Compte-rendu analytique par Marc Houssaye — Café Citoyen de Caen (17/07/1999)
Animateur du débat : Marc Houssaye
» Politique et Société
L'intérêt et la place des fêtes et des commémorations
1 - On a à peu près une dizaine de fêtes ou de jours fériés dans l'année. Visiblement, cela semble être quelque chose d'important dans la vie d'une nation de pouvoir commémorer des choses ou de pouvoir aussi marquer des jours fériés, autres que les dimanches. Est-ce que cela correspond à un besoin physiologique des individus? A priori non puisque l'on remarque une densité plus élevée de ces jours fériés dans la période "avril/mai". Alors pourquoi est-ce que l'on a ce besoin? Il y a d'une part les commémorations qui existent pour que le souvenir reste. La reconnaissance historique est ici la cause. Les gens qui remercient les générations antérieures. Mais la fête nationale, ce n'est pas cela. La commémoration de la prise de la Bastille, c'est une commémoration de la République. L'intérêt est autre. On peut remarquer aussi des fêtes religieuses qui à mon avis ont plus une portée politique à l'instar de la fête nationale.
2 - Je voudrais préciser que le Quatorze Juillet est devenu fête nationale environ un siècle après la prise de la Bastille. Le premier anniversaire de la fête de la Bastille était la fête de la Fédération . Cela s'est amoindrie et le quinze Août s'est imposé. Ensuite, le Quatorze juillet a été instauré de nouveau.
3 - En fait, au cours de la Révolution, il n'y a avait pas beaucoup de jours qui auraient pu concurrencer le Quatorze Juillet. Pour qu'une fête soit populaire, il faut qu'elle corresponde à un événement qui l'est lui-même. Il y a peut-être la nuit plus marquante du quatre Août.
4 - Mes parents possédaient une affiche des années 1792, les années dures de la Révolution, sur laquelle était inscrite la date d'un rassemblement, d'une célébration. Et c'était fantastique, tout le monde devait être debout à la cinquième heure du matin, spécialement vêtu. A l'époque, on avait plus l'idée d'une célébration que l'idée d'une fête. Ce n'était pas la liesse.
5 - On associe souvent la fête nationale, dans tous les pays, au défilé militaire. On invite des chefs d'états étrangers. En Union Soviétique, cela a souvent été cela.
6 - Vous parlez des fêtes et des commémorations. Je voudrais savoir votre critique. Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce utile? Pour vous personnellement. Nous avons parlé des générations précédentes, du respect témoigné. Il y a une certaine unité du peuple dans ces rassemblements. Mais où se situe l'intérêt des commémorations individuellement?
7 - Je n'ai pas l'impression que lors du Quatorze Juillet les gens aient en tête la raison pour laquelle cette date est restée gravée. Je ne crois même pas qu'il y ait un sentiment d'attachement à la démocratie, une volonté de montrer qu'on l'aime.
8 - Les médias ne rappelle pas le pourquoi. Dans l'esprit des populations, on ne voit pas l'intérêt, à part peut-être le fait que ce soit férié et donc chômé.
9 - Mais est-ce que vous croyez que les Américains se rappellent de l'événement se rattachant à leur fête nationale? C'est un jour de fête. On fait péter les pétards dans les rues pour sa joie. On danse. Il y a des bals populaires.
10 - La fête américaine est plus patriotique. Les gens se souviennent des pères fondateurs. Il y a des drapeaux. Dans les écoles, il y a des comédies musicales patriotiques.
11 - C'est très lié au pays cela, à la reconnaissance qu'il a de son armée et de sa puissance. L'américain moyen est quand même assez proche de son drapeau; à mon avis plus que le français moyen. Et je parle de façon générale, pas seulement pour le 4 Juillet .
12 - Nous sommes en train de parler de l'intérêt porté aux célébrations, notamment du 14 Juillet que nous avons fêté dernièrement. Qu'est-ce que vous avez eu comme sensation, qu'est-ce qui vous a poussé à aller voir le feu d'artifice?
13 - On a plus forcément en tête les événements ou une volonté de montrer son amour de la patrie mais c'est plus l'ambiance de fête qui nous attire. Et pourquoi le gouvernement tient au fête? Parce que dans ces grands rassemblements, le peuple se ressoude. Même si ce n'est pas très flagrant, il y a quand même un effet de masse. La fête manifeste des événements où le peuple se sent soudé, comme la victoire à une coupe du monde. Cela se traduit par une fête. Je pense qu'inversement la fête ne manque pas de nous rapprocher.
14 - On parle là de l'intérêt du peuple mais ou se situe l'intérêt pour l'individu?
15 - Pour l'individu, c'est rencontrer des gens et faire la fête…
16 - Mais c'est un raisonnement qui tourne en rond parce que tu justifies la fête par la fête. Et à mon avis c'est là que l'on pose comme principe fondateur de la fête cet oubli qui est sa seule raison d'exister. Il y a quelque chose de profondément absurde dans tout cela. Il y a un espèce de vide conceptuel que l'on retrouve par exemple dans le 14 Juillet.
17 - C'est gênant effectivement mais concrètement c'est ce qui se passe. La fête de la musique en est un exemple. Au début il y avait la musique. Maintenant il y a les saucisses autour de quelques groupes. Mais les gens ne sont pas malheureux.
18 - Il me semble que même si tout le monde ne sait pas que le 14 Juillet est la prise de la Bastille, le sens que l'on peut lui donner, je crois qu'il y a quand même réunion autour de valeurs nationales, dans le bon sens du terme. Je crois qu'il y a une vague conscience de réunion autour d'un idéal démocratique très large. J'aimerais bien savoir si les gens se réclamant du Front National fêtent le 14 Juillet. Ce que je peut simplement remarquer de ce point de vue là, c'est qu'ils ont trouvé nécessaire d'inventer une fête de Jeanne d'Arc. Un besoin nous apparaît : les communautés doivent exprimer qu'elles sont communautés; même si ce qui les fonde est parfois discutable, oublié, etc.
19 - Je pense que la fête est un monument. Le fait de marquer d'une pierre blanche montre qu'il y a quelque chose. Maintenant il est évident que l'on ne rappelle pas à chaque fois le pourquoi de la fête parce que ce serait le fouillis. Ou alors il faudrait avoir suffisamment d'imagination pour renouveler tous les ans le rappel. Le fait de la marquer suffit. C'est un symbole. Pour revenir à la fête en générale : elle peut être creuse. On peut sentir une répétition, celle des photocopies des feux d'artifices d'années en années. Le répétitif ternit l'image de la fête. C'est la routine. C'est absurde.
20 - Dans la ville de Grenoble, les illuminations pour Noël ne sont jamais retirées. Elles restent toute l'année accrochées et à une certaine période, il doit y avoir un bouton magique quelque part, tout s'allume. Passé une certaine date tout s'éteint.
21 - La monotonie de la fête se justifie tout à fait. Le but de la fête, essentiellement unitaire, réside dans un oubli des dissidences, des affrontements entre les individus d'une même population. Et son effet est l'oubli, une sorte d'amnésie collective. Répéter une fête tous les ans n'a rien de choquant. Chaque année nous avons besoin de ce rituel d'oubli. A mon avis, le fait que ce soit rattaché à quelque chose est totalement fortuit. C'est peut-être un peu abusif mais...
22 - Cette année, et cela va dans le sens précédemment exprimé de l'oubli, l'invité pour le 14 Juillet est Hassan II. Personne n'a relevé qu'un monarque, quelqu'un qui n'a rien d'un démocrate, était invité au défilé militaire.
23 - C'est vrai que si la plupart des gens vont faire la fête sans vraiment savoir pourquoi mais simplement dans un but de rassemblement unitaire, même inconsciemment, ce sont les gens qui dénigrent ces valeurs qui n'assistent pas à ces fêtes.
24 - Je ne suis pas sûr que les gens aillent à la fête dans un but de réunion sous des valeurs précises et unitaires. Au Moyen Age, les rois faisaient des cirques pour distraire les gens. Ils donnaient une journée dans l'année pour montrer le désordre du Royaume afin d'excuser toute la corruption du roi. Le peuple, en s'amusant à autant de travers que les dirigeants. Je crois que cette tradition a été gardée afin d'apaiser les colères populaires. Souvent, dans les dictatures, il n'est pas rare de trouver des matchs de football ou la création de fêtes nationales.
25 - Tout à l'heure lorsque je disais que ce n'était pas forcément conscient, c'était pour dire que se réunir et faire la fête étaient déjà un acte de collectivité, d'emprise du groupe sur l'individu. Même si les individus n'adhèrent pas à des valeurs, ils se retrouvent et se regroupent. Ils font avancer l'esprit général de la collectivité. C'est un ciment que la fête. C'est un peu comme une langue. Nous n'adhérons pas aux valeurs et pourtant la langue est un lien. Ce sont des choses transcendantes de l'individu.
26 - Finalement, vous avez la fête qui est un défoulement. Cela existe toujours. Les carnavals, les grandes festivités, les rassemblements d'où s'échappent une énergie dissipatrice. Le citoyen se calmait dans ces fêtes. C'est un peu la soupape.
27 - Enfin le 14 Juillet devrait être un "anti-carnaval". C'est quand même un jour où les ciments de la société sont lâches. Les gens bousculaient les relations sociales, la hiérarchie était désordonnée, etc.
28 - Je ne pense pas que la fête soit une démarche active. Rentrer dans une fête est relativement simple. C'est facile. On s'y laisse entraîner. Je crois que la plus grosse partie de la population subit plus la fête qu'elle ne lui confère une certaine légitimité. C'est indépendant de notre volonté car on ne fait pas la fête par choix. Si on ne la fait pas, on a de bonnes raisons de la faire mais si on la fait je ne suis pas sûr que l'on ait des raisons. La fête n'a pas vraiment de justification en soi. Pour s'y opposer, il faut avoir un mouvement de retrait. Par exemple, la coupe du monde de football était un phénomène tellement global que pour s'en abstraire il fallait une démarche à l'encontre. Par contre pour y participer, je ne pense pas qu'il y ait eu la nécessité d'une démarche active.
29 - Mais c'est justement cela qui traduit notre sentiment de collectivité. Tout le monde est dehors. On ne sait pas pourquoi mais il faut que l'on y aille.
30 - Mais, le sentiment de collectivité doit il naître de quelque chose que l'on ne comprends pas? A mon avis, la collectivité doit être déterminée par une envie, une raison, ou quelque chose de voulu.
31 - Est-ce que la raison ne serait pas justement le plaisir de la compagnie?
32 - Pour parler du 12 Juillet, au début je n'avais pas compris. En effet, je n'ai pas participé à ces réjouissances nationales. C'était une manifestation sportive, c'est tout. Je n'étais pas partie prenante. J'ai été impressionné cependant par le mouvement de foule, par les personnes qui défilaient dans la rue. Cette manifestation sportive a été dépassé. Elle est devenue autre chose. Est-ce que c'est la joie de se retrouver dans une société très divisée? Est-ce que c'est autre chose? Je ne sais pas.
33 - Je voudrais juste rajouter que sur les Champs Elysées, on aurait pu se translater quelques décennies en arrière et se retrouver à la Libération. Il y a avait quelque d'imposant.
34 - Effectivement, avant le match, la société française était extrêmement pessimiste. Cela surprenait d'ailleurs les pays étrangers. Les gens ont effectivement changé depuis cette victoire.
35 - Alors pourquoi le 12 Juillet n'est il plus aujourd'hui fêté? Y a-t-il eu une atténuation de ce phénomène?
36 - C'est quand même significatif. Cela tenait plus du mouvement de foule que de la fête. On a toujours quelque chose à fêter. La fête tient plus de la compulsion que de la véritable célébration. Il ne faut, à mon avis, aucunement chercher un message dans la fête.
37 - Mais ne serait ce pas quelque chose d'ancrée en nous que ce besoin de nous rassembler? Cela naît en chacun de nous de volonté particulière. Un tel parce qu'il va pouvoir danser, un autre parce qu'il va pouvoir boire avec un copain, une autre rencontrer l'âme sœur. Il y a tout un tas de raisons particulières qui vont provoquer l'envie de se regrouper. Dans l'essence même de la fête, il y a l'aspect collectif auquel nous ne pouvons pas résister.
38 - Il y a un aspect de la fête dont nous n'avons pas parlé, c'est l'aspect commercial. La fête de la musique commence à péricliter comme si l'on n'avait pas besoin de faire ou d'écouter de la musique tous les jours. Il y a un renouvellement des fêtes. Il y a un objet commercial derrière tout cela. Cela nuit à la fête à mon avis.
39 - J'ai eu l'occasion de participer à la fête nationale belge et je suis assez d'accord avec certains propos précédemment émis pour dire que l'on se laisse facilement aller à la fête. J'avais envie de participer à la fête nationale belge et pourtant je ne suis pas belge, chose qui n'aurait pas dû se manifester s'il y avait vraiment eu un attrait spécifique de ce rassemblement. Nous avons là un phénomène qui dépasse la nation, un phénomène beaucoup plus intérieur.
40 - C'est peut-être parce que l'on commence à confondre commémorations et fêtes. On essayé de faire de la fête une commémoration alors que ce n'est qu'une célébration.
41 - Je pense que lors des fêtes les codes sociaux sont cassés. Il y a un code social qui dit que l'on n'aborde pas quelqu'un dans la rue pour lui parler. Le jour de fête est justement un jour où tout cela s'effrite.
42 - Si on faisait une carte qui montre le cœur que l'on porte à la fête, je pense qu'en France il y a une décroissance du Nord vers le Sud. En Espagne c'est la fête aussi.
43 - Les gens du Nord ne sourient pas, n'applaudissent pas, ne communiquent pas leurs joies. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué. Ils ne font pas part de leur enthousiasme.
44 - J'ai fait la fête en Belgique et j'ai plutôt l'impression qu'il n'y a rien de la fête. Déjà, le rapport au drapeau n'est pas évident étant donné tous les antagonismes entre les Wallons, les Flamands, etc. Le drapeau belge prête à rire. Je pense que les belges ont un sens de la fête qui se confine à une journée très ordonnancée. Ce qui ne les empêche pas d'avoir une liesse populaire analogue à la nôtre. Je ne pense pas que l'on puisse établir une carte de la France traitant de l'enthousiasme. Je me rappelle de la fabuleuse fête de Bayonne, des fêtes du Pays Basque. Cela n'a rien de funeste.
45 - Pour parler des Espagnols. Il y a deux faces chez les espagnols. D'une apparence très chaleureuse, ils ont un intérieur beaucoup moins altruiste. L'union dans la fête est très peu développé chez eux. Il y a un côté très personnel, très égocentrique.
46 - Revenons à la distinction entre commémoration et célébration . Cela me semble capital. Ce que l'on décrit comme fête, ce n'est que de la célébration. Je crois que la célébration n'a pas véritablement de sous-jacents tandis que la commémoration est rattachée à un devoir de rappel collectif.
47 - Nous pouvons imaginer que les événements se succédant l'on est de plus en plus de choses à commémorer. Quelle est la nature réelle de la commémoration? Doit-on accepter qu'à un moment donné une commémoration s'efface? Est-ce que ce sont la durée de vie des gens qui en ont été acteurs qui détermine la durée de perpétuation de la commémoration? Quelles sont les règles à trouver pour la gestion de ces fêtes? Est-ce que l'on aura toujours des commémorations de 1918 quand les derniers poilus auront perdu leurs poils?
48 - Le 11 Novembre l'on vient rallumer la flamme du soldat inconnu. C'est une commémoration. Ce qui est extraordinaire, c'est que l'importance du 11 Novembre décroît. Le calendrier est un parfait cimetière, ou plutôt un excellent cénotaphe; On inscrit dessus toute l'Histoire. Et il y a actuellement des fêtes dont on ignore le sens originel. Prenez par exemple la fête du Muguet, qui a pris la place à la fête du travail mais cette dernière a certainement remplacé autre chose.
49 - Il y a une responsabilité collective à ce niveau là. C'est civique.
50 - Nous avons parlez de l'intérêt que l'on porte aux fêtes. Essayons de dégager la place de celles ci, c'est à dire leurs organisations dans l'espace social.
51 - Par rapport aux commémorations, nous n'avons pas parlez entre guillemets de la durée de validité. On ne commémore plus l'armistice de 1870/71. Pourquoi ?
52 - Et si, comme nous l'avons abordé tout à l'heure, le 11 Novembre, suite au dernier souffle du dernier poilu, venait à s'évanouir, c'est à dire ne venait plus à être commémoré. Pensez vous que ce soit une règle de validité juste? D'autres personnes que ces poilus ne peuvent-elles pas être touchées?
53 - J'ai peur que les générations suivantes ne se sentent pas aussi concernées que la première et que l'intérêt porté au 11 Novembre décroisse très rapidement. On attendra peut-être encore quelques générations, deux, trois maximum, et ensuite…
54 - Le problème, c'est qu'il faut trouver autre chose à la place.
55 - Comment organiser ces fêtes et ces commémorations de façon à ce que les gens qui ne s'y intéressent pas n'en éprouvent pas de gêne?
56 - Je pense qu'il faut aussi s'interroger sur le principe de la mémoire collective, sur la nécessité d'avoir ce lien avec ce passé, sur lequel nous n'avons plus véritablement d'emprise directe. C'est un peu ce que l'on évoque avec le 11 Novembre. A partir du moment où le phénomène ne va plus nous toucher, par l'intermédiaire de nos grands-parents, est-ce qu'il y a toujours une justification à ce rattachement? Ne faut il pas qu'il y ait un processus d'oubli récurrent qui nous permette justement d'être plus en phase avec notre présent.
57 - Je trouve que cela est très dangereux. La vertu du 11 Novembre était bien présente. Cela rappelait la fin de la guerre. C'est une autre façon de dire que la guerre est quelque chose d'épouvantable. C'est vrai que nous sommes une génération qui n'a pas connu la guerre. Et c'est pour cela que les catastrophes de la guerre ne peuvent être perçues que par un effort de recherche par chaque individu.
58 - Ceci dit, nous n'avons pas seulement eu la guerre de 14. Et à l'échelle de l'Histoire, nous pouvons nous demander pourquoi l'on ne se souvient pas de toutes les guerres, de tous les événements malheureux qui se sont passés. Il y a bien un moment dans l'Histoire où s'effectue un phénomène d'oubli. Je dirais même qu'à la limite, lorsque l'on ne commémore plus, on célèbre. Pour moi, il n'y a pas une pérennité à très long terme, au delà de l'échelle d'une vie, pour le souvenir d'événement passé, les plus terribles soient ils. Et c'est bien pour cela que j'ai peur que l'on ait oublié la Shoah dans une centaine d'années. Parce que ces événements deviennent des concepts au bon d'un certain temps. Ils ne sont plus ressentit. Et l'effort intellectuel qui nous permet de nous souvenir devient plus laborieux. La guerre de Cent Ans est bien loin. Nous en avons vaguement entendu parlé, nous ne la ressentons plus du tout. Pour les dernières guerres, c'est trop près de nous, et alors on a l'impression que c'est très présent à l'intérieur de nous. Mais peut-être que dans cent ans, cela se sera partiellement effacé.
59 - Nous avons eu dans le passé des grandes victoires, Austerlitz pour ne citer qu'elle, et pourtant elles n'ont pas été inséré dans le calendrier. Ce que je veux dire c'est que chaque fois que l'on gravit une montagne, on plante un drapeau à son sommet. Je crois que c'est cela la fête. Et je pense que la Shoah ne s'en ira pas comme cela. Je pense que cela risque d'être assez biblique, j'entends cela de façon temporelle.
60 - Je voudrais savoir si avant ce 11 Novembre que l'on va peut-être voir disparaître il y avait d'autres commémorations qui maintenant nous sont inconnues. J'ai quand même l'impression que le 11 Novembre et le 8 Mai sont à la fois des victoires mais surtout, et c'est peut-être ce qu'il y a de nouveau dans l'Histoire, nous avons rarement eu la sensation d'une aussi grande souffrance des gens. C'est maintenant que toutes les véritables affaires ressortent. On avait l'impression pour ces deux guerres qu'une nouvelle horreur venait de se déclarer. Je trouve qu'entre commémorer, peut-être de façon inutile, avec une faible implication, et ne pas commémorer du tout, il y a quelque chose à trouver. Je fais référence à l'Autriche qui voit aujourd'hui une recrudescence fasciste incroyable qui nous fait dire que la leçon n'a peut-être pas été si bien assimilée que cela.
61 - Pour moi, la commémoration n'a pas le monopole de la mémoire. Le 11 Novembre est pour moi un second Dimanche, en tout cas un mauvais moment à passer car tout est fermé et ce n'est pas rigolo. Je ne suis jamais allé voir les défilés et les remises de médailles. A mon avis, le jour où cette commémoration disparaîtra, cela ne voudra pas dire que la guerre 14/18 aura disparu de la mémoire, de l'Histoire, qu'il n'y aura plus d'émission de télévision dessus, etc. La commémoration officielle, avec les remises et les récompenses, disparaît après la vie des hommes; sans pour autant que l'Histoire disparaisse. Il y aura toujours un mémorial à Caen qui permettra aux gens d'accéder à ces périodes de l'histoire, des monuments, ici et là, qui rappelleront…
62 - Je crois aussi que la mémoire s'arrête forcément au bout d'un temps déterminé qui ne va pas plus loin que la vie des hommes. Et j'ai fortement l'impression que dans trente ans le public du Mémorial aura baissé en effectif. Il n'y aura plus beaucoup d'anciens combattants, plus beaucoup de gens qui ressentirons ces événements. Ce seront des historiens qui s'y intéresserons. Ce n'est pas pour autant que cela aura disparu. Et finalement c'est peut-être pour cette raison que le Mémorial de Caen s'attache à faire d'autres sujets telle la violence en Algérie. S'attacher au débarquement, en matière de clientèle, ce n'est pas très sécurisé. Même si on n'aura pas oublié. Il y aura des émissions, des livres, de l'histoire. Il n'y aura plus la sensation même de l'événement.
63 - Je suis allé à Verdun et j'ai été surprise du nombre de jeunes gens non accompagnés par leurs parents.
64 - Expliquez moi qui vous parlera dans cinquante ans de la guerre mondiale. Je pourrais évoquer cette période de l'histoire, tout au plus renvoyer aux générations qui me suivront à un manuel d'histoire. Je n'aurais qu'un regard très détaché sur ces événements. Ces jeunes dont vous parlez sont venus à Verdun parce qu'ils avaient encore ce lien de la génération antérieure. De façon spontanée, mise à part quelques personnes qui ont une volonté d'investigation, je ne crois pas qu'il y ait cette nécessité de s'attacher à des événements lointains.
65 - Je vais essayer de me faire l'avocat du Diable. On ne parle pas souvent de la bataille de Gergovie qui a pourtant été la victoire de Vercingétorix. Mais ne doit-on pas pérenniser le débarquement de la même façon? Finalement, les moyens actuels de l'histoire, cinéma, manuels, informatique, ne permettront ils pas de cristalliser ces événement s choquants de la seconde guerre mondiale?
66 - Il suffit de voir comment est traduit historiquement le rôle de la Résistance pendant cette période. On n'en parle pas, en tout cas pas de façon exacte. Elle est historiquement très mal rendue.
67 - Il y a aussi le phénomène de l'Art qui se greffe par dessus. A chaque époque des artistes ont vécus des choses et cela permet aussi de conserver le contexte historique. Je pense notamment à "L'Education Sentimentale" de Gustave Flaubert dans lequel il y a la description complète de la révolution de 1948. Dans cinquante ans, les classiques de notre époque seront peut-être entre autre le "soldat Ryan" de Steven Spielberg. Fatalement, à travers l'Art il y a une volonté de recherche postérieure, d'approfondissement. A mon avis le symbole de la Croix Gammée comme étant le symbole de la concrétisation du mal restera. On ne pourra pas un jour, dans un siècle, imaginer quelqu'un dessinant ce symbole sans aucune référence.
68 - Je ne suis pas sûr que cela soit aussi évident. Imaginons quelqu'un qui dans quatre cent ans regarde le "Soldat Ryan ", ou "Le Jour le plus long". Pour moi, il aura à l'esprit ce que quelqu'un à notre époque a à l'esprit lorsqu'il regarde des films de chevalerie, où il n'a plus vraiment la notion de qui est le bon et de qui est le méchant. Je ne suis pas sûr que dans trois ou quatre cent ans on connaisse la signification à notre époque de la Croix Gammée.
69 - C'est d'autant plus vrai que tout le monde s'amuse avec la Croix Celtique maintenant et que c'est quand même le symbole de l'invasion des Celtes en Bretagne. A l'époque, c'était une barbarie monstrueuse. Les Celtes n'étaient pas des gens très tendres. Qu'est-ce qui est resté de ce symbole aujourd'hui si ce n'est un vague sentiment d'appartenance à la Bretagne. Je ne pense qu'il y ait une pérennité des symboles.
70 - A ce moment là, pour la croix chrétienne, c'est pareil. Toutes les croisades, tout le sang versé, au nom de la chrétienté… Et pourtant, cela reste un symbole de bien par rapport à une croix gammée.
71 - La swastika, avant qu'Hitler se l'accapare, était un symbole hindou de paix. Cela dépend du sens dans lequel elle tourne.
72 - Je crois que nous avons bien parlé de l'intérêt des commémorations dans l'Histoire, de leurs intérêts pour le peuple, pour l'individu. Maintenant, ce qui aurait pu être intéressant d'aborder, c'est l'organisation de ces rassemblements dans la société. Est-ce que c'est simplement mettre des dates sur un calendrier ou c'est aussi régler un rythme, une vie bien particulière? Structurons nous notre vie autour de ces dates précises ou est-ce autrement que nous vivons?
73 - Je crois que l'on se contente de placer sur un calendrier des dates et de ne penser à la vie qui va autour.
74 - Qu'est-ce qui structure une année en fin de compte, mis à part les semaines?
75 - C'est vrai que le calendrier était un support majeur de ces fêtes. Ceci dit, je ne suis pas sûr qu'il y ait des fêtes qui aient disparues du calendrier. Il y a bien des saints qui disparaissent de temps en temps. Pourquoi pas des fêtes? C'est une réactualisation du calendrier. Il y a quand même des mouvements. Nous avons vu les fêtes civiles. Voyons les fêtes religieuses. Est-ce que c'est toujours d'actualité maintenant que nous sommes une société poly-éthnique et poly-religieuse? Pourquoi n'avons nous pas le jour du Ramadan ou autre chose.
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