 à la Réunion était de 100 000 personnes, alors qu’en 2013, il est de 116 000 personnes, dont 11 000 FLE (Français Langue Etrangère). Ce taux est en augmentation alors qu’un budget de 30 millions d’euros par an est distribué aux diverses associations pour lutter contre l’illettrisme.
L’illettrisme à la Réunion concerne 21% de la population dont 12% des 16-25 ans ont des difficultés graves à écrire, contre 42% chez les 56-65 ans. Il est précisé que ces jeunes sont, pour la majorité, scolarisés.
On aurait tendance à comparer la Réunion à la France Métropolitaine, dont le taux d’illettrisme est en baisse ; mais il faut bien garder en tête que la langue française est enseignée ici depuis seulement 40 ans alors qu’elle l’est depuis plus d’un siècle en métropole. De plus, la poussée démographique et l’histoire du peuplement à la Réunion sont incomparables avec celles des pays occidentaux. Comparons donc ce qui est comparable.
Néanmoins, cela reste évident qu’il faut changer les choses et réfléchir sur les outils à mettre en place, pour que les chiffres baissent et que le Réunionnais trouve sa place et soit à l’aise avec cette langue, qui reste une langue difficile à apprendre et non maternelle. Remettre les choses dans leur contexte semble une nécessité.
Problèmes généraux
Michel Latchoumanin le dit très clairement : « Il faut se débarrasser des mots comme « illettrisme », « retard », « lacunes », « échec scolaire » ». En effet, ces termes ont fait de l’illettrisme un problème, une tare et ils ont entraîné la stigmatisation des personnes concernées. On assimile l’individu et on le réduit à ce qui lui fait défaut. De plus, on se focalise sur l’écrit, alors que le langage oral doit garder sa valeur dans le processus d’évaluation. Aujourd’hui, ces personnes stigmatisées sont donc moins volontaires. Elles ne sont pas écoutées, prises en charge selon leur identité, leur vécu, et surtout leur projet. Tous les ateliers mis en place pour lutter contre l’illettrisme rencontrent le même problème de fidélisation du public à cause, semble-t-il, de cette stigmatisation.
Une autre question est soulevée, celle de l’illettrisme invisible, notamment chez les jeunes scolarisés. En 2012, 1700 jeunes entre 16 et 22 ans ont été repérés en situation d’illettrisme lors de la JDC (Journée Défense et Citoyenneté), alors que l’Etat annonce sortir de leur situation d’illettrisme 1500 jeunes par an.
Le créole est la langue vivante maternelle des Réunionnais, la langue française est enseignée à l’école dès la maternelle. Il y a ici une double contrainte : la censure de la langue maternelle et l’apprentissage d’une langue non maternelle, donc non spontanée. Cela peut avoir des conséquences psychologiques dramatiques, car on pousse l’individu à faire le deuil de sa langue maternelle ; parfois, surgit suite à cette interdiction une autre difficulté : la dyslexie.
Solutions
L’école pourrait redevenir les poumons des quartiers. Les habitants pourraient se la réapproprier. C’est la proximité des personnes qui pourrait permettre d’apporter des solutions afin d’agir pour ceux qui ont besoin d’apprendre ou de réapprendre la lecture et l’écriture.
Une approche plus individuelle, prenant en compte le vécu et la sensibilité de l’individu, la « littératie », permettrait de remédier en partie à cette stigmatisation des personnes illettrées.
On souligne que l’important dans une classe, c’est la communication. Il serait bénéfique et primordial de prendre en compte chaque élève dans son milieu familial, son identité et son vécu. Parler la même langue entre instituteurs et élèves permettrait de mieux communiquer.
Ressources
Bibliographie
- « Illettrisme ou littératie », Michel Latchoumanin, Octobre 2010, Océan éditions.
- « La violence à l’école », Michel Latchoumanin
- « Recherche et pratique de littératie » Michel Latchoumanin, Océan éditions.
Filmographie
- « Etre et Avoir », Nicolas Philibert, Août 2002.
Merci à Marjorie Degremont pour cette synthèse!
Interventions
Yvan SOMMER
lundi 16 juin 2014 09:59:36 +00:00
Bonjour à vous tous,
Nous travaillons à une forme de lutte contre l'illettrisme depuis bientôt 2 ans en développant à Besançon en métropole, un serious game nommé "imagana - les clés du jeu de Mô". Il s'agit d'un jeu à destination de tous publics (adultes / enfants | en situation d'illettrisme ou non).
Dans les premières phases du projet, nous avons fait les constats et paris suivants :
- les personnes en situation d'illettrisme ont souvent eu des difficultés à l'école, aussi, les remettre dans une situation formateur - apprenants peut être mal vécue. Le format vidéo-ludique et une approche de la ludification des contenus pédagogique, permet de contourner cet obstacle;
- vivre en situation d'illettrisme est ostracisant, excluant. Imagana propose une stratégie de contournement de la problématique, le joueur est avant tout un joueur et c’est par le jeu qu’il progresse, créant ainsi une appétence pour la lecture et l’écriture ;
- la plupart des autres solutions visent les « savoirs de base », mais négligent les fondamentaux de la lecture et de l’écriture. Ceux-ci sont le plus souvent survolés ou gravement oubliés. A l’inverse, lorsque des solutions existent qui paraissent vouloir vraiment traiter la difficulté, elles démarrent généralement à un niveau qui n’est pas complètement novice pour l’utilisateur.
N’hésitez pas à tester imagana en allant sur le site http://www.imagana.com (clé d’accès « WEB », jusqu’à fin juin). Le jeu sera gratuit et accessible à tous d’un simple clic.
Bien cordialement,
L’équipe d’imagana – les clés du jeu de Mô
Anise Marimoutou
dimanche 22 juin 2014 14:58:33 +00:00
Bravo pour votre beau projet ludique "Imagina". J'espère que les réunionnais l'adopteront.
Malheureusement,les plus nécessiteux, ceux qui sont réellement concernés par l'illettrisme n'ont pas forcément un ordinateur connecté à internet à leur portée.
A la Réunion, nous manquons cruellement de structures pour accueillir les jeunes en difficultés, en dehors du cadre scolaire. Les projets d'éveil musical, d'atelier de lecture, d'écriture et d'initiation à l'informatique existent, mais les associations sont devant un obstacle majeur : le manque de locaux pour recevoir le public.
Pour que les projets aboutissent et que la lutte contre l'illettrisme soit plus efficace,ne faudrait-il pas faire un travail de proximité avec les associatifs et notamment celles qui travaillent aux côtés des parents d'élèves ? Ensuite, coordonner et fédérer les projets ?
Agir efficacement, c'est aussi sensibiliser, mobiliser et montrer les conséquences de l'illettrisme. L'isolement dans lequel sont les personnes qui ne savent ni lire, ni écrire, dans notre société moderne, n'est plus acceptable.
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