Compte-rendu synthétique par Céline Chabut — Café Citoyen de Saint-Denis de la Réunion (25/11/2012)
Animateur du débat : Céline Chabut
» Politique et Société
Atelier-débat sur le viol
Jardin de l’Etat, 25 novembre 2012, dans le cadre de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes.
Télécharger le fichier PDF : http://www.cafes-citoyens.fr/files/affiches/692-atelier-debat-sur-le-viol.pdf
BRISER LA LOI DU SILENCE : PAROLE DE FEMMES VIOLEES
Ce débat faite suite au tollé qu’a provoqué le jugement de Créteil, lorsque la Cour d’Assises du Val de Marne a acquitté, en octobre dernier, 10 des 14 violeurs qui s’en sont pris à deux jeunes filles de 15 et 16 ans lors de viols collectifs, dans les cités de Fontenay-sous-Bois (94), en 1999.
Le débat est donc posé :
En France, à l’heure actuelle, il y a 200 viols de femmes adultes par jour (soit 75 000 viols par an, et autant de mineures). Seule une femme sur 10 porte plainte. Car la plupart des viols se produisent dans l’entourage proche, familial, amical, et dans des lieux connus. 98% des violeurs restent impunis. Il existe donc une loi du silence et des interdits. Pourtant, lorsqu’une pétition en ligne est lancée, elle recueille 160 000 signatures en 15 jours (sur AVAAZ). Cela montre bien que le grand public semble non seulement concerné par le problème, mais qu’il est en outre consterné par l’immobilisme et le silence qui règnent à ce sujet. Ces femmes muselées, privées de leur citoyenneté, refoulées dans les commissariats, accusées à tort d’être consentantes, parfois à peine défendues par la justice, ont donc droit à la parole ; c’est pourquoi l’Arcadie leur offre l’occasion de s’exprimer.
Le problème du viol devrait constituer un enjeu de santé publique et mobiliser les institutions, afin de lutter non seulement contre le viol et la barbarie, mais aussi contre toutes les conséquences et tous les dommages, très nombreux, liés au viol.
4 femmes ont accepté de témoigner.
Arnold Jaccoud, psychosociologue à la Réunion, participe aussi au débat. Il a accompagné l’une d’entre elles au procès contre son agresseur. Deux des femmes qui sont présentes sortent tout juste du procès qui a fait condamner à 8 ans de prison leur agresseur commun.
S. réalise petit à petit comment elle a été piégée dans son rôle de femme, et de « fille préférée », au sein de sa famille. C’était son rôle, de coucher avec le père et les amis de son père, dont l’aura sociale lui interdisait de le remettre en question.
As. confirme que dans certaines sociétés, dans certaines traditions, dans certaines familles, une femme est désignée « pour servir à ça ». Mais le plus gros traumatisme, qui demande le plus de travail, reste le silence et l’acceptation de la famille, de l’entourage : le violeur est connu et apprécié, il est encensé lors des repas familiaux. On en parle avec admiration devant la victime, même si on sait qu’elle a été sa victime. La femme se retrouve donc seule, et si elle n’y prend pas garde, elle reste dans le désir d’obtenir la reconnaissance de son statut de victime par sa famille. Il est très difficile de sortir de ce désir de changer sa famille, de faire justice, d’être reconnue en tant que victime, et de condamner son agresseur. D’ailleurs, même si cet agresseur a été condamné par la justice, le fait qu’il n’ait jamais avoué ces viols ne soulage pas la victime. Elle aurait eu besoin qu’il fasse son mea culpa, ce qui l’aurait davantage soulagée qu’une peine de prison.
As. rajoute que le viol a de nombreuses conséquences : elle est devenue phobique lorsqu’un homme l’approche. Elle se met donc à manger, pour grossir et devenir repoussante pour l’homme, surtout ne pas le séduire, et aussi pour se cacher, fuir et ne pas prendre le risque d’affronter la présence masculine.
Cl. rajoute qu’avoir été violée donne une mauvaise image de soi : elle se sent sale, mauvaise, et elle a honte de ses souffrances et parfois des actes de torture qu’elle a subis. Son corps la dégoûte, et elle souffre aujourd’hui d’anorexie. Hospitalisée pour tenter de soigner son anorexie et ses tendances suicidaires, elle s’effondre lorsqu’elle repense à son passé. Son agresseur a pourtant été condamné à 8 ans de prison. Mais elle a été tellement fragilisée, depuis si longtemps (car elle a aussi été maltraitée étant enfant), qu’elle a été séparée de ses deux enfants. Elle se sent laide, et son corps et sa vie lui font horreur.
S. répond que réhabiliter son corps, se le réapproprier, permet de se relever. C’est une étape du processus de reconstruction. S. fait du basket, et elle explique que le sport l’a beaucoup aidée. Parfois, elle avertit l’entraîneur que ça ne va pas, qu’elle a besoin de se défouler et de taper sur le ballon, de courir, de sauter. Compréhensif, il la laisse faire. Le sport lui est utile pour se reconstruire. Elle a trouvé un travail, elle est devenue autonome, à 19 ans ; elle s’est prise en main, et aujourd’hui, elle peut vivre heureuse.
Les personnes qui assistent au débat se demandent comment, en tant qu’enseignants notamment, on peut leur venir en aide. En ont-elles parlé aux adultes qui les ont accompagnées ? Ont-elles trouvé de l’aide ? Comment se sont-elles sorties de leur situation ?
As. raconte qu’elle a vu une dizaine de psychologues, mais qu’aucun n’a pu l’accompagner. Elle travaille sur elle aujourd’hui par le biais d’ateliers d’écriture, dans une association, accompagnée par un pasychosociologue.
An. explique qu’il existe de nombreuses associations d’accompagnement et d’aide aux victimes ; il y a aussi le planning familial, les assistantes sociales et les infirmières dans les établissements scolaires. Elle explique aussi que ces associations lui ont permis de transformer son histoire traumatisante en force. Elle se rend utile en aidant d’autres femmes qui ont vécu la même chose qu’elle ; elle forme les personnels accompagnants, elle informe les jeunes et intervient dans les établissements et les associations.
Arnold Jaccoud rappelle que pour s’en sortir, les femmes doivent trouver un accompagnement. Elles ne doivent pas être seules et livrées à elles-mêmes, notamment lors du procès, qui les replacera face à leur agresseur et fera rejaillir en elles tout leur passé et tous leurs traumatismes. Le procès est une épreuve très déstabilisante ; pourtant, il a une vertu cathartique, essentielle dans le processus de guérison.
An. et C. rappellent en effet que le moment du procès est particulièrement éprouvant. Elles doivent se remettre à nu, à nouveau. On les pousse à décrire leur tenue, à se justifier de ne pas accepter certaines pratiques sexuelles…
On finit sur cette touche d’espoir : en tant que femme, se définir uniquement comme une femme violée ne suffit pas. Des ateliers d’écriture, des thérapies, la pratique de la relaxation, d’une activité physique, permettent de rétablir une bonne image de soi. Le viol n’est pas une fatalité : on n’est pas obligé(e) d’interpeler des violeurs durant toute sa vie. Un travail sur soi en profondeur permet de changer la donne, de se protéger intérieurement contre toute forme d’agression, et… de se réconcilier avec l’homme et avec soi.
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