Compte-rendu synthétique par Benjamin BALL — Café Citoyen de Lisieux (14/04/2005)
Animateur du débat : Benjamin BALL
» Politique et Société
Quelle place pour l'art aujourd'hui ?
[Nouveau lieu pour ce débat, le bar, restaurant : Le Rond Point , à deux pas de l'Espace Victor Hugo ; un lieu très agréable et chaleureux où se dérouleront dorénavant les prochains cafés citoyens de l'Arcadie de Lisieux]
Une brève introduction du sujet, placée sous l'angle de l'actualité avec le statut de l'intermittence, a permis à la bonne vingtaine de personnes présentes d'entrer assez vite dans le vif du sujet. Beaucoup d'idées furent développées, tant d'un point de vue anecdotique, donnant une réalité concrète du sujet, que d'un point de vue plus général. Remises en questions multiples : de l'artiste d'une part, sa perception, sa valeur, son travail, et de l'art d'autre part, dans toute sa complexité.
Comment conçoit-on l'artiste ?
On parla de l'artiste producteur, celui qui produit des œuvres. Le terme "production" n'est pas innocent, il induit "commercialisation", "vente" et donc "rentabilité". Aussi, que fait-on de ceux qui ne produisent pas ? Auront-ils un revenu ? Comment perdurer sans revenu ?
La question alors s'impose : Doit-on rémunérer un artiste en fonction de ses productions ? Autrement dit, si l'artiste connaît une période de production en baisse, voire nulle, sera-t-il rémunéré en conséquence ? Car comment imaginer que l'on puisse toujours être productif dans l'art ? Ces questions montrent à quel point la vision, la perception de l'artiste comme producteur est fragile, voire critique. Le risque même serait que celui-ci travestisse sa production pour la rendre commerciale. L'art ne serait alors plus qu'un ersatz, car bien souvent le succédané se vend mieux.
Dans le monde du cinéma, ne parle-t-on pas de comédiens « bankable » ? Rappelons la définition de ce terme si tendance dans notre société de consommation. Être « Bankable » signifie que l'on peut miser sur vous sans trop de crainte de perdre son argent, car votre nom est synonyme de vente. Ainsi les producteurs préfèrent-ils les projets de comédiens dits « bankable », leur risque étant mesuré, quasi nul. Ce terme nous revoie directement au proverbe bien connu : « On ne prête qu'aux riches ! ».
Cette intrusion dans la langue n'est pas innocente non plus, et révèle assez bien les choses. Quelle est l'intention du mécénat de nos jours ? Faire de l'art, pour soi et les gens, ou de l'art-gent pour soi ? L'art en effet est de plus en plus vu comme un produit ; un produit comme un autre qui est soumis aux dures lois de l'offre et de la demande. Ainsi, un produit ne rapportant pas comme il faut, est remplacé par un autre. Ceux qui paient décident donc de l'art à développer, dictant l'art qui se fait, l'art tendance. La création est alors entachée par les lois du marché.
Une solution concrète pour sortir de ce cercle vicieux est alors lancée : un revenu minimum. D'un autre côté, pourquoi seulement pour l'artiste ? Chacun n'aurait-il pas doit à un minimum pour vivre ? Une précision fut ici apportée : La société octroie un revenu car elle reconnaît ne pas offrir à ces citoyens assez de travail. On parla alors d'artistes subventionnés.
Le mécénat fut abordé avec l'idée d'une exception culturelle française. Car pour les anglo-saxons le mécénat est roi. L'idée d'un revenu minimum fut remise en cause avec le rappel qu'au temps de Louis XIV, cela n'existait pas. Les artistes n'étaient pas moins présents. Mais le dérapage lié au mécénat demeure. « L'artiste a réussi, on l'aide. Le créateur, on le laisse dans sa chambre ».
Ceci dit, un revenu minimum soulève bien des interrogations. Comment distinguer les artistes des pseudo artistes qui tenteraient de profiter de leur statut. Fixer des critères serait une mesure bien arbitraire pour dire ce qui est digne d'intérêt et séparer le bon grain de l'ivraie. Ceci nous amène à la question : Comment reconnaître une œuvre d'art, digne d'être reconnue comme telle, et celle qui le serait moins ? Comment mettre en place, définir une échelle de valeur, des critères, en pareil cas, sans sacrifier l'art ? Aussi, jugera-t-on vraiment chaque œuvre en tant que telle, ou vis-à-vis de l'auteur ? Peut-on imaginer un artiste étiqueté « valable », comme un produit labellisé de qualité ? D'ailleurs, ce type de pratique n'amènerait-elle pas un laxisme, un relâchement, une fois faite l'acquisition d'un tel label ?
Le progrès fut discuté, comme responsable d'une certaine perte de travail, pour nombre d'artistes. L'émergence des boites à rythmes dans les années 80 mis au placard une bonne part de petits orchestres. Comment lutter face aux musiques modernes, informatisées ? L'expression de « musique alimentaire » révéla le compromis auquel doivent se plier les musiciens pour financer des projets plus intéressants, moins commerciaux ; s'ils leur reste assez d'argent après avoir régler les factures ! Idée relayée par l'artiste cynique qui dirait : «J'ai suffisamment d'argent, à moins de devoir acheter quelque chose ! ».
Suite à l'actualité, concernant la Joconde notamment, on évoqua brièvement l'interrogation : L'art intéresse-t-il le public ? Et quel type d'art, peut-on ajouter ? En effet, on se demanda si l'art suscitait suffisamment d'intérêt pour pouvoir, comme auparavant, assurer à ses auteurs un salaire leur permettant de vivre. Avec l'idée que les créateurs motivés trouveraient toujours des amateurs éclairés.
La société d'aujourd'hui est à l'heure du « toujours plus vite, toujours mieux », de l'instantané en tout et pour tout, de l'immédiateté. «Tel riz prêt en 5 minutes, telles pâtes en 3 minutes, Paris/New-York en 2 heures… » Tous ces indices, à connotation positive, ne sont-ils pas en opposition avec les besoins nécessaires à l'art pour exister ? L'art suppose patience, travail assidu, réflexion. Ces besoins ne sont-ils pas mis à mal par notre société ? Bach ne définissait-il pas modestement le talent par le fait de se lever le matin et se mettre au travail ? Sans travail quotidien et assidu, point de talent, point de réussite ; au sens noble du terme, non au sens pécuniaire.
Le malheur veut que le terme même d'artiste soit galvaudé. En effet, le besoin de reconnaissance de chacun pour son travail, pousse beaucoup à user de l'étiquette positive d'artiste. L'utilisation à tout va de ce terme néglige l'artiste qui fait, qui est, au profit de l'artiste qui parait ! Personne aujourd'hui n'omettrait de signer son « œuvre ». Ce n'était pourtant pas toujours le cas. Au temps du Quattrocento par exemple. Ce changement d'attitude n'est pas sans rapport avec la vision de l'artiste tel qu'il se perçoit.
Revenons en donc à la notion d'artiste. Ne l'est pas qui veut ! (Le proverbe « vouloir, c'est pouvoir »* doit être bien compris.) Il n'y a pas de distinction à faire entre l'artiste moyen et le professionnel, le vrai. La séparation est à placer seulement entre l'artiste et le non artiste. Vouloir être ne suffit pas. Qui songerait à se proclamer chirurgien car il désire profondément l'être ? Heureusement, dans ce cas, le statut de médecin est protégé. Cela dit, pourquoi ne pas en faire autant pour l'artiste ? Mais comment ? On en revient au problème de la définition des critères.
Avant tout, l'art implique la création, qui induit l'intention, donc la liberté. Aussi devons nous défendre la liberté de celui qui crée, de l'artiste, et le protéger.
Après tous ces développements, un intervenant rappela ce qui lui plaisait dans l'art, ce qu'il aime y trouver. « L'art doit être et rester une sensation brute qui fait palpiter ! ».
En conclusion, l'homme ne se réduit pas à sa rentabilité, à sa production. L'homme n'est pas que deux bras ! Ce rappel pour indiquer qu'il est avant tout fondamental de repenser l'homme pour penser l'art. Se contenter de la vision que propose le Paysage Audiovisuel Français pour penser l'artiste peut être réducteur. La technique est mise en avant. On demande à des interprètes de chanter tout type de registre, d'être polyvalent presque. Ensuite on le juge sur sa capacité à s'adapter, à monter dans les aigus, à tenir le rythme de la compétition. Bref, il s'ensuit l'équation suivante : bon technicien = bon chanteur = bon artiste. Sans compter les artistes préfabriqués. Avec l'idée qu'il existe des ingrédients pour faire la recette d'un bon artiste. Notamment, la dose de sensiblerie, le zest d'un aspect rebelle, d'un caractère bien trempé, s'impose quasiment comme un ingrédient sine qua non pour faire du chanteur en voie de l'être un parfait chanteur comme il faut.
« L'artiste nouveau est arrivé, à consommer avec modération ! »
Notes :
*« Vouloir, c'est pouvoir » : l'interprétation simpliste, qui consiste à penser que seulement vouloir, et se contenter de désirer suffit, pour pouvoir, est erronée. Sénèque ne disait-il pas : « Je te désapprendrai à espérer et t'apprendrai ensuite à vouloir » ? Que voulait-il dire par « apprendre à vouloir » ? Vouloir, c'est déjà mettre en action les moyens qui vont permettre au pouvoir ; ce n'est pas espérer, attendre de l'extérieur l'issue. On en vient au dicton de La Fontaine si bien connu : « Aide toi, le ciel t'aidera ! ».
A la fin du débat, on a choisi le sujet pour le prochain café. Six sujets furent proposés:
- Multinationales et petites entreprises. 9 voix
- Europe: un rêve ou quelle réalité ? 7 voix
- Urbanisme et environnement. 10 voix
- Hier Démocratie, aujourd'hui Ploutocratie, et demain ? 9 voix
- Constitution pour l'Europe ou traité économique? 9 voix
- Comment porter 2 paires de lunettes : l'une française et l'autre européenne ? 12 voix
Prochain débat le jeudi 12 mai 2005 : Comment porter 2 paires de lunettes : l'une française et l'autre européenne ?
Interventions
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